Algérie : Ramadhan à Béjaïa, quid de la culture ancestrale et de l’apport des Andalous ?
Par N.TPublié le
Le Béjaoui, citoyen lambda ou de l’intelligentsia, est perdu. Avec la mondialisation, précédée d’une longue colonisation, une gouvernance locale approximative, une crise complexe et multidimensionnelle, il a le sentiment d’être dans un labyrinthe d’où il n’arrive plus à trouver l’issue. Inévitablement, ce qu’il a en partage : un héritage de plusieurs siècles, il ne le vit plus pleinement, du moins tel que ses aïeux le vivait avant la nuit infinie, avant le nivellement par le haut et par le bas. Pour ne prendre qu’un exemple : la célébration de la fête du Ramadhan.
Quand l’ancienne capitale des Hamadites est passée du statut de "petite Mecque", - titre qu’elle avait porté jusqu’à la fin du 19ème siècle -, à celui d’une ville ordinaire, sans envergure, quelque chose s’était cassé. Comment pouvait-il en être autrement ? Avant le début de la nuit infinie, on affluait de partout pour célébrer le vingt-septième jour du Ramadhan dans la petite mosquée de Sidi Abdelhak, restaurée il y a une dizaine d’années de cela. Mais beaucoup y venait passer tout le mois de jeûne dans l’antique Saldae.
Une «grande messe», à ciel ouvert, était annuellement organisée dans la vaste plaine de Lakhmis aux alentours de la coquette mosquée de Sidi Abdelhak jusqu’au pied du Bois sacré. Mais les nouvelles autorités coloniales, fraichement débarquées de Sidi Ferredj, n’avaient de cesse de grignoter des poches de terrains pour y implanter : ici, une prison, par là, un jardin public ainsi que des maisonnettes coloniales. Et des décennies plus tard une caserne de gendarmerie. Si les pèlerins, qui venaient dans la petite Mecque, pouvaient atteindre plus de 20 000, chiffres de Louis Salvator de Habsbourg, Archiduc d’Autriche, dans son livre «Bougie : la perle de l’Afrique du Nord», édité chez L’Harmattan, en 1999 pour sa traduction française.
Mais pour Cheikh El-Hocine El-Ouerthilani, originaire comme son nom l’indique de Beni Ourtilane, le nombre des visiteurs est beaucoup plus important ; ils seraient des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers, à faire leur petit pèlerinage dans la petite Mecque. Souvent d’ailleurs enseignent les livres d’histoires, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens d’aller jusqu’à la Mecque en Arabie Saoudite qu’ils multiplient les séjours béjouis afin d’espérer atteindre l’équivalent, toute proportion gardée, d’un «ticket céleste.»
A la différence d’El-Ouerthilani, l’Archiduc d’Autriche, un aventurier et homme de lettres, avait cru que le 27ème jour du Ramadhan était célébré tous les 28 février ; la grande messe à laquelle il avait assisté s’est déroulée un 28 février ; il avait estimé les pèlerins à quelque 5 000 entre hommes et femmes, qui se prosternaient sur des nappes la tête dirigée vers la Mecque. Mais sa curiosité a été satisfaite puisqu’il avait pu glaner des informations ça et là auprès Européens qui avaient réussi à faire leurs trous dans cette ancienne ville méditerranéenne.
A contrario, El-Ouerthilani avait coutume de passer tous les mois de Ramadhan à Bgayet. Il venait en compagnie d’une centaine à peu près de savants de son rang et de nombreux disciples. L’auteur d’Er Rahla, un voyage initiatique et exploratoire. Il a beaucoup voyagé ; voyages ponctués de haltes dans les cités savantes de l’époque ; il a eu à étudier El-Fikh, l’astronomie, la philosophie et toutes sortes de sciences dispensées alors dans cette ancienne capitale de la science mais aussi la faune et la flore.
La nuit, dès la rupture du jeûne annoncé par un coup de canon depuis la Casbah, la ville entière s’illuminait ; partout retentissait des coups de feu et les pèlerins allaient d’un quartier à un autre en portant des flambeaux. On se dirigeait soit vers Houma Ouvasine, soit vers l’actuelle ancienne ville de Bgayet. Et on affluait aussi des villages de Mezzaïa, d’Oued-Amizour et de Tala Hamza. Les 99 mausolées que compte Béjaïa étaient allumés et visités par les pèlerins, qui viennent de tout le Maghreb, voire de plus loin du Sénégal, du Mali et du Niger etc.
Si à la Mecque en Arabie Saoudite, les pèlerins ne manquent pas de prendre l’eau de Zemzem et d’en rapporter à leurs proches, qui n’ont pas fait le voyage, ceux de Béjaïa faisaient de même avec l’eau de Sidi Yahia ou de Sidi Aïssa. Ils buvaient de cette eau avec laquelle ils se purifiaient aussi. D’ailleurs, avant d’accéder à Bougie, ils faisaient leurs ablutions à Bir Slam, à l’entrée de la ville. Son surnom de petite Mecque n’était pas usurpé.
Et dans les mosquées, à l’instar de Sidi-Soufi sur les hauteurs de Béjaïa, on priait et on chantait des hymnes sacrées et des louanges à Dieu. La tradition s’est poursuivie et pratiquée jusqu’à la fin des années 1980. Mais les fondamentalistes religieux ont réussi à la faire disparaître. Il faut dire que le courageux imam qui avait réussi à pérenniser cette pratique avait du partir…en retraite et rejoindre juste après son créateur.