« La Présidente » : pour savoir ce qui se passerait …
Par nicolas éthèvePublié le
L’universitaire François Durpaire et le dessinateur Farid Boudjellal publient aux éditions Arènes BD-Démopolis une BD, plus exactement un livre graphique intitulé « La présidente »
Dans ce récit de politique-fiction, ils imaginent que le 7 mai 2017 Marine Le Pen devienne la huitième présidente de la Ve république, régime semi-présidentiel qui confère, par les institutions mêmes et par la pratique politique, beaucoup de pouvoirs au président de la République. Le dessin très réaliste – beaucoup plus que le graphisme habituel du dessinateur – et la plume acérée de l’analyste du monde politique font mouche : ils déroulent pas à pas les conséquences potentielles de cette élection.
Afin que ce ne soit qu’un récit de politique-fiction …
Ce qui semblait politiquement inimaginable lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 doit être aujourd’hui non pas envisagé – ce serait performatif et « normaliserait » la possibilité – mais affronté avec des arguments. Déshérence du politique, vote autiste, vote aveugle, vote désinvesti, vote protestataire, vote anti-élite, symptôme du désenchantement du politique, d’une crise sociale, d’une crise de la citoyenneté, d’une véritable crise institutionnelle de représentation ? Les politologues proposent leurs hypothèses. Le vote n’est pas ou plus cette « cérémonie d’assurance identitaire », tournée vers une unité donnée là (la nation, la patrie, la République, la démocratie), mais l’occasion d’une réassurance identitaire, autocentrée sur des propriétés identitaires subjectives (défensives ou conquérantes), en ce qu’elles décrivent l’espoir fantasmé d’un repli protecteur. L’analyse scientifique ne suffit pas …
Ici, le propos est autre : cette victoire d’une candidate, incarnant le repli monoculturel et la peur de la différence, aurait des conséquences économiques, diplomatiques, politiques, etc. Tout électeur doit y réfléchir et pour cela, savoir ce qui se passerait si…. Le récit n’est pas caricatural : il applique à la lettre le programme du Front national dont il cite d’ailleurs des extraits reproduits à l’identique. C’est là l’intérêt que de partir de ce qui est réellement proposé.
Les cent jours de Marine Le Pen à l’Élysée
Après l’élection-fiction, le lecteur verra se dérouler devant ses yeux l’installation au palais de l’Élysée, la nomination du premier ministre et du gouvernement, le premier conseil des ministres, les mobilisations sociales, les premières mesures adoptées, les premiers résultats et une chute du récit inattendue mais qui fait froid dans le dos…
Qui sera le premier ministre ? Nadine Morano entrera-t-elle au gouvernement ? Qui ira à la Garden Party de l’Élysée cet été ? Comment régiront les partenaires européens ?
Le lecteur suivra pas à pas le vécu subjectif d’une famille : Antoinette Giraud qui ne pensait pas voir à 94 ans arriver ce séisme politique – elle qui a vécu le Vel d’Hiv et les rafles de 42 – et qui ne survivra pas au choc, ses deux petits-fils Stéphane et Tarik, Fati qui doit renouveler sa carte de séjour.
Par le biais de la subjectivité d’une famille, avec courage, les deux coauteurs montrent ce qu’il advient et pourquoi. D’abord le substrat politique du FN, au travers de son histoire. Ensuite ceux qui soutiennent ostensiblement ou dans l’ombre (au moins pour le grand public) la montée de ce parti : « intellectuels », artistes, journalistes, politiques (et pas seulement ceux du FN) qui se rendent cette année-là à la Garden Party de l’Élysée. Puis les arrestations des rappeurs Soprano, Youssoufa, Kery James, Médine ou Mokobé, les commentaires des journalistes, les résistances. Mais aussi les conséquences économiques, politiques, géopolitiques des premières mesures : sortie de l’Euro, expulsions massives, fichage des enfants magrébins, mise en œuvre de la priorité nationale, surveillance généralisée via les nouveaux outils numériques …
La fiction est nourrie des conseils d’une équipe de spécialistes des questions politiques et économiques qui permettent d’extrapoler avec réalisme les enchaînements possibles de l’arrivée du Front national au pouvoir. Et les auteurs de prévenir : « maintenant vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas… »
Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, membre du Think Tank Different, Université de Cergy-Pontoise
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.