MuCem: Le Cycle de conférences «Civilisation et barbarie» de ce jeudi se propose de «Penser la Chine»
Par sarahPublié le
Animé par Tzetan Todorov (historien des idées, essayiste, directeur honoraire de recherche au CNRS et président de l’association Germaine Tillion), le cycle de conférences sur "civilisations et barbaries" reçoit Anne Cheng (sinologue, titulaire de la chaire d‘Histoire intellectuelle de la Chine au Collége de France) pour "Penser la Chine".
« La naissance de la Chine-monde »
"Penser la Chine“ exige de se détacher d‘une approche spatio-temporelle vis à vis à l‘Histoire de la culture chinoise. Car le territoire de la Chine contemporaine est plus marqué par les chaînes de montagnes et les champs d‘agriculture que par un espace intégralement culturel ou encore des lieux de civilisation. En effet, l‘Histoire officielle de la Chine remonte à plus de 100,000 ans, ce qui traduit son statut aussi ancien que le berceau de la civilisation en Mésopotamie. Même si la Chine doit son nom à la dynastie Qin, elle a connu ses débuts culturels grâce à la dynastie Han (IIème siècle av. J.C. - IIème siècle apr. J.C). C‘est la Chine-monde qui naissait alors en ignorant les acquis des anciennes cultures de l‘Egypte Ancienne, du Royaume Grec et de l'Empire Romain. Le fait de ne pas se considérer comme une civilisation parmi d‘autres, mais comme un monde en soi, avait permis l‘élaboration d‘un modèle qui avait touché la société chinoise dans son intégralité (politique, écriture, architecture, sciences..), la séparerant des autres cultures du monde.
«Penser la Chine: une civilisation cosmologique et politique »
La spécificité de la Chine consiste en la notion confuscienne d‘une hiérarchie cosmologique qui élève ce qui est au-dessus du ciel (tian) et s‘achève en plusieurs étapes au point le plus bas au-dessous du ciel. Le ciel est perçu en tant que entité cingulaire: la tournure des astres, les saisons, l‘ordre divin y sont attribués et c‘est la vocation des êtres de ce centre d‘enseigner à d‘autres personnes hors des aspects fondamentaux de la civilisation. La terre, elle, est représentée par un carré: tandis que le premier carré embrasse la civilisation chinoise, le deuxième carré autour du premier désigne d‘autres cultures conscientes sur les rites chinois. Enfin, il y a un troisième carré qui indique l‘espace des "barbares". Cela indique qu'une insuffisance de savoir des rites chinois est considérée comme caractérisant les "barbares", ce qui distingue des civilisations de l‘ouest qui caractérise ces denriers par l‘absence pure et simple de culture quelle qu'elle soit. L‘art de la construction, l‘architecture chinoise visualise cette compréhension cosmologique en construisant des maisons aux toiles rondes avec plusieurs niveaux en forme carrée pour les étages. Ce qui est d'ailleurs intégrée dans l‘art de l‘écriture qui exige du lecteur de lire du haut en bas.
"Ils ont éradiqué toute une couche, est-ce que j‘ai tort de dire ça? “
Durant des siècles, la culture chinoise a cultivé cet ordre des rangs, une culture centriste et cosmologique qui fusionnait avec son systéme politique. Cet ordre mythique des autorités politiques fut coupé par la révolution culturelle initiée par Mao Zedong durant les années 1960 et 1970: en ce temps-là, la Chine-monde a cessé d‘exister et le pays a commencé à se percevoir comme une civilisation parmi d‘autres. Ayant détruit des acquis culturels de leur propre civilisation et ayant pourchassé et assassiné des personnalités intellectuelles et des hommes de culture, expropriés de leur terre, la Chine d‘aujourd‘hui cultive une sorte de double-image du confucianisme. Une fois que les principes fondamentaux du confucianisme ont été effacés par l‘Armée rouge et que des générations des Chinois ont grandi dans l'oubli de leur héritage culturel, il était aisé de construire une culture de faux-semblant. Pour Anne Cheng, le symbole ultime du néo-confucianisme en Chine est représenté par la statue dressée devant le bâtiment de l‘Université du Peuple à Peking, juste là où sont formés les cadres de l‘Armée rouge.
« C‘est le néo-confucianisme qui permet la Chine de participer au discours mondial»
Mais pourquoi, la Chine, a-t-elle besoin de cultiver ce néo-confucianisme ? Est-ce qu‘il est impossible de donner l‘envie de découvrir l‘idéologie de Confucius, une entreprise opposée aux intérêts du régime chinois? Anne Cheng répond à cette stratégie ambigüe de la politique culturelle : sans cette spécificité culturelle chinoise, présente dans le néo-confucianisme, la Chine ne pouvait pas participer au discours global puisque l‘ignorance de certaines valeurs cartésiennes comme les Droits de l‘Homme ne trouve pas d'opposante aussi universelle. Le néo-confucianisme présente alors la seule possibilité d‘être reconnue en tant que civilisation ancienne, même si elle est caractérisée par un comportement "barbare". Le fait d‘être reconnue dans son altérité lui permet de s‘opposer aux valeurs culturelles et politiques d‘autres civilisations, comme la démocratie et les droits de l‘Homme, mais d'avoir sa palce dans les échanges économiques et de ne pas perdre la face dans la communauté internationale.
« Je dirai que ces valeurs ne sont pas étranges aux Européens »
Mais qu‘est-ce que les valeurs "chinoises"? Est-ce que le goût du travail, le respect pour les aînés, la culture sociale dans la vie quotidienne sont propres aux Chinois, où est-ce qu‘il s‘agit de valeurs asiatiques? "Non, répond Tzetan Todorov amicalement, je dirai que ces valeurs ne sont pas étrangères aux Européens“. Il insiste sur le fait que certains idéaux culturels sont des qualités que l'on peut retrouver chez quiconque indépendamment du pays, tout comme il existe des individus sans culture. Il reconnaît plutôt dans cette stratégie chinoise, son ignorance pour d‘autres cultures, la pensée coloniale, l‘apartheid et d‘autres tentatives hégémoniales.
Penser la Chine nous a invité à remettre en question notre propre regard sur la civilisation européenne, et à y reconnaître les barbaries coloniales. Si on essayait de penser à une civilisation méditerraniénne et de s‘approcher au mystère que présente la Chine, malgré toutes nos possibilités de communication... Il est nécessaire pour notre échange interculturel que les cours d‘Anne Cheng au Collège de France soient disponibles gratuitement sur internet dans les trois langues française, anglaise et chinoise. Le projet d‘Anne Cheng est de réfléchir à la question de savoir si le confuscianisme peut être considéré comme un humanisme. Il est certain que nous allons suivre cette réflexion de près...