« Prenons le pouvoir ! », le « rêve » d'Axiom
Par nicolas éthèvePublié le
Axiom, le rappeur lillois que nous vous avions présenté ici, sur Médiaterranée Languedoc-Roussillon, est devenu depuis l'un des petits buzzs de cette campagne présidentielle. Suite à la parution de son livre « J'ai un rêve », publié en février aux éditions Denoël, on ne compte plus les apparitions médiatiques de ce jeune homme à la casquette rouge investi depuis plusieurs années dans la lutte pour les droits civiques, notamment en faveur de l’inscription des votants sur les listes électorales et au sein du collectif « Stop le contrôle au faciès », dont l'action s'est illustrée ce 12 avril par le dépôt de quinze plaintes contre l’État dénonçant les méfaits de cette pratique policière discriminatoire.
Canal + le 15 mars et le 28 mars, France Culture le 8 avril, RFI le 2 avril et le 22 mars dernier... La liste des télés ou des radios, où Axiom a été invité est longue, très longue. Sans parler de celles de la presse écrite, papier ou web,...
D'autant plus que l'emballement médiatique de l'affaire Mohamed Merah est passé par là... Non pas qu'Axiom soit candidat à l'élection présidentielle 2012 - ce n'est pas ce qu'on fait de mieux en matière de buzz quand on est considéré, de facto, comme un « petit candidat ». Mieux, dans son essai, ce que l'on peut appeler un « petit livre rouge » de 30 pages, Axiom en dit un peu plus sur lui et sa vision du monde. Et donc, nécessairement, sur la politique, puisque, comme l'écrit justement le rappeur, « tout est politique ». Surtout, il jette les jalons d'une feuille de route qui annonce la fondation imminente d'un mouvement politique issus des quartiers, mais ouvert à l'ensemble de la société civile. Un mouvement politique dont le mot d'ordre se trouve ainsi résumé, dans « J'ai un rêve » : « Prenons le pouvoir ! Exister, c'est exister politiquement. Nous devons faire en sorte de devenir des citoyens informés de nos droits, conscients de nos responsabilités. C'est comme ça que notre poids électoral deviendra un enjeu. Rien n'est plus juste que le slogan « Nothing about us, without us » (« Rien de ce qui nous concerne ne doit être fait sans nous ») qui a servi d'étendard aux associations luttant pour les droits des handicapés aux Etats-Unis. C'est le sens de toutes les luttes des quartiers populaires ».
Recruté dans son programme « Jeune Leader » par l'ambassade des États-Unis ( un programme qui vise à partager les expériences de part et d'autre de l'Atlantique et partout dans le monde, notamment en matière de lutte pour les droits civiques), Axiom a accepté de confier à Médiaterranée ce qu'il retire de cette réflexion mondiale toujours en cours, en plus d'évoquer son livre et l'actualité politique française présente, de l'affaire Merah à Mohamed Bouklit, en passant par la problématique des banlieues. A quelques jours de l'élection présidentielle française, ce dimanche 22 avril, il évoque aussi les grandes lignes de ce mouvement politique des quartiers populaires en cours de construction. Entretien...
Dans votre livre, vous soulignez qu'il y a du positif et du négatif, dans le modèle républicain américain, comme dans celui français. Qu'est-ce que vous retirez de cette expérience au sein du programme « Jeune Leader » ?
« Oui, il y a du bon et du mauvais des deux côtés de l'Atlantique. Grâce à ce programme, j'ai rencontré beaucoup de leaders de la lutte des droits civiques et beaucoup de gens qui l'ont accompagnée. Cette expérience m'a bouleversé, même si je connaissais déjà la lutte pour les droits civiques des noirs américains. La voir de l'intérieur et échanger avec ses acteurs, ça a changé beaucoup de choses dans mon approche sur le terrain, au quotidien des actions que nous menons depuis plusieurs années. Cela m'a montré que l'on peut poser les choses pragmatiquement. En France, dès que l'on parle des problèmes, à chaque fois, il y a une hystérisation sur la République ! Ce qui m'a plu aux États-Unis, c'est cette capacité à poser les problèmes dits durs, difficiles, y compris des échecs, de manière pragmatique, objective, à travers des statistiques claires et des données croisées, dans une perspective d'expérimentation.
Est-ce que vous en ressortez aujourd'hui avec une vision a priori négative de l'idéal républicain français ?
Non, au contraire ! Ce que j'en retire, surtout, c'est qu'au-delà du fait que tous les Républicains n'ont pas la même vision de la République, le constat d'un véritable clivage générationnel s'impose. Nous, nous avons vécu dans une société multiculturelle, ce qui n'est pas le cas des dirigeants d'aujourd'hui, avec leur moyenne d'âge particulièrement élevée. Le problème, c'est qu'ils n'appréhendent pas l'altérité - je préfère ce terme à celui conflictuel de la différence - d'une manière très sereine... Alors que la présence des noirs en France remonte déjà à très loin en arrière : à l'époque où on parlait d'esclavage, il y avait déjà des artisans noirs à Paris, notamment à Montorgueil. Dans les classes dirigeantes, dans l'élite, on a une vision très blanche de la société française et cette vision, historiquement, elle est erronée. Nous, on a grandi dans une société multiculturelle, donc on a une vision de la République qui est multiculturaliste, obligatoirement. Et donc multireligieuse, aussi, par exemple. Pour nous, l'expression religieuse n'est pas un problème. Or, le problème aujourd'hui dans la classe politique, c'est que beaucoup de ses représentants sont d'une expression laïcarde limite athée : ils confondent souvent athéisme et laïcité et font souvent passer leur athéisme pour de la laïcité. Et ils ont un problème avec l'expression religieuse dans le cadre républicain, alors que l'expression religieuse a déjà sa place dans le cadre de la République, puisque notre constitution reconnaît la liberté de conscience. Sauf qu'aujourd'hui, les anciens qui ont mené une lutte que l'on peut comprendre contre l’Église et son emprise, confondent aujourd'hui tous les champs... Souvent, ils invoquent la laïcité de 1905 et créent une extension sur le principe de neutralité qui est une pure bêtise, en vérité. Parce que penser une neutralité en dehors de la sphère du pouvoir, là où la laïcité de 1905 a voulu séparer le religieux et le pouvoir, ça n'a pas de sens ! Le cadre de 1905 était suffisant. Pour répondre complètement à cette question sur ma vision de l'idéal républicain, il y a en effet une rupture : après avoir découvert le cadre républicain américain, je me dis que la République n'est pas suffisante, qu'elle ne vas pas assez loin dans son essence et dans ses intentions. C'est là que nous, nous comptons pour la République, maintenant. Nous devons savoir si les barons des pouvoirs locaux et nationaux vont comprendre cette question et bouger sur ce point.
L'idéal républicain français, c'est aussi de ne pas mettre en avant ses croyances dans l'espace public...
Mais chacun a le droit de décider de sa façon d'être, c'est ce que l'on appelle la liberté de conscience. Quand on parle de ça, on touche à tout le malaise qu'il y a en France ! Pour la majorité des gens qu'ils soient catholiques, musulmans, athées ou qu'ils croient à l'horoscope, ça ne les empêche pas de vivre ensemble, de parler et de faire des choses... Dans le débat sur les signes ostentatoires, il y a eu une impulsion athéiste, là où l'impulsion laïque n'était pas celle-là. Pour la laïcité, il n'y a pas d'ostentation, il y a des religions et on fait en sorte qu'elles vivent ensemble en faisant en sorte qu'elles existent à part entière. C'est ça la laïcité ! Sauf qu'on a détourné la définition même de l'idée de la laïcité en une attaque sévère contre les religions. En sous-entendant que les athées seraient plus modernes et moins archaïques que les religieux, que la religion serait une vision archaïque. C'est ce que l'on entend dans les discours politiques. Même Jean-Luc Mélenchon (le candidat du Front de Gauche à la présidentielle française, Ndlr) parlait comme ça la dernière fois, en défendant le principe de laïcité au travers d'une hiérarchisation. Or, c'est cette hiérarchisation qui se retrouve dans le racisme et dans le culturalisme : on est toujours dans la même dynamique problématique qui est de hiérarchiser les cultures et les individus et ça, il faut en finir une bonne fois pour toute, parce que c'est aussi un héritage de l'esclavage. Pour moi, l'idéal républicain français de la laïcité, c'est ça : la République en adhérant à la déclaration des droits de l'Homme dans sa constitution adhère à la liberté de conscience et, à partir de là, les individus ont le droit d'être ce qu'ils veulent dans l'espace. Quand est-ce qu'il y a un problème ? Il y a un problème quand l'expression de la religion ou des idéologies, puis que c'est le même principe, devient criminelle. Dans ce cas-là, on a une police, on a des renseignements généraux et des services secrets qui font leur travail pour que tout se passe très bien. Le problème, c'est qu'on mélange tous les champs et ces discours ne font que mettre les individus les uns contre les autres, au lieu de travailler à la cohésion nationale. Alors que nous sommes tous Français, quelle que soit l'expression religieuse ou la couleur des citoyens ! Il faut sortir de ces représentations erronées qui fondent les discriminations raciales et ce devrait être le travail de l’Éducation nationale que d'enseigner à tous les Hrançais l'héritage de nos histoires communes. Parce que l'histoire de l'esclavage ou l'histoire post-coloniale des pays du Maghreb ou de l'Afrique, c'est aussi notre histoire à tous, comme celles des Polynésiens. C'est l'histoire de la France, celle des Français. C'est ça être Français, aujourd'hui ! Il n'y a pas que les hommes blancs riches, cinquantenaires, qui représenteraient la majorité, et à côté les femmes, les homosexuels, les musulmans, les juifs, les catholiques, les Roumains et je ne sais pas qui d'autre encore, qui serait la minorité... C'est une insulte !
Dans votre livre vous évoquez la nécessité de la construction d'un mouvement politique issus des banlieues. Où en est ce processus ?
La création de cette organisation politique est imminente et elle sera annoncée au cours d'une conférence de presse. Cette organisation est créée à partir des quartiers populaires, mais elle vise à proposer un projet social et global, notamment axé sur la justice sociale. On y appellera au principe d'égalité, au droit de vote, à la représentativité et à l'éligibilité, ainsi qu'à la lutte contre toutes les discriminations. Ce qui manque aujourd'hui à la République, c'est que le principe d'égalité n'est pas suffisant. Il ne suffit pas de dire : « les gens sont égaux ». Il faut instituer l'égalité. C'est ce qui a été fait par rapport à la différenciation sur les femmes, les jeunes, les handicapés. C'est de la discrimination positive que l'on a appelé différenciation pour sauver la face de la République pour ne pas reconnaître que la discrimination positive existe en France. Sauf que quand on parle des quartiers populaires ou des immigrations, là, on ne veut pas parler de différenciation ! Il y a pourtant des mesures spécifiques à élaborer sur des problématiques particulières qui sont entassées dans les mêmes zones pauvres. Les différents partis existants disent vouloir garder une approche non-catégorielle, surtout quand il s'agit des quartiers populaires. Par contre, quand ils démarrent tous la campagne en parlant des classes moyennes, là, il n'y a pas de problème : on segmente, on catégorise ! Il y a une vraie hypocrisie, là-dessus : les problématiques sont spécifiques à certains endroits, il leur faut des mesures spécifiques.
Que pensez-vous du traitement de la problématique des banlieues dans cette campagne présidentielle ?
Il n'y a aucune mesure spécifique sur la banlieue. Pour qu'il y en ait, il aurait déjà fallu faire un Grenelle des problématiques de la banlieue. Qui sont aussi, pour certaines d'entre-elles, des problématiques que l'on va retrouver dans les milieux ruraux ou semi-ruraux, ou dans les couches moyennes précarisées, comme dans la tranche d'âge de la jeunesse. Si l'on n'utilise pas des outils permettant de cibler les mesures spécifiques à mettre en œuvre pour chaque catégorie, dans 5 ans, on y sera encore ! Les partis politiques ne veulent pas d'approche catégorielle, ils veulent parler à tous les Français en même temps, comme si tous les Français étaient égaux devant tous les problèmes ! C'est faux. Et ce discours est schizophrène : ils disent qu'ils s'adressent à tous les Français, mais en même temps, ils n'arrêtent pas de faire des approches catégorielles, tout leurs constats, quel que soit le parti, sont catégoriels. Mais officiellement leur approche ne l'est pas ! Ce n'est pourtant pas sorcier : quand l'un de ses quatre enfants a plus de retard que les autres, on fait tout pour qu'il rejoigne les autres sans que cela n 'empêche de s'occuper de tous, ce n'est pas incompatible...
François Hollande considère notamment que la Politique de la Ville est un échec, qu'en pensez-vous ?
Ce constat-là, tout le monde le fait aujourd'hui, mais il faut aller beaucoup plus loin, il faut faire un bilan. La Politique de la Ville a été un échec, pourquoi ? C'est tout le problème des services publics : le citoyen est le premier employeur en France, puisqu'il est le patron de tous les personnels des services publics, il a le droit d'avoir les comptes. Où sont les comptes ? On peut parler pendant des heures, mais on n'a pas les comptes, donc, ce n'est pas clair. Nous, notre argumentaire, on le base sur des choses précises : on dit que la Politique de la Ville est un échec parce qu'elle s'est concentrée sur les immeubles au lieu de se concentrer sur les humains.
C'est un point que François Hollande a également évoqué...
Oui, c'est repris d'AC Le Feu et d'autres... Ils lisent nos livres et c'est très bien si on arrive à faire cette percée, rendons gloire à César, là où il a de la gloire. C'est super qu'il y ait une avancée, comme ça, on mobilise sur la question des quartiers populaires et on va continuer. Maintenant, il faut passer à une autre étape, à l'étape de l'expertise. Pour nous, le Ministère de la Ville doit être central. C'est lui qui doit être au centre des ministères pour qu'il ne soit pas dans la position actuelle de quémander ses budgets auprès des autres ministères.
Justement François Hollande, a promis durant cette campagne de réformer ce point en critiquant le fait que la Politique de la Ville soit dépendante de Bercy, le ministère des Finances...
Il faut que le Ministère de la Ville pilote ses budgets pour que ses politiques soient efficaces, c'est une certitude. Mais au-delà des promesses, il faudra des actes ! C'est tout le sens de la constitution de notre mouvement.
Concernant l'affaire Mohamed Merah qui a marqué le dernier moi de cette campagne présidentielle, quelle est votre analyse sur ces événements ?
Ma première analyse, c'est qu'il y a eu un très grand manque d'humilité sur cette question. J'ai rencontré toutes les tables rondes possibles et imaginables, la seule analyse que l'on puisse avoir sur Mohamed Merah, c'est ce que disent tous les services secrets et tous les experts mondiaux sur la question concernant les processus de la radicalisation qui, à la base, concernait surtout les mouvements d'extrême-droite et d'extrême-gauche : c'est que chaque passage à l'acte dans un processus de radicalisation est un fait unique et personnel.
Alors, il y a évidemment la dimension du contexte qui intervient, là en l’occurrence, le décor d'un quartier populaire ; ce n'était pas spécifiquement un musulman, bien que son frère était prétendument salafiste, il reste à voir quel salafisme encore... Et ça ne semblait pas un garçon très différent des autres en apparence. Après, il y a les facteurs personnels : le divorce de ses parents, la rupture du lien avec son père, un échec scolaire, une recherche professionnelle visiblement compliquée, etc. Mais si on prend la majorité des jeunes qui vivent dans le même contexte, avec les mêmes échecs, cela ne veut pas dire qu'ils vont tous passer à l'acte, dans ce processus de radicalisation qui reste, je le redis, un fait unique et personnel. Cela ne nous empêche pas de déconstruire les éléments favorisant une rupture par l'humiliation et l'exclusion qui provoquent des psychopathologies importantes. Concernant cette affaire Mohamed Merah, la question de ces liens avec les services secrets doit aussi être étudiée attentivement par des commissions d'enquête pour que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Dans le respect du deuil des victimes, nous devons leur faire honneur en allant chercher toute la vérité.
A cet égard, qu'avez-vous pensé de l'exploitation politique de cette affaire par le Président-candidat Sarkozy ?
Tout le monde a été plus ou moins obligé d'en parler, puisque c'est un fait social. C'est sûr que suite à cette affaire, Nicolas Sarkozy a joué à G. W. Bush dans cette campagne. Mais les citoyens ne sont pas bêtes...
Pour conclure, le montpelliérain Mohamed Bouklit a claqué la porte du Front de Gauche en raison notamment d'une insuffisante prise en considération de la problématique des quartiers populaires par cette organisation politique. Qu'en pensez-vous ?
Que ça n'a rien d'étonnant ! On n'arrête pas de répéter au Front de Gauche qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte la problématique des banlieues. On a reçu Clémentine Autain au Ministère de la crise des banlieues, elle nous a dit qu'elle était contre une approche catégorielle des quartiers populaires ! Je lui ai répondu que si elle ne voulait pas avoir une approche catégorielle sur les quartiers populaires, c'est qu'elle n'avait pas l'intention de parler des quartiers populaires. Ces gens-là aujourd'hui ne sont pas concernés par les problèmes de 8 millions de personnes en France ! Mohamed Bouklit claque la porte du Front de Gauche, super, c'est honorable ! Je préfère un acte comme celui-là, plutôt qu'une Fedela Amara qui s'est accrochée jusqu'au bout à son siège parce qu'elle avait faim alors qu'on lui avait dit que son Plan Banlieues ne donnerait rien. Monsieur Bouklit est le bienvenu dans notre mouvement à venir. Comme tous ceux qui se considèrent sans étiquette, déçus, par la droite ou par la gauche, et qui veulent faire avancer le pays, sont les bienvenus. Il faut arrêter de se battre contre le passé et se battre maintenant pour l'avenir. Les prochaines municipales seront l'une de nos grandes échéances ».