Bilan 2011 : La montée en puissance des partis islamistes en Afrique du Nord
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Les bouleversements dans le monde arabe auront été favorables à la montée en puissance des partis politiques d'obédience islamiste, qui sont en train de devenir majoritaires dans les Parlements des pays d'Afrique du Nord, après avoir été longtemps bannis de la scène politique. En Tunisie, le parti Ennahdha est sorti victorieux des élections du 23 octobre, tout comme le Parti Justice et Développement des élections du 25 novembre au Maroc et les Frères musulmans des premières phases du scrutin qui a débuté le 28 novembre en Égypte.
Cette victoire peut être interprétée comme un tournant dans la manière dont les islamistes sont perçus : les islamistes ne font plus peur, et l'on assiste en Afrique du Nord à une grande réconciliation avec les courants islamistes modérés.
LA RÉVOLUTION TUNISIENNE MÈNE A UNE PHASE DE TRANSITION FAVORABLE A ENNAHDHA
La Tunisie, à l'origine d'une révolution démocratique qui s'est étendue à plusieurs pays du monde arabe, est entrée depuis le 14 janvier 2011 dans une phase de transition. Cette nouvelle période de reconstruction politique et socio-économique s'enracine dans les aspirations d'un peuple résolu à tourner le dos à 23 ans de règne de Ben Ali, et à voir son droit à une vie paisible, moderne et prospère se traduire dans une nouvelle Constitution.
Outre l'aspect dictatorial du régime Ben Ali, plusieurs facteurs internes et externes peuvent expliquer la révolution populaire en Tunisie, un pays qui était pourtant un modèle de réussite économique, avec une croissance ininterrompue de 5% au cours des vingt dernières années.
"Le modèle économique tunisien était entaché de vicissitudes politiques, de mauvaise gouvernance et de corruption", a confié M. Farid Tounsi, directeur général de l'Agence de promotion de l'Industrie et de l'Innovation en Tunisie. En réalité, le régime de Ben Ali a fait preuve, pendant deux décennies, d'une incapacité fondamentale à répondre aux attentes de son peuple en matière d'emploi, d'amélioration du niveau de vie, de lutte contre la pauvreté, et n'a jamais vraiment réussi à garantir un climat économique rassurant pour toutes les catégories sociales, notamment les plus défavorisées.
Après la fuite de Ben Ali le 14 janvier, le peuple tunisien a retrouvé sa dignité, sa liberté d'expression, et surtout son droit à décider de son sort par un processus électoral démocratique. Le 23 octobre 2011, se sont déroulées les premières élections indépendantes, et une grande partie des 217 sièges de l'Assemblée constituante est revenue au courant islamiste représenté par le mouvement Ennahdha, qui a remporté 89 sièges. Le 14 décembre, le secrétaire général d'Ennahdha, Hamadi Jebali, a été officiellement nommé Premier ministre par le nouveau président tunisien Moncef Marzouki.
Même si les islamistes n'étaient pas aux premiers rangs de la révolution populaire tunisienne, essentiellement menée par une jeunesse assoiffée de liberté et de dignité, leur victoire électorale découle principalement de leur position d'opposants sous le régime Ben Ali, et de la confiance dont ils jouissent auprès des Tunisiens, surtout les plus démunis.
Les Tunisiens s'apprêtent à clôturer une année 2011 riche en changements, dans lesquels s'esquisse l'image d'une nouvelle Tunisie. Pour le moment, Hamadi Jebali doit d'abord s'attacher à former un gouvernement solide apte à reconstruire la vie politique, à relancer l'économie nationale, et à répondre aux attentes des Tunisiens.
LA VICTOIRE DU PJD AU MAROC CONFIRME L'AVENEMENT DES ISLAMISTES
Au Maroc, c'est la nouvelle Constitution, adoptée par une majorité écrasante lors du référendum du 1er juillet 2011, qui a permis de désamorcer la contestation d'une frange de la jeunesse marocaine, apparue avec le Mouvement du 20 février. Ce dernier demandait via le réseau social Facebook la réduction des pouvoirs du roi, réclamait davantage de démocratie, et critiquait la corruption du régime.
En répondant aux revendications des jeunes dans un discours prononcé le 9 mars dernier, le roi du Maroc, Mohammed VI, avait annoncé la révision de la Constitution sur la base d'une série de principes fondamentaux dont la séparation et l'équilibre des pouvoirs, un parlement au sein duquel la prééminence revient à la Chambre des représentants et la volonté d'ériger la justice en pouvoir indépendant. Les pouvoirs du roi devaient également connaître une réduction importante au profit du Premier ministre qui prend désormais le titre de chef du gouvernement, et voit ses prérogatives renforcées.
Après l'approbation par référendum de la nouvelle Constitution, les élections législatives du 25 novembre, les troisièmes sous le règne du roi Mohammed VI, ont constitué un événement historique dans la vie politique du Maroc.
La victoire du Parti Justice et Développement (PJD) a confirmé une nouvelle fois l'avènement des islamistes dans le monde arabe. Le PJD, dont le secretaire général Abdelali Benkirane a été nommé par le roi nouveau chef du gouvernement, a réalisé un score aussi impressionnant qu'inattendu avec 107 sièges sur 395, dépassant donc largement les 46 sièges obtenus en 2007.
Après sa victoire, le PJD va devoir tenir ses promesses de campagne électorale, parmi lesquelles figurent la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la stabilité de la croissance économique, ainsi que le soutien à la formation et l'incitation à l'auto-emploi.
Sur le plan social, le PJD a promis de positionner le Maroc parmi les 90 premiers pays du monde en matière d'indice de développement humain, de ramener le taux d'analphabétisme à 20 % à l'horizon 2015 et à 10 % à l'horizon 2020, de porter le SMIG à 3 000 dirhams et le montant minimal de la pension de retraite à 1 500 dirhams, et également d'améliorer la santé mère-enfant.
Selon des analystes, le PJD aura quatre défis majeurs à relever : l'instauration d'une bonne gouvernance sur la base d'une interprétation démocratique de la Constitution ; la mise en place dans les plus brefs délais d'un nouveau pacte social permettant à tous les citoyens de vivre dans la dignité ; l'instauration d'un environnement économique plus transparent dans le but d'encourager les investissements domestiques et extérieurs ; la défense de l'intégrité territoriale ; et enfin le renforcement des valeurs marocaines issues de l'Islam et de la diversité culturelle du Maroc.
LES COURANTS ISLAMISTES S'AFFIRMENT AUSSI DANS LES URNES EN EGYPTE
Début 2011, le mouvement de révolte populaire qui avait surgi en Tunisie s'est étendu à l'Egypte. Les manifestations anti-Moubarak ont commencé le 25 janvier et ont rassemblé des centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans les rues des principales villes égyptiennes pour demander la démission du président. Le 11 février, Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, a démissionné et transmis le pouvoir aux autorités militaires du pays. Le Parlement égyptien a été dissous peu de temps après.
Depuis la remise du pouvoir au Conseil suprême des forces armées (CSFA), les manifestations se sont poursuivies dans le pays, faisant de nouvelles victimes. Dans le même temps, la situation économique n'a cessé de se détériorer.
Impatients de voir les autorités militaires céder le pouvoir le plus rapidement possible, les manifestants, issus notamment des organisations de la jeunesse, ont réclamé avec insistance que soit fixée la date de l'élection présidentielle. Sous la pression, le CSFA a finalement annoncé le 22 novembre que le scrutin présidentiel aurait lieu le 30 juin 2012.
Le CSFA a en outre confirmé le maintien du calendrier des législatives comme prévu. Pour des questions d'ordre pratique, ces élections se déroulent en trois phases, correspondant chacune à une région électorale différente, ce qui en fait un processus de longue haleine.
Le vote pour l'Assemblée du peuple, chambre basse du Parlement, a commencé le 28 novembre et s'achèvera le 10 janvier. Quant aux élections pour le Conseil de la choura, chambre haute du Parlement, elles débuteront fin janvier et s'achèveront début mars.
Même si l'on n'en est encore qu'à mi-parcours du vote pour l'Assemblée du peuple, les tendances se dessinent déjà clairement. La première phase (dont les deux tours se sont déroulés les 28-29 novembre et les 5-6 décembre) et le premier tour de la deuxième phase (qui a eu lieu les 14-15 décembre) se sont traduits par une large domination des formations islamistes.
La première phase du scrutin a donné 65% des voix aux partis islamistes dans leur ensemble, à savoir 36,6% pour les Frères musulmans et 24,4% pour les fondamentalistes salafistes du parti Al-Nour. Le premier tour de la deuxième phase a également placé ces deux courants largement en tête. Les Frères musulmans ont assuré avoir conforté leur avance avec 39% des suffrages, et Al-Nour a déclaré avoir obtenu plus de 30% des suffrages, ce qui le place à nouveau en deuxième position.
Même si le processus électoral marathon est encore loin de son terme, ces premiers résultats laissent entrevoir en Egypte aussi, comme en Tunisie et au Maroc, un nouvelle donne dans l'échiquier politique du pays, qui devrait accorder un pouvoir accru aux courants islamistes.