Ô pleureuse des temps obscurs cesse donc tes larmes , le dernier homme vivant vient de rendre les armes... (DR)

Faites retentir les chants funèbres, le dernier samaritain est mort !

Par HAFIDA SEKLAOUI

Ô oiseau de bonnes ou de mauvaises augures, dépouille-toi de ton plumage,  le dernier ténor libre est mort. Ô pleureuse des temps obscurs, cesse donc tes larmes, le dernier homme vivant vient de rendre les armes.

À l'annonce de la mort de Vergès, une angoisse terrible et terrifiante s'est emparée de moi: Que  va-t'il advenir de nous,  Arabes en terre d'exil?  Objets de tous les soupçons, nous servirons de mets de choix, ainsi livrés sans défense aux vautours, maintenant que notre dernier rempart vient de tomber.

Je me suis alors adressée à la Mort et j'ai dit: "Toi qui frappe sans distinction aucune, n'aurais-tu pour une fois pu retarder ta foudre encore un instant pour laisser la chance à cet homme de rendre une dernière fois son humanité au plus exécrable des bourreaux? "

"Dans ce clair-obscur d'où surgissent  les monstres de part et d'autre, j'ai voulu lui épargner la souffrance de voir et de constater que l'homme ne change pas, et jamais ne changera", murmura t-elle d'une voix sourde que le chagrin a étouffé.

Hier, dans un bistrot parisien, des amis m'ont dit : "pourquoi rendre hommage à cet homme, n'est-il pas réconciliateur contrairement a toi?"

Qu'importe!.. ai-je dit. Et puis d'abord qu'est-ce donc ces concepts barbares dans lesquels on enferme la pensée dans le seul but de la contrôler? 20 ans après les années noires, on en est encore à séparer les Algériens entre "éradicateurs"et "réconciliateurs" .

Qui nous a mis un tel poison en tête? Emballé dans du papier de soie, l'avions-nous ingéré sans méfiance, sans oser le contester? Non, ce dualisme manichéen nous a été imposé, plus encore il nous a été fourré de force dans la bouche avec interdiction totale de le vomir. Mais tout de même on s'est refusé à le digérer tant il nous a semblé étranger à nous-mêmes.

La première fois où j'ai entendu ces termes, c'était au sein d'une rédaction où je n'ai pas fait de vieux os. Ils m'ont parus aussitôt suspects et si proches de notre chère langue de bois, que je n'ai même pas cherché a en saisir le sens, ni la provenance.

Des années plus tard, c'est ici à Paris que je les ai redécouverts,  mais même après ça je ne les ai pas assimilés. Car en quoi quelqu'un qui serait contre une "Dawla islamia" en Algérie a t-il choisi l'armée pour gouverner le pays? Et en quoi quelqu'un qui comme Vergès a défendu certains islamistes devant la justice, serait-il pour autant pour l'instauration des islamistes au pouvoir ?

S'il existe la moindre relation de cause à effet entre ces éléments, enrichissez-moi alors de votre savoir, car je m'incline devant vous et confesse mon ignorance !

Mais en attendant, que m'importe les divergences, la mort de Vergès me blesse. Mais comme il n'y a de vérité que la mort, laissons-le reposer en paix loin de nos chamailleries. Il ne tient qu'à nous de faire de notre mieux pour honorer ce qu'il a incarné durant si longtemps...

                                     

HAFIDA SEKLAOUI