les étudiants de Tizi-Ouzou ont rendu hommage à Hervé Gourdel... (DR)

Algérie : Après le choc du meurtre d’Hervé Gourdel, l’heure des interrogations

Un rassemblement citoyen, des éditoriaux interrogatifs, des citoyens indignés, l’Algérie était au lendemain du meurtre d’Hervé Gourdel par les djihadistes de Jund al-Khalifa. Apparaissent également les premières analyses. Le bilan du président Bouteflika est contesté.

Ils ont allumé des bougies et brandi des portraits du Français Hervé Gourdel assassiné la veille par le groupe djihadiste Jund al-Khalifa (les Soldats du khalifat) quelque part dans les montagnes du Djurdjura… Les étudiants de l’université de Tizi- Ouzou, capitale de la Kabylie rebelle, se sont rassemblés jeudi à l’entrée du campus de Hasnaoua pour rendre hommage à l’alpiniste pris en otage puis décapité à l’expiration de l’ultimatum fixé au gouvernement français.

Constitué à leur initiative aussitôt le crime confirmé, un « comité citoyen » avait appelé à une marche qui n’a finalement pas eu lieu, sans doute de crainte qu’elle ne revête un caractère politique. Les initiateurs se proposaient de « dénoncer la responsabilité de l’État algérien dans la dégradation de la situation sécuritaire en Kabylie ». Mêlée à l’indignation, la colère est en effet très perceptible dans la ville auprès des rares passants qui acceptent de s’exprimer.

« Les Algériens sous le choc », titre le quotidien francophone El Watan, qui se fait l’écho, comme la plupart des autres titres, de la consternation de l’opinion dans tout le pays. « Odieux ! » dénonce le journal Liberté. « La signature sanglante de Daesh », souligne le Soir d’Algérie. « Nous sommes tous des Hervé Gourdel », clamait pour sa part, en attaque de son texte, le chroniqueur politique de la Chaîne 3, radio publique, avant de revenir longuement sur les résultats de la « lutte antiterroriste » qui « n’a jamais cessé ».

Les autorités déterminées à poursuivre ces criminels

Dans un communiqué officiel rendu public jeudi, le gouvernement qualifiait l’acte d’« odieux et abject », faisant part de sa « peine » et de sa « tristesse », tandis que le ministère de la Défense (MDN) affirmait sa détermination à poursuivre « ces criminels où qu’ils se trouvent (…) jusqu’à leur élimination totale et la purification du pays de leurs actes abjects ». La tension est en effet monté d’un cran depuis l’annonce de l’enlèvement.

Les désormais légendaires barrages sont plus que jamais opérationnels sur les grands axes routiers et à l’entrée des agglomérations. Des policiers en treillis, mitraillette en bandoulière, ont fait leur apparition dans la capitale. Des convois de véhicules militaires se dirigent quotidiennement vers la région d’opération. Les services de sécurité ont assurément ouvert un front de lutte, l’heure n’en est pas moins aux questionnements et aux appréhensions d’un retour « aux années noires ».

« Je suis choquée et plutôt inquiète », confie Hassina, cliente de la Baie d’Alger, un établissement situé à proximité du Centre culturel français. Venue avec son compagnon et un ami belge, elle se proposait de faire découvrir à ce dernier la randonnée sur les mêmes monts du Djurdjura. « La sécurité commençait à s’améliorer en Kabylie après plusieurs années marquées par des rapts et autres actes de brigandages », expliquet- elle. À la table voisine, trois ressortissants français qui sirotent une bière excluent quant à eux tout sentiment d’inquiétude. De sources diplomatiques concordantes, on ne note pas en effet d’affolement chez les étrangers. L’événement tragique continue à être perçu comme exceptionnel. « Les recommandations de prudence vont être renouvelées dans tous les cas », indique-t-on toutefois.

La politique de « réconciliation », marque de fabrique du régime Bouteflika, revient sans surprise au centre des débats. Les Algériens s’interrogent sur cette initiative de recyclage de terroristes notoires, de criminels, qui sont nombreux à avoir pignon sur rue, ont fait scandaleusement fortune à la faveur de l’économie de bazar cédée aux islamistes. « L’apparition subite de ce maudit groupe dans la foulée de “l’État islamique” (EI) était prévisible. L’Algérie est une cible idéale pour faire une démonstration de force et les conditions sont favorables malgré les apparences », analyse Ramdane, cadre d’une entreprise du secteur privé. Selon lui, « il va falloir à présent déployer beaucoup d’arguments pour mettre les partenaires en confiance ». Dans son édition du jeudi 25 septembre, le journal El Watan affirme pour sa part que « l’assassinat spectaculaire d’un ressortissant étranger sur le sol algérien vient rappeler les limites de cette politique, signant symboliquement l’échec du projet de Bouteflika ».

L’exécution d’Hervé Gourdel interpelle le pouvoir algérien

L’événement tragique met en effet le pouvoir algérien au pied du mur. Il lui faut à présent traiter avec urgence les nombreuses répercussions de la « décennie noire », source intarissable de régression. Les jeunes nés dans les années 1990 ont grandi dans un climat de violence permanent. Ils sortent de l’adolescence avec la rage au ventre, exclus en masse du système scolaire, sans perspectives réelles de formation. Ils constituent une proie facile, disponible aux aventures les plus périlleuses. Une véritable armée de réserve pour les groupes armés.

L’intégrisme a par ailleurs laissé son empreinte dans la société, les mentalités en sont dangereusement imprégnées. Les autorités affirment avoir politiquement vaincu les islamistes. Ces derniers n’en restent pas moins maîtres incontestés de nombreux secteurs. Ils imposent lignes de conduite et comportements au coeur de la société. « Comment est-ce possible, après tout ce que nous avons vécu ? Les barbus s’opposent à la diffusion des émissions de la Chaîne 3, dans les cabines du téléphérique qui grimpent vers les hauteurs de la capitale et les autorités abdiquent ! » s’insurge Farouk, militant de la première heure, farouchement opposé à l’intégrisme islamiste.

Le terreau est ainsi toujours fertile, qui peut favoriser une résurgence du terrorisme en Algérie à la faveur de « l’État islamique» (EI). L’assassinat d’Hervé Gourdel interpelle tout particulièrement le pouvoir. Plus qu’une affaire de force de frappe militaire, la lutte antiterroriste dans l’Algérie d’aujourd’hui relève d’un défi à plusieurs dimensions, politiques, économiques, sociales. Sauf à vouloir prendre le risque d’un retour cauchemardesque aux périodes les plus sombres et d’une perche tendue au terrorisme international.

Source: L'Humanité du 26 septembre