Le Conseil d’Etat se penche sur le « contrôle au faciès », une plaie française
Par assiaPublié le
Le dossier sensible des « contrôles au faciès » est examiné ce vendredi 29 septembre par le Conseil d'État. Plusieurs ONG dénoncent une pratique devenue systémique dans la police et demandent une réelle prise en compte de l'ampleur du phénomène.
L’action de groupe est menée par six ONG, dont trois internationales et trois locales, contre les contrôles d'identité discriminatoires, communément appelés « contrôles au faciès », effectués par la police et la gendarmerie.
Dans leur requête, les six associations affirment que cette pratique est « généralisée et profondément enracinée dans l'action policière, au point que la discrimination qu'elle engendre est systémique ».
« La grave négligence de l’Etat… »
Tout en ne « qualifiant pas les policiers individuellement de racistes », elles demandent au Conseil d'État de constater « la grave négligence de l'État en laissant perdurer cette pratique » et de contraindre les autorités à prendre les mesures nécessaires pour y remédier, selon un communiqué commun.
Les associations ont saisi le Conseil d'État pour qu'il ordonne à l'État de prendre les mesures nécessaires, à savoir un changement du cadre légal, l'enregistrement des contrôles, la mise en place d'un mécanisme de plainte indépendant et l'encadrement des contrôles sur les enfants.
En juillet 2021, Amnesty International, Human Rights Watch, Open Society Foundations, le Réseau égalité antidiscrimination justice interdisciplinaire, basé en banlieue lyonnaise, ainsi que deux structures parisiennes, Pazapas et la Maison communautaire pour un développement solidaire, ont saisi le Conseil d'État sur cette question délicate.
« Nous attendons des juges qu'ils utilisent le pouvoir qui leur est conféré par la loi pour ordonner à l'État de prendre des mesures afin de mettre fin à ces contrôles discriminatoires », a déclaré Me Antoine Lyon-Caen, avocat à l'origine de la requête.
Et d'ajouter : « Il est nécessaire que la justice redonne à ceux qui subissent ces actes leur dignité. » Selon lui, l'inaction de l'État face à cette « illégalité généralisée » relève d'une « carence fautive ». Cette procédure contre l'État est donc une action de groupe rendue possible en 2016 par une loi permettant, en théorie, d'imposer des réformes structurelles à l'administration.
Jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes avaient vingt fois plus de chances d'être contrôlés par la police
En amont de l'audience de ce vendredi après-midi, plus de deux ans plus tard, les associations dressent toujours le même constat. Alors que depuis des décennies, des associations, des institutions nationales et internationales de défense des droits humains, des chercheurs, des militants documentent et dénoncent les pratiques « généralisées du profilage ethnique lors des contrôles d'identité par la police française », les requérants déplorent le fait que « malgré de multiples dénonciations, les gouvernements successifs n'ont pas agi pour mettre fin à la pratique abusive et illégale des contrôles au faciès ».
Cette action de groupe s'appuie notamment sur les travaux menés par l'ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui a occupé ce poste de 2014 à 2020.
Son enquête réalisée en 2016 concluait que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes avaient vingt fois plus de chances d'être contrôlés par la police que l'ensemble de la population.
Encouragement de l’extrême-droite
L'ancien ministre de la Justice du gouvernement d'Alain Juppé (1995-1997) déplore aujourd'hui dans Libération la négligence et l'obstination du ministère de l'Intérieur et de l'État en général à ne pas prendre en compte ce biais raciste et à le considérer comme systémique.
« La réalité est bel et bien un système de contrôles d'identité discriminatoires, et face à un système, il faut apporter une réponse systémique, et non pas au cas par cas », estime-t-il.
Selon Jacques Toubon, cette procédure devant le Conseil d'État est un véritable événement qui témoigne d'une « vraie question de société ». Il déplore également que, sous l'encouragement de l'extrême droite, certains estiment normal de « réserver un traitement particulier » aux personnes « en fonction de leur origine » ou « de leur apparence physique ».