Affaire Tariq Ramadan, les langues et les plumes se délient

Jamais deux sans trois, dit le dicton. Depuis le #BalanceTonPorc d’Henda Ayari contre Tariq Ramadan qu’elle accuse de viol, d’autres victimes présumées s’expriment à leur tour, tandis que la toile s’agite, des commentaires haineux aux commentaires de soutiens, en passant par les réflexions sur le champ médiatique... Zoom.

Après les accusations de viol d’Henda Ayari contre Tariq Ramadan, accusations traduites par un dépôt de plainte auquel l’islamologue oppose une "dénonciation calomnieuse" plus que pudiquement évoquée dans une vidéo postée sur sa page Facebook, une deuxième femme a porté plainte a-t-on appris, ce vendredi 27 octobre : elle accuse Tariq Ramadan de violences physiques et sexuelles extrêmement graves.

Des accusations très graves

Comme l'écrivaine Henda Ayari, cette jeune femme convertie à l’Islam et aujourd’hui âgée de 42 ans, aurait été conviée suite à de nombreux échanges à un entretien dans un hôtel, un soir d’automne 2009. Là, il l’aurait ensuite invitée à poursuivre la discussion à l’abri des regards autour d’une tasse de thé, dans sa chambre.

Après l’avoir servie, Tariq Ramadan se serait alors transformé en bête sauvage en lui lançant "toi, tu m’as fait attendre, tu vas prendre cher" et en la frappant au visage dans le ventre et sur le corps. La suite est du même acabit, selon la plainte déposée par la plaignante, fellation et relation sexuelle lui auraient été violement infligées, y compris à l’aide d’un objet, en dépit de son refus que résume ce cri de détresse : "J’ai hurlé de douleur en criant stop". A l’issue de ces scènes d’horreur, la présumé victime aurait été traînée par les cheveux jusque dans la baignoire de la salle de bain où elle aurait été humiliée.

Elle serait en possession d’un SMS de Tariq Ramadan décrivant "une nuit romantique et tendre", mais aussi d’un certificat médical de l’hôpital faisant notamment état d’ecchymoses et autres blessures. Son avocat, Me Eric Morain, affirme aussi avoir reçu ces derniers jours plusieurs autres témoignages de victimes présumées parlant de viols, d’agressions sexuelles et/ou d’harcèlement.

Une troisième victime dans l’ombre

Au lendemain de la dénonciation de cette deuxième victime présumée, une troisième a été mise en lumière par Le Parisien. Cette dernière avait contacté le journal il y a trois ans avec l’intention de vouloir porter plainte pour "harcèlement sexuel et menaces", explique le média qui l’a recontactée après l’explosion de l’affaire Tariq Ramadan :

« Au début il me donnait des conseils religieux, et puis un jour il a réclamé ma photo. Il voulait savoir à quoi ressemblait celle avec laquelle il échangeait. Il m'a trouvée mignonne. A partir de là tout a dérapé, entre nous, c'est devenu pornographique. »

Aujourd’hui, cette troisième victime présumée reste indécise sur sa décision de porter plainte contre Tariq Ramadan, mais continue à y réfléchir. Comme peut-être d’autres, scrutant les rebondissements de cette affaire, comme les commentaires qui se déchainent sur les réseaux sociaux, entre insultes bêtes et méchantes (du style #JeSuisUnePute, #LibèreTaChienne) ou dénonciation d’un phantasmagorique complot sionniste, sur fond d’antisémitisme, comme l’a bien décrypté Le Monde.

Des milliers de commentaires de haines et de soutiens

A côté de cela, on ne compte pas, non plus, le nombre de personnes très heureuses de saluer cette parole libérée, notamment sur le mur Facebook de Henda Ayari qui y remercie chaleureusement tous ses soutiens :

 

 

Caroline Fourest, elle aussi, est heureuse. Dans un éditorial publié sur Marianne, la journaliste auteure de "Frère Tariq", livre publié en 2004, explique savoir depuis 2009 que Tariq Ramadan "menait aussi une double vie, à l’opposé de ses nombreux sermons sur la conception islamique de la sexualité", mais qu’elle n’avait "pas pu l’écrire", parce que "les faits les plus graves ne pouvaient être révélés sans preuves solides, sans qu’une victime porte plainte". Elle poursuit notamment ainsi :

« Dans le cas de Tariq Ramadan, il semble que nous soyons face à un comportement digne de Harvey Weinstein, en peut-être plus violent. Si j'écris cette phrase aujourd'hui, alors qu'elle pourrait me coûter un premier procès du principal intéressé, c'est parce qu'une femme, Henda Ayari, a eu le courage de porter plainte pour viol, agression sexuelle, harcèlement et intimidation. Bien sûr, Tariq Ramadan nie et va l'attaquer. Sur les réseaux sociaux, l'un de ses fidèles lieutenants y voit déjà un complot "sioniste international".Ses fans accusent la victime, une salafiste repentie, de mentir et de vouloir se faire de la publicité (enviable comme chacun sait). Je ne l'ai pas rencontrée. Mais ce dont je peux témoigner, c'est que son récit, précis et terrifiant, ressemble énormément à celui de quatre autres femmes que j'ai rencontrées. »

Et Caroline Fourest de conclure en invitant les langues à se délier toujours plus :

« Maintenant que Henda Ayari a eu ce courage, c'est différent. Mon devoir est d'inviter toutes celles qui le peuvent à témoigner. Dans la presse ou à son procès. Pour ne pas l'abandonner, seule, face à la meute. »

De leur côté, la rédaction et président de Médiapart se trouvent interpellés pour leur silence jugé « assourdissant » par Lancetre, un auteur publiant sur la blogosphère de… Médiapart. Sous le titre de son post ("Tariq Ramadan accusé de viol : dialoguer ou dépublier ?"), Lancetre s’interrogeait vivement ce samedi sur la dépublication d’un billet posté par Utopart, en se demandant pourquoi le journal fondé par Edwy Plenel n’avait pas encore écrit une ligne sur cette affaire retentissante.

Hasard ou coïncidence, Médiapart, journal d’investigation revendiqué, qui avait publié ici, en 2016, une longue séries d’articles en forme de 5 feuilletons évoquant notamment les "phantasmes" entourant l’islamologue a publié le jour même pour ses abonnés, le point sur cette affaire ouverte le 20 octobre dernier. Les langues et les plumes se délient… Il y a quelques heures, Tariq Ramadan a posté ce statut sur sa page Facebook où il avait jusqu’ici décidé de ne pas parler de l’affaire dans laquelle il se trouve impliquée, à suivre !

« Je suis depuis plusieurs jours la cible d’une campagne de calomnie qui fédère assez limpidement mes ennemis de toujours. Comme annoncé, dès lundi dernier, mon avocat a transmis au Parquet de Paris une plainte pour dénonciation calomnieuse. Une nouvelle plainte sera déposée dans les prochains jours puisque mes adversaires ont enclenché la machine à mensonges.
J'adresse mes remerciements à toutes celles et ceux qui, nombreux, m’ont fait part, publiquement comme en privé, de leur soutien et affection. Je voudrais également remercier ma famille et mes proches pour leur amour et leur solidité face à ces affabulations. Le temps de la justice n’est hélas pas celui de ceux qu’on aime.
La calomnie est une méthode insupportable et les conjurations ne forment pas la vérité. J’ai une autre idée du combat pour nos idées et il est triste de voir nos adversaires réduits à soutenir l'imposture et la tromperie érigées en vertu. En venir à des extrémités aussi fallacieuses est terriblement médiocre.
Le droit doit maintenant parler, mon avocat est en charge de ce dossier, nous nous attendons à un long et âpre combat. Je suis serein et déterminé. »