«La Méditerranée des 7 Dormants» d’Ephèse à Tibhirine
Par N.TPublié le
Depuis 2009, le programme culturel «Sous le signe d’Averroès» s’ouvre sur une exposition emblématique. Cette année, sur une idée originale de l’anthropologue Manoël Pénicaud, l’exposition « La Méditerranée des 7 Dormants explore le mythe des 7 Dormants d’Ephèse, des saints communs au christianisme et à l’islam, qui auraient dormi plusieurs siècles avant de se réveiller miraculeusement. L’exposition est l’occasion d’une lecture originale de la Méditerranée en suivant le fil rouge des Sept Dormants. Conçue comme un parcours en plusieurs étapes, elle propose l’exploration d’un fragment de ce que Thierry Fabre, le concepteur des Rencontres d’Averroès, a appelé dans le sillage d’André Malraux : «le musée imaginaire de la Méditerranée».
Interview croisée de Thierry Fabre et Manoël Pénicaud
Médiaterranée : Pourquoi avez-vous choisi cette année de raconter la Méditerranée sous le signe de ce mythe ?
Thierry Fabre : La figure de Louis Massignon et du mythe des 7 Dormants, cette idée du réveil, de la résurrection et l’évocation de la Sourate de la Caverne (1) valaient la peine d’être inscrits dans des Rencontres d’Averroès sur la thématique de l’Europe et de l’Islam parce que cela éclaire un pèlerinage commun en Méditerranée. Cela permet de montrer des éléments de circulation de l’imaginaire, de mythes communs et de connexion avec une forme religieuse ouverte avec des éléments mystiques et visionnaires jusqu’à l’évocation, comme l’a très bien fait Rachid Koraïchi dans ses travaux, des 7 Dormants de Tibhirine(2) sur laquelle se termine l’exposition.
Médiaterranée : D’ailleurs l’exposition se prolonge par un hommage à Louis Massignon (3)…
Thierry Fabre : Louis Massignon compte parmi les grandes figures des penseurs en Méditerranée, de ces figures qui ont fait connaître l’islam dans la société française, avec Jacques Berque, Maxime Rodinson et Mohamed Arkoun. Quand Michael Lonsdale a répondu tout de suite favorablement à notre invitation pour lire des textes de l’œuvre de Louis Massignon qu’il connaissait, c’était une belle résonance, un bel écho. J’ai l’impression qu’un certain nombre de gens pourraient être éveillés car ces textes recèlent une simplicité et un dénuement qui ont touché dans le film « Des hommes et des dieux ».
Médiaterranée : La chapelle des Pénitents Noirs, un lieu qui résonne particulièrement avec le thème de votre exposition. Racontez-nous l’histoire jusqu’à cette « Méditerranée des 7 Dormants » ?
Manoël Pénicaud : Frappé par l’importance des « résurgences » du mythe des 7 dormants, Louis Massignon parlait de « géographie spirituelle du Monde » avec des points d’intensité, des lieux saints etc. il a longuement exploré les dimensions spirituelle et eschatologique du mythe. J’ai pour ma part poursuivi ses recherches grâce à l’héritage des archives inédites de Louis Massignon, mises à ma disposition par sa famille que je remercie, mais avec une démarche plus horizontale : c’est plus le rapport entre les hommes et mes recherches anthropologiques, notamment au travers de nombreux voyages que j’ai fait sur les traces des 7 Dormants autour de la Méditerranée, qui ont nourri cette exposition.
C’est au Maroc que j’entends parler pour la première fois des 7 Dormants et je remonte le fil jusqu’à la Bretagne et le pèlerinage fondé par Louis Massignon en 1954. Cela a donné lieu à une thèse «Le réveil des 7 Dormants; un pèlerinage islamo-chrétien en Bretagne» puis après une gestation longue de quatre années d’enquêtes et de collectes à cette exposition. A la fin des Rencontres d’Averroès de l’an dernier, Thierry Fabre qui suivait l’avancée du projet, a été convaincu de la maturité sa maturité.
Synchronicité parfaite, la Ville d’Aubagne s’est engagée pour la première fois dans les Rencontres d’Averroès et les Pénitents Noirs étaient libres. L’unicité de ce lieu permet à l’exposition de déployer un espace dédié à Louis Massignon et un parcours dans les treize lieux les plus emblématiques de ce mythe, à partir d’Ephèse en Turquie. Réalisée en collaboration avec la scénographe Claudine Bertomeu, c’est une pérégrination scénarisée entremêlant des documents anciens, souvent montrés pour la première fois (gravures, miniatures, archives…) et des photographies et extraits vidéo que j’ai rapporté de chacun de mes voyages. Elle présente les sites en abordant les côtés économique et touristique des 7 Dormants quand la légende est récupérée uniquement à des fins de ventes touristiques (dans les souks d’Istanbul, par exemple) ou à Jérusalem ou des commerçants musulmans vendent aux pèlerins des icônes provenant d’immigrés russes déshérités.
Médiaterranée : Cette exposition a une dimension trans-méditerranéene. Quel va être son itinérance ? Et quels sont les axes d’approfondissement puisque vous la présentez comme évolutive ?
Manoël Pénicaud : Cette exposition doit trouver les moyens de sa circulation en Méditerranée. D’ores et déjà, elle sera présentée à l’Institut Français de Rome en novembre et décembre 2011 dans une version petit format tout en s’étoffant d’un tableau sur les Dormants à Rome. A Rome, je dois rencontre un professeur d’université tunisien qui enseigne les 7 Dormants et qui souhaite que l’exposition soit accueillie à Tunis. L’idée est de nourrir l’exposition de tableaux dans les villes de cette itinérance et de tisser des liens pour la montrer à Rabah, à Damas, à Alger…et pourquoi pas, à terme, à l’Institut du Monde Arabe.
Quant aux axes que je souhaite approfondir, dans la vidéo qui est proposée en fin d’exposition, on entend notamment le père Paolo Dall'Oglio, que j’ai rencontré dans le monastère de Mar Müssa en Syrie (4), évoquer le fait qu’il est temps d’explorer la symbolique politique et ascétique des 7 Dormants. Toute la dimension artistique avec des réemplois au mythe et à ce patrimoine libre de droits est une dimension mise en évidence dans l’exposition parce que les artistes s’approprient ce mythe avec des échos pluriels et des résonances parfois inattendues.
Cette symbolique politique ressort, dans l’actualité récente, notamment à la faveur des printemps arabes. Certains artistes choisissent de réveiller le mythe : c’est le cas par exemple du collectif d’activistes performeurs issus l’Ecole des Beaux Arts de Tunis qui ont choisi de s’appeler « Ahl El Kahf » (les Gens de la Caverne) qui investissent depuis la chute de Ben Ali la rue tunisienne avec des images et des slogans contestataires ou encore le poème de Mohsen Lihidheb, « La chasse au requin », trouvé sur internet en janvier 2011, avec la transposition du mythe au contexte tunisien.
Cette exposition, qui est un voyage du mythe à une humanité commune méditerranéenne (par la multiplicité des lieux de cristallisation et de résurgences dans tout le pourtour de la Mare Nostrum) met à jour des matériaux très contemporains avec des références aux 7 dormants dans des créations post-révolutionnaires dans les pays arabes.
Que disent les 7 dormants à tous ces dormants qui se réveillent actuellement ? Peut-être quelque chose comme : « Dans ces éveils, il y a comme une tresse qui se tisse en Méditerranée, sous la protection… (des 7 Dormants) » (Thierry Fabre).
Le site avec le programme complet des 18èmes Rencontres d’Averroès : www.rencontresaverroes.net
L’exposition, coproduite par Espaceculture_Marseille et l’association Ermes se visite du 21 octobre au 24 novembre 2011au Centre d’art les Pénitents noirs à Aubagne du mardi au dimanche, de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, sauf le 11 novembre. Entrée libre.
Lundi 14 novembre à 19h : Lecture par Michael Lonsdale de textes de Louis Massignon et rencontre autour du mythe des Sept Dormants et de l'exposition avec Manoël Pénicaud, Thierry Fabre, Henry Quinson (conseiller pour le film « Des hommes et des dieux » ) et de Michael Lonsdale.
Voir le film de Manoël Pénicaud, qui accompagne l'exposition :
http://youtu.be/1SE1ukOMOOM
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(1) La Sourate XVIII du Coran fait le récit de jeunes Dormants demeurés dans une caverne en compagnie de leur chien durant 309 ans lunaires.
(2) « Les Sept Dormants » - Sept Livres, en Hommage Aux 7 Moines de Tibhirine de Rachid Koraïchi – et exposition présentée à Béziers en 2010.
(3) « Cette exposition anticipe le cinquantenaire de la disparition de Louis Massignon [1883-1962] qui sera célébré en 2012. Louis Massignon, célèbre orientaliste et professeur au collège de France, a été le principal artisan du « réveil » des Sept Dormants au XXe siècle. Il voyait en eux un trait d’union majeur entre islam et christianisme, dans une perspective eschatologique commune [en rapport avec la fin des temps].Véritable précurseur du dialogue islamo-chrétien, on dit à sa disparition qu’il fut « le plus grand musulman parmi les chrétiens et le plus grand chrétien parmi les musulmans ». (extrait du Dossier de Presse de l’exposition, Espaceculture_Marseille)
(4) Un monastère ouvert sur l’Islam selon la volonté de ce prêtre italien qui a fait de ce monastère vieux de plus de 900 ans un lieu de dialogue islamo-chrétien et de tourisme avec une grotte aménagée autour des 7 Dormants.