Algérie: peut-on éviter les scénarios du pire?
Par N.TPublié le
Mais où est passé le chef de l’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika ? Sa dernière prise de parole remonte au printemps 2012, puis il s’est plongé dans le silence, avant de subir, le 27 avril 2013, un AVC traité à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce... Depuis lors, le pays est suspendu à un suspens sur fond de lutte de clans au sommet, à un peu plus de deux mois des élections présidentielles…
Quelques apparitions furtives seulement sur les écrans de la télévision publique, mais pas une déclaration, pas un mot du président, alors même que ses partisans le proclament candidat à un quatrième mandat. Un silence d'autant plus étrange que le pays traverse une crise politique sans précédent. Le secrétaire général du FLN (ex parti unique) -un individu au parcours rocambolesque, soupçonné de graves malversations, propulsé à ce poste dans des conditions pour le moins obscures- torpille dans un journal en ligne le général patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). L'affaire provoque un tollé, l'aparachtik est la cible de critiques, des personnalités crient au complot contre un chaînon sensible de l'armée, d'aucuns y voient une lutte de clans autour de la candidature de Bouteflika. La confusion est à son paroxysme. La voie est ouverte à toutes les dérives... Le président n'en reste pas moins emmuré dans un étrange silence.
Officiellement, Abdelaziz Bouteflika se remet, de mieux en mieux, de son accident de santé. Il dispose encore d’un délai, jusqu’au 3 mars, pour se porter candidat à sa succession. Entre temps, les partis supports du pouvoir (FLN, RND) * propulsés par la fraude électorale au parlement, annoncent la parole à venir du messie qui viendra apaiser le débat. Bouteflika est présenté comme la seule alternative pour la stabilité du pays. Plus de 80 candidats, dont deux anciens premiers ministres et un romancier francophone (lire ci-contre) ont signalé leur candidature. La grande majorité ne passera pas le cap des signatures requises. Le reste sera balayé par un dispositif redoutable de propagande et de fraude électorale, si Bouteflika est en piste.
Les courants d’opposition dénoncent d'ores et déjà ce qu’ils estiment être une supercherie du « clan présidentiel » mais sont dans l’incapacité de la déjouer. Et pour cause, durant les trois mandats de Bouteflika, le clientélisme et la distribution de la rente ont sapé les tentatives de mobilisation citoyenne et la chape de plomb a étouffé l’expression politique.
« Le pouvoir laisse aujourd’hui planer le spectre de l’instabilité, comme il l’a fait durant le printemps arabe en brandissant le spectre du retour de l’islamisme », commente Yacine Teguia, secrétaire général du Mouvement Démocratique et Social (MDS) constitué dans la mouvance communiste. La formation analyse la situation en termes de « rupture avec le système » pour « engager un processus de transition démocratique vers une deuxième République, réviser la Constitution et refonder la classe politique.. ».
Le Front des Forces Socialistes (FFS) qui dispose d’une assise populaire non négligeable en Kabylie, « n’a pas encore arrêté de position officielle. Toutes les options sont sur la table, boycott, participation », explique Youcef Aouchiche, chargé de l’information et de la communication. Le mystère Bouteflika ? « L’agenda du parti ne se détermine pas par rapport à des personnes ».
Cela étant, Bouteflika ou pas, «le pays va de toute façon droit dans le mur », martèle pour sa part Moulay Chentouf, coordonateur du Parti pour la Laïcité et la Démocratie (PLD). « Les tenants du système qui s’obstinent à se maintenir mettent le pays en péril. Le danger est imminent d’un éclatement », dénonce-t-il. Et d’appeler à un rassemblement en urgence des courants d’opposition en faveur du boycott quelle que soit l’issue des présidentielles.
Première formation à avoir prôné la laïcité, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) s’est d’ores et déjà prononcé pour le boycott du scrutin estimant que les conditions ne sont pas réunies d’une rupture avec les « pratiques frauduleuses ». Les islamistes non plus ne seront pas de la partie. Principale formation, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) dénonce « le monopole du pouvoir actuel sur le scrutin présidentiel ».
La presse indépendante voit dans l’offensive pour un quatrième mandat une « prise en otage » (El Watan) d’un président en très mauvaise santé, qui aurait perdu jusqu’à l’usage de la parole, par des hordes d’affairistes qui ont infiltré les milieux politiques, le gros des troupes du «clan présidentiel». L’objectif serait de préserver des intérêts colossaux, de protéger des réseaux de corruption dont les ramifications remonteraient jusqu’à « Monsieur Frère », le cadet, Said Bouteflika, meneur tout puissant de cette bande de ploutocrates, et de se laisser le temps de trouver le nouvel homme du consensus. Mais encore faut-il sortir vainqueur d’une lutte de clans au sommet désormais déclarée au grand jour. Car une chose au moins est sûre : le quatrième mandat de Bouteflika ne fait pas l’unanimité dans les Etats-majors militaires. Les opposants à sa reconduction n’ont pas dit leur dernier mot, un coup de théâtre est encore possible.
Dans tous les cas, le pouvoir qui veut se maintenir à tout prix avec ou sans l’étape Bouteflika prend un pari suicidaire. Le bilan des trois mandats est lamentable. Les gouvernements successifs se sont consacrés à des investissements de prestige sur fond de corruption. Les secteurs de la santé et de l’Education sont délabrés, une privatisation aveugle a démantelé le tissu industriel public, le chômage pousse des vagues de jeunes à l’exil, les islamistes ont pris les commandes d’une économie de bazar, les inégalités se creusent et la régression culturelle s’accélère… Le terrain est miné et le peuple algérien non plus n’a pas dit son dernier mot.