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Aux frontières de l’Europe, la mort comme politique migratoire

Alors que l’Union européenne acte un nouveau durcissement de sa politique migratoire, allant jusqu’à envisager l’externalisation de l’asile hors de ses frontières, un naufrage sur la rivière Save, entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, rappelle une réalité que Bruxelles s’obstine à euphémiser : ces choix politiques tuent. Loin de « réguler » les migrations, l’Europe les rend plus dangereuses, plus violentes et plus meurtrières.

L’information est passée presque inaperçue dans le flux continu de l’actualité européenne. Pourtant, elle marque une étape supplémentaire dans une dérive désormais assumée : les États membres de l’Union européenne ont validé un renforcement significatif de leur politique migratoire, incluant la possibilité de transférer des personnes exilées vers des centres situés hors du territoire européen. Derrière les termes technocratiques — « gestion externalisée », « partenariats opérationnels », « solutions innovantes » — se dessine une réalité brutale : empêcher l’arrivée des migrants à tout prix, quitte à s’affranchir des principes fondateurs du droit d’asile.

Ce durcissement n’est pas le fruit d’un consensus apaisé mais d’un rapport de force politique, porté notamment par des États comme le Danemark, sous la pression constante des droites radicales et des extrêmes droites. Ces forces ont réussi à imposer leur cadre narratif : l’immigration comme menace, l’exilé comme fraudeur potentiel, la frontière comme ultime rempart identitaire. L’Union européenne, loin de constituer un contrepoids, s’est alignée, transformant progressivement ses frontières en zones de non-droit.

Or, presque simultanément, un drame est venu rappeler le coût humain de ces choix. Sur la Save, rivière-frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, une embarcation de fortune a chaviré. Des exilés y ont trouvé la mort, anonymes parmi tant d’autres. Ils tentaient d’atteindre l’espace Schengen par la route des Balkans, devenue l’un des itinéraires les plus dangereux du continent. Ce naufrage n’est ni un accident ni une fatalité : il est la conséquence directe de politiques qui ferment les passages sûrs et légaux, contraignant les personnes à emprunter des routes toujours plus périlleuses.

En prétendant « endiguer » les flux migratoires, l’Union européenne ne fait que déplacer la violence. Les routes se recomposent, s’allongent, se durcissent. Les exilés venus d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou d’Afrique subsaharienne adaptent leurs trajectoires en fonction des murs, des barbelés et des refoulements. Quand la Méditerranée centrale devient impraticable, on passe par la Libye puis la Tunisie. Quand la Grèce se militarise, on traverse les Balkans. Quand les Balkans se ferment, on emprunte les rivières, les forêts, les montagnes.

Externaliser l’asile, déplacer la violence

La Méditerranée, route historique des migrations, reste le cœur de ce système mortifère. De la Libye à l’Italie, de la Tunisie à Lampedusa, des côtes turques aux îles grecques, elle est devenue un immense cimetière marin. Loin d’y mettre fin, les politiques européennes renforcent cette logique : criminalisation des ONG de sauvetage, accords avec des régimes autoritaires pour intercepter les migrants, tolérance active envers les violences aux frontières. La route des Balkans n’est que le prolongement continental de cette stratégie.

La responsabilité politique est pourtant clairement établie. En droit international comme en droit européen, le droit d’asile et la protection des personnes en danger sont des obligations, non des options. En externalisant l’accueil, en fermant les voies légales, en multipliant les refoulements illégaux, l’Union européenne se rend complice de violations systématiques des droits humains. Les morts sur la Save, comme celles en Méditerranée, ne sont pas des tragédies abstraites : elles sont le produit de décisions précises, prises dans des conseils européens feutrés.

Ce durcissement migratoire ne dissuade pas l’exil. Il le rend plus cher, plus violent, plus mortel. Il enrichit les passeurs, fragilise les sociétés de transit, et alimente une économie de la souffrance aux marges de l’Europe. À force de sacrifier ses principes sur l’autel de la peur, l’Union européenne s’éloigne de ce qu’elle prétend incarner.

À la frontière, qu’elle soit maritime ou fluviale, une vérité demeure : tant que l’Europe persistera à répondre à la migration par la répression plutôt que par l’accueil et la solidarité, les naufrages continueront. Et chaque corps retrouvé rappellera, inlassablement, que la fermeture n’est pas une politique, mais une abdication morale.

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