Nos coups de cœur : des créations puisant dans les traditions des cultures méditerranéennes
Par Anonyme (non vérifié)Publié le
PAR NADIA BENDJILALI
La 14ème Fira Meditarrània de Manresa a tenu ses promesses : une programmation dans une dynamique de création avec des premières mondiales, des spectacles inédits et bien entendu un travail de promotion des artistes catalans et de la Méditerranée.
Nous avons choisi de faire un focus sur les seules propositions musicales (ou avec une dimension musicale importante).
Le duo Rocca- Benigni (Italie)
« La Taverna » est un des centres névralgiques de la Fira. Sous ce chapiteau qui sert d’espace gastronomique, les festivaliers partagent la table, la boisson et le banc avec d’autres, en profitant de découvertes musicales en continu. Intriguée par la programmation d’un duo accordéon-clarinette dans un tel lieu, un samedi soir, à 21h, j’ai été écouter la performance du duo composé par Fiore Benigni et Paolo Rocca. Avec un accordéon diatonique et une clarinette, ce duo italien fait des prouesses. D’abord comme passe-murailles entre la tradition de la campagne romaine, le jazz et d’autres mélodies méditerranéennes. Ensuite parce qu’exécuter une musique rigoureuse et aux langages sonores tout en finesse à l’heure où la priorité des festivaliers est leur estomac et dans une ambiance de tablées de ports méditerranéens, a relevé du défi…réussi, à en croire l’effort d’écoute du public conquis par l’interprétation de leur répertoire.
Les écouter sur : http://www.myspace.com/duoroccabenigni
La fusion méditerranéenne avec Aljub & Krama (Pays Valencien –Grèce)
Le pays Valencien est un des territoires de la cartographie catalane. Les formations de folk Aljub et Krama additionnent leurs talents afin de créer un métissage entre les traditions musicales catalane et méditerranéennes : six musiciens avec de la fibre traditionnelle proposant un renouveau par l’ouverture et la fusion.
Le bois des instruments méditerranéens à l’honneur sur scène à Manresa, Aljub & Krama (Nadia Bendjilali )
Annoncée comme une Première en Catalogne, cette création programmée en matinée à la fira, a été pour moi une vraie découverte. Ce qui m’a frappé dans un premier temps c’est la féérie d’instruments traditionnels et folkloriques joués par ces musiciens quarantenaires invitaient le public : vielle à roue, luth, saz, guitare flamenca, mandoline, lyre de Pontos, moraharpa, kamancheh. Multi instrumentistes, chacun des musiciens de cette proposition détient une partie de la magie de cette musique qui met en relief les rythmes de la Méditerranée et la voix de Rafael Arnal est finalement un des instruments virtuoses de ce sextet.
Spyros Kaniaris (guitare flamenca, lyre de Pontos, kamanchech et sarangi) et fondateur du groupe Krama présente ce projet : « Aixandar est le titre de cette deuxième création de Aljub et Krama. Une musique inspirée des chants de travail de la région catalane de Valence mais aussi des musiques en Méditerranée : de ma Grèce natale, des rythmes des Balkans, du flamenco aux apports du groove plus oriental d’Iran ou d’Inde. Il y a croisement entre les traditions populaires et le jazz ou encore l’énergie des musiques progressives. Nous tenons à créer un univers acoustique mais dans une recherche d’intensité et de vitalité, dans un esprit rock.»
Il faut le dire : ce mélange entre les percussions, les instruments à cordes et cette voix au mélisme qui orne toutes les paroles a mérité l’ovation du public. Espérons que les programmateurs présents à la fira seront aussi enthousiastes et que cette création sera diffusée sur les scènes du pourtour méditerranéen.
Une chanteuse d’ehno-jazz méditerranéen, Tamara Obrovac
Tamara Obrovac, à Zagreb en 2011 (T. Genc)
La chanteuse, flutiste et compositrice croate présente son projet « Tamara Obrovac Transhistria ensemble » avec quatre compagnons de pays voisins, deux slovènes, un croate et un italien.
Nourrie au jazz méditerranéen, la musique de Tamara évolue à partir de la créativité de l’artiste et de son don pour marier racines du jazz et traditions folkloriques de la région côtière de l'Istrie en Croatie.
Improvisation inventive, création d’un univers où l’auditeur peut se poser, performances vocales et communication avec le public sont les ingrédients de cette proposition musicale.
Tamara Obrovac expérimente les frontières du jazz. Son dernier opus, « Madirosa », sorti en 2011, élargit son expression artistique avec le son d’un quatuor à cordes, et poursuit son approfondissement des traditions de la Méditerranée. « Madirosa » me confie t’elle, « est un mot poétique de mon invention pour dire la Méditerranée ».
Son site: http://www.tamaraobrovac.com
Habibi-Amado : deux mots pour designer l’être aimé
Public, professionnels et critiques venus en nombre suivre les deux représentations étaient captivés par cette démonstration en images, textes, danses et musiques du pont spirituel entre Occident et Islam. Ce spectacle de la compagnie de théâtre indépendante espagnole Viridiana Production est exemplaire d’une coopération maroco-espagnole tant dans sa coproduction (le festival «Pirineos Sur» en Espagne et le festival L’Boulevard de Casablanca) que dans sa distribution artistique.
Ce théâtre contemporain a su mettre la projection d’images sur les tulles comme sur les corps des artistes au service de la poésie. La danse derviche et contemporaine de Mohamed El Sayed apporte beaucoup à cette immersion dans le mysticisme de l’Islam et permet, y compris aux non hispanophones et au non arabophones, de suivre les paroles et vers des grands maitres soufis dans une ambiance de transe. Beaucoup d’émotion dans les rangées du Théâtre Conservatoire de Manresa et sur les visages des spectateurs en sortie de spectacle. Un regret tout de même : le côté par trop didactique de ce parcours en poésie soufie.
Mention spéciale au quartet de flamenco au féminin : las Migas
Las Migas, 14è Fira Meditarrània de Manresa (Nadia Bendjilali)
Les origines géographiques des quatre filles qui composent le quatuor sont très diverses : une guitariste de Séville et l’autre originaire de Bretagne, une violoniste allemande et une toute nouvelle « cantaora » native quant à elle de Barcelone. Ce qui fait liant entre toutes ces « miettes » (traduction littérale de « migas ») est leur envie de faire du flamenco: une musique avec des racines traditionnelles à laquelle elles apportent leur sensibilité féminine pour moderniser subtilement un répertoire et le mêler avec d’autres styles.
Le concert de Manresa était très attendu parce qu’il marquait un moment clé dans la vie de cette formation avant-gardiste : première scène en Catalogne avec la voix d’Alba Carmona.
Rencontre avec Isabelle Laudenbach, à sa sortie de scène
Médiaterranée: Quelles sont les grandes étapes de la vie du groupe jusqu’à ce jour ?
Isabelle Laudenbach : Le quatuor est né en 2004 autour de l’Ecole Supérieure de Musique de Catalogne et de notre envie de nous exprimer autour du flamenco. A peine sorties de nos formations respectives, nous nous disions que si le flamenco était le pain, nous en étions les miettes, d’où le choix de ce nom de groupe. L’identité de « Las Migas » s’est forgée à partir de nos expériences : nous étions et nous sommes toujours un groupe de flamenco mais nous avons choisi résolument de laisser la porte ouverte à ce qui se présentait. Notre premier disque « Las reinas del matute » est sorti en 2010. Il nous a fallu ce temps là car nous aimons travailler dans le détail, avec beaucoup de perfectionnisme, dans une démarche qui s’apparente à la création en musique classique. Aujourd’hui, une nouvelle étape s’ouvre à nous : l’intégration d’Alba Carmona avec sa voix plus flamenca, une force toute particulière, nous porte pour renouveler notre création tout en confirmant le style « Las Migas ». Une nouvelle tournée et la préparation en cours d’un nouveau disque que nous enregistrerons en février prochain (sortie en mai 2012) nous occupent.
Vous avez ce soir donné à voir et en entendre une figure de la polyphonie partagée par de nombreuses cultures en Méditerranée. Etes-vous dans cette filiation ?
I.L.: Nous ouvrons des chantiers d’exploration quand, comme ce soir, pour la première fois, nous chantons en catalan, et en polyphonies toutes les quatre. Le chœur est devenu un des marqueurs de notre groupe. Peut-être parce que pour nous la question du groupe est au cœur de notre démarche : le flamenco impose souvent la figure d’un artiste qui est accompagné. Dans Las Migas chanter ensemble représente cet esprit collectif, plus dans l’idée d’une chorale qu’avec des références méditerranéennes.
C’est sur les paroles de la chanson de Llasa « con toda palabra » que vous avez choisi d’ouvrir le concert de ce soir. Pourquoi cet hommage ?
I.L. : La base du groupe est toujours le flamenco. C’est ce qui nous a unit il y a huit ans et qui continue à nous unir. Notre répertoire se nourrit aussi de nos propositions. L’hommage à Llasa représente beaucoup pour moi puisque j’en suis à l’origine. Il se trouve que Lhasa était beaucoup plus connue en France qu’en Espagne, d’une part, et que je me suis rendue compte, a posteriori, que son travail, et en particulier l’album « La Llorona », m’a beaucoup nourri musicalement donc finalement compte parmi les références et les apports au projet de notre formation depuis ses débuts. Je suis donc heureuse de l’interprétation d’Alba.
Accompagnées à Manresa d’une contrebasse et d’une batterie, les quatre dames ont confirmé leur place singulière dans le panorama actuel du flamenco : de la fraicheur, de la délicatesse, de la modernité…et beaucoup de talent pour faire évoluer les schémas traditionnels du flamenco.
Les découvrir plus avant sur : www.lasmigas.com
Marseille à la fira…
Je ne saurai terminer cette sélection sans un mot pour le projet de Dj Kayalik accompagné par Papet J, tous deux membres du mythique Massilia Sound System de Marseille qui, dans le cadre de leurs carrières en solo, ont fait résonner l’occitan ragga dans un nouveau geste musical festif dans la nuit de Manresa!
Sélection et propos recueillis par Nadia Benjilali
NADIA BENDJILALI