Libye : cinq ans de chaos au nom de la démocratie
Par N.TPublié le
Un groupe « d’inclination islamiste » s’est emparé, le 14 octobre, du siège de l’ancien Parlement. Un défi au gouvernement officiel qui illustre le chaos régnant dans le pays, cinq années après la mise à mort du dictateur Kadhafi. De fait, la Libye ne trouve toujours pas la voie de la démocratie promise par les puissances intervenantes en 2011. Et pour cause. Celles-ci cherchaient surtout à éliminer un obstacle à leurs intérêts économiques.
Ils étaient censés savourer la démocratie, une fois débarrassés d’un redoutable dictateur… Voilà qu’ils végètent sur un territoire en fragments, déchiré par d’interminables affrontements communautaires, entre milices armées jusqu’aux dents et seigneurs de guerre omnipotents sur des régions entières… Cinq années après la chute, dans le sang, de Mouammar Kadhafi, la population libyenne regarde, impuissante, son pays sombrer dans le chaos. Cinq années après le lynchage, le 20 octobre 2011, particulièrement sauvage, du zaïm, maître absolu de Tripoli, le sort de la Libye est devenu un feuilleton à rebondissements. Dernier épisode en date : un étrange coup de force, semblable à un coup d’État, perpétré par un groupe issu du bloc politico-militaire, Fajr Libya (Aube de la Libye, d’inclination islamiste), qui avait pris les commandes de la capitale entre 2014 et 2016. Ce dernier s’est emparé, vendredi 14 octobre, du siège de l’ancien Parlement.
Conduite sous l’autorité de l’ancien premier ministre Khalifa Al Ghowel, l’opération porte en fait un défi à celle du gouvernement d’union nationale, qui a la bénédiction des Nations unies. Al Ghowel a même sonné le rappel de ses anciens ministres et ordonné la suspension de ceux qui sont actuellement en poste. Le représentant spécial de l’ONU, Martin Kobler, a aussitôt «condamné». La France a fait de même. «Nous réitérons notre plein soutien au gouvernement d’entente nationale du premier ministre Fayez El Sarraj», a déclaré le porte-parole du Quai d’Orsay, Romain Nadal, condamnant «l’occupation par la force du Conseil d’État» libyen. À l’heure où ces lignes sont écrites, la situation demeure confuse. Les hypothèses d’un dénouement évoquent des tentatives d’alliance avec d’autres groupes armés opposés au gouvernement d’union nationale et avec l’autre gouvernement qui siège à l’est du pays, soutenu par le général Khalifa Haftar qui veille sur les champs pétroliers.
Champ de mines...
La Libye est ainsi devenue un champ de mines. «Notre vie était meilleure sous Kadhafi», affirme une citoyenne citée par l’AFP. Cette femme avoue toutefois avoir «honte» de ses propos quand elle « pense à tous ces jeunes qui ont donné leur vie pour nous délivrer du tyran». L’intervention étrangère a eu des «conséquences catastrophiques, surtout comme facteur aggravant», confirme le chercheur Ali Bensaad. Et celles-ci ont révélé, peut-on ajouter, une tromperie à grande échelle, fondée sur des scénarios inventés de toutes pièces.
«Nos forces aériennes s’opposeront à toute agression du colonel Kadhafi contre la population de Benghazi», avait martelé Nicolas Sarkozy en mars 2011. «Nous avons bombardé les troupes de Kadhafi à Ajdabiyah et ainsi permis à l’opposition de les chasser. Nous avons bombardé ses défenses aériennes», avait renchéri Barack Obama. Les puissances occidentales, États-Unis en tête, surfaient en réalité sur les printemps arabes – débutés en décembre2010 en Tunisie – pour dégager Mouammar Kadhafi, premier obstacle à leurs intérêts politico-militaires et financiers.
Gare à ce «chien fou du Moyen-Orient», mettait déjà en garde le président américain Ronald Reagan, qui avait tenté de l’assassiner en 1986 en bombardant son palais. Et pour cause, le leader libyen avait pris la tête d’une opposition inconditionnelle à toute présence militaire en Afrique, à laquelle se ralliait Nelson Mandela. Il ambitionnait surtout une intégration africaine grâce aux richesses pétrolières. Quelque 300 millions de dollars avaient été investis, à son initiative, dans le premier satellite panafricain Rascom, 30 autres milliards avaient servi à la construction d’un gigantesque système d’irrigation et des dizaines de millions avaient également renfloué la Banque africaine de développement (BAD) et le Fonds monétaire africain. Son élection, en 2009, à la tête de l’Union africaine, avait fait craindre aux Américains une montée en puissance de ses projets, tout autant que le ralliement de nombreux pays africains. Le zaïm libyen s’était en plus permis de contrecarrer la stratégie d’implantation des multinationales américaines. Il avait notamment décidé d’annuler un contrat d’un milliard de dollars avec Bechtel, géant des travaux publics aux États-Unis. Kadhafi s’était fait aussi des ennemis en France. «Nicolas Sarkozy lui avait déroulé le tapis rouge, en décembre 2007, en échange de quelque 14 milliards de dollars de contrats. Finalement, il n’y a rien eu ou très peu par rapport à ce qui avait été promis», rappelle Antoine Glaser, journaliste et écrivain, auteur notamment d’«AfricaFrance» (Éditions Fayard, 2014).
Cinq années après l’assassinat de Kadhafi, la Libye s’enfonce ainsi plus que jamais dans une impasse politique à hauts risques. La chute du dictateur a ouvert la voie à une interminable guerre interne meurtrière. Véritables commanditaires de l’opération, menée avec l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis ont anéanti le seul obstacle à l’implantation militaire occidentale en Afrique. L’histoire retiendra une gigantesque imposture au nom de la démocratie, avec des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.