Algérie : malgré les inquiétudes, la vie reprend son cours à In Amenas (Reportage)
Par N.TPublié le
Près d'une semaine après la prise d'otages de Tiguentourine, qui s'est dénouée dans un bain de sang avec la vie fauchée de 37 âmes, la vie reprend son cours à In Amenas, mais non sans crainte pour l'avenir.
In Amenas est la ville la plus proche du site ciblé par l'attaque. Elle est située à 50 km à l'est de Tiguentourine, à 30 km de la frontière algéro-libyenne, et à 1.500 km au sud-est d'Alger.
Depuis mercredi dernier, la population d'In Amenas, habituée à la quiétude du désert, ne parle que de l'événement qui a plongé cette petite ville de moins de 10.000 habitants dans l'incertitude.
La vie quotidienne reprend comme avant...
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la présence policière n'est pas renforcée outre mesure dans les rues de la ville.
Des convois de l'armée et de la gendarmerie traversent la ville pour accompagner de hauts responsables civils ou militaires qui arrivent ou qui partent vers l'aéroport, situé à une dizaine de kilomètres.
Les va-et-vient des hélicoptères de l'aéroport vers le site gazier ont cessé depuis l'annonce samedi dernier de la fin de l'assaut des forces spéciales.
"Les véhicules des forces de sécurité ne sont pas plus visibles que d'habitude", confirme Nabil S., un marchand de thé sur la place du marché. Non loin de lui, un gendarme monte la garde. "Des consignes nous ont été données pour plus de vigilance", résume-t-il.
Pendant les quatre jours qu'a duré la prise d'otages, les écoles, les magasins et les administrations publiques n'ont pas fermé. L'évènement n'en demeure pas moins dans tous les esprits et sur toutes les lèvres.
Dans les cafétérias de la ville, les gens échangent sans cesse et dans le vacarme au sujet des circonstances de l'attaque terroriste, de la libération de otages et des victimes, avant de s'interrompre subitement pour écouter les dernières infos diffusées en boucle par les chaînes de télévisions.
En raison de la rétention de l'information par les autorités et de l'interdiction d'approcher le site gazier, des journalistes viennent camper dès la matinée devant le portail de l'hôpital In Amenas, dont l'accès est également interdit, dans l'espoir de capter la moindre image d'une ambulance qui transporte des blessés ou des cadavres vers l'aéroport.
Malgré l'interdiction d'entrée, on a toutefois pu interroger par téléphone un rescapé qui a passé une nuit dans cet hôpital pour des soins aux pieds suite à une blessure par balles lors des premières minutes de l'attaque des terroristes. Cherif B raconte avoir passé trois jours d'affilée sous un bus pour échapper aux ravisseurs.
L'inquiétude persiste...
Désarçonnés par la tragédie et son évolution, les habitants de cette commune, qui compte parmi les plus riches d'Algérie, restent très inquiets.
Saïd S, un père de trois enfants, proche de la soixantaine qui vit à In Amenas depuis 28 ans où il travaille en tant que responsable administratif à Sonatrach (compagnie pétrolière nationale), confie son appréhension.
"C'est maintenant que la situation a connu son dénouement que les pires scénarios me viennent à l'esprit. Et si les terroristes avaient réussi comme ils souhaitaient à tout faire exploser ?", s'interroge-t-il.
"Aujourd'hui, nous craignons que des terroristes soient encore dans les alentours et qu'ils enclenchent une nouvelle action criminelle pour venger leurs acolytes et défier les autorités. Des opérations qui auront des conséquences désastreuses", s'inquiète-t-il.
Pour sa part, Mohamed B., un homme de 30 ans et propriétaire d'un véhicule 4x4 qu'il loue aux particuliers, exprime sa crainte quant à l'avenir de la ville. "Depuis des années, notre ville attire des milliers de personnes venues des quatre coins du pays, voire du monde entier, pour y travailler sur les chantiers gaziers que recèle la région. Mais depuis l'attaque, j'ai un fort sentiment que l'économie locale va subir les conséquences de plein fouet", estime-t-il.
Pour Daoud M, un marchand de fruits et légumes sur la placette de la ville, "la quiétude qu'on croyait éternelle à In Amenas a été ébranlée...".
"Avant cette attaque, In Amenas était considérée comme un havre de paix, en dépit de ce qui se passait en Libye et au Mali. Nous nous disions que le risque est à la limite de la frontière, qui se trouve très loin d'ici. L'autre élément qui nous inspirait confiance c'est la présence sécuritaire dans la ville et autour des sites industriels. Mais avec ce qui vient de se passer, on se rend compte que ce n'était que pure illusion", commente-t-il.
Les forces de sécurité mises à rude épreuve...
Les agents de la police et de la gendarmerie, ainsi que les sapeurs pompiers et le corps médical, traversent une épreuve difficile.
"Depuis les premiers instants de l'attentat, nos unités ont été mises en état d'alerte maximum", confie un policier affecté depuis plus de deux ans à In Amenas.
"J'éprouve des difficultés à trouver le sommeil. Je suis vraiment sous pression et c'est le cas de tous les collègues", confie-t-il.
Les habitants que nous avons interrogés s'abstiennent en général de commentaires au sujet du mode opératoire de l'armée. Certains ne cachent pas cependant leur admiration des forces spéciales de l'armée, communément appelés les "Paras de Biskra", une ville à 425 km au sud-est d'Alger où se trouve leur unité d'entraînement.
"Ces soldats sont parfaitement entraînés pour de telles circonstances, ils sont à saluer pour le boulot qu'ils ont fait", se réjouit l'un des interlocuteurs. Selon lui, "sans eux, le bilan aurait été encore plus lourd".
Jeudi dernier, l'armée algérienne a donné un assaut de trois jours d'affilée su une installation gazière située dans la province d'Illizi (1.700 km au sud-est d'Alger) pour libérer les 790 travailleurs que compte le complexe, dont 134 étrangers de 26 nationalités différentes qui s'y trouvaient retenus en otages depuis mercredi par un groupe terroriste, composé de 32 éléments issus de huit pays.
L'opération, qui s'est achevée samedi, s'est soldée par la mort de 37 otages, dont 36 ressortissants étrangers de huit nationalités, et un Algérien. Cinq étrangers sont toujours portés disparus, selon les chiffres communiqués par le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal lors d'une conférence de presse tenue lundi 21 janvier à Alger.