à l’inverse de la cohorte de députés qui poussent à sa destitution, Mme Rousseff n’est pas sous le coup d’une enquête pour enrichissement personnel... (DR)

Brésil: la destitution de Dilma Rousseff, une imposture et une tache indélébile sur la démocratie

L’opposition parlementaire a ouvert la voie à la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff. La droite est à la manœuvre pour la reconquête du pouvoir au moyen d’une manipulation politico-médiatique de grande ampleur.

A Brasilia, les commanditaires du « gople » -coup d’Etat qui ne dit pas son nom- ont gagné une première manche dans la bataille parlementaire engagée contre la présidente Dilma Rousseff. L’opposition a validé dimanche 17 avril la procédure de destitution de celle-ci avec 376 voix pour et 137 contre. Il revient à présent au Sénat de se prononcer à une majorité simple (41 votes sur 81) pour parachever une manœuvre menée à coup d’arguments fallacieux, au fil d’une campagne mêlant manifestations de rue, soutien médiatique et offensive sur les réseaux sociaux. L’objectif provisoire est d’écarter Mme Rousseff de ses fonctions durant un maximum de 180 jours, de la mettre en accusation, de la soumettre à une enquête et de la juger en séance plénière au Sénat en vue sa destitution définitive… le coup de grâce.

« S’opposer à moi, me critiquer fait partie de la démocratie. Mais démettre une présidente élue de façon légitime, sans que celle-ci ait commis un quelconque crime (…) n’est pas le jeu démocratique. C’est un coup d’Etat », dénonçait publiquement la présidente à la veille du scrutin. « Accepter qu'un président puisse être destitué pour des fautes supposées dans des actes administratifs amènerait à une dangereuse criminalisation de l'exercice du Gouvernement pour des raisons simplement politiques », mettait en garde de son côté le Secrétariat Général de l'UNASUR (1).

Pas de quoi dissuader la droite brésilienne occupée à mener une cabale politico-médiatique dont le discours dominant entretient un amalgame avec l’enquête dénommée « Lava-Joto » (Kärcher) liée au scandale de corruption de la compagnie nationale d’hydrocarbures Petrobras et impliquant le Parti des travailleurs (PT, gauche) de la présidente. Mais pas seulement. Mme Rousseff est aussi accusée d’avoir maquillé des comptes publics pour favoriser sa réélection en 2014.

Le vice-président Michel Temer, un calife embusqué

Un « crime de responsabilité », crient ses détracteurs, en prenant soin de passer sous silence les nombreuses malversations dans leur camp ainsi que la sombre réputation de son vice-président Michel Temer, patron du PMDB (2) (parti centriste qui s’est dégagé de la coalition gouvernementale) gravement corrompu, en embuscade pour occuper le poste présidentiel dans l’intervalle des élections, alors même que 60% des brésiliens souhaitent sa destitution ou sa démission, selon l’institut de sondage Datafolha.

A l’inverse de la cohorte de députés qui poussent à sa destitution, Mme Rousseff n’est pas sous le coup d’une enquête pour enrichissement personnel, pas plus d’ailleurs que son prédécesseur Luiz Inacio Lula. Mais peu importe, la droite s’emploie à répandre cette image dans l’opinion en diabolisant le parti des travailleurs (PT). Une droite particulièrement déchaînée qui fait feu de tout bois, met à profit la crise économique, exploite les attentes des classes moyennes dans la lancée du malaise social qui s’est exprimé dans la rue en juin 2013, use d’un discours populiste et fortement conservateur, voire  haineux. L’appel à la destitution est un écran de fumée qui cache un travail de sape idéologique et des objectifs fondamentalement politiques : revenir sur les acquis sociaux, privatiser les entreprises publiques, imprégner à l’économie une orientation ouvertement libérale.

La bataille parlementaire engagée contre Mme Rousseff révèle en fait la montée en puissance de la droite dans la diversité de ses mouvances, du courant libéral étroitement lié au patronat, à la tendance fascisante, raciste, en passant par les conservateurs qui fustigent « l’assistanat ». La conjoncture internationale lui est de plus favorable : «  défaite du Parti socialiste unifié (PSUV), au Venezuela, en décembre 2015, une certaine victoire de la droite en Bolivie qui a réussi à empêcher la réforme de la Constitution pour que Morales ne puisse pas se représenter, la victoire de la droite en Argentine… » rappelle MauriceLemoine, ancien rédacteur en chef du «Monde diplomatique » et auteur des « Enfants cachés du général Pinochet» (Éditions Don Quichotte) (HD n°…).

« Le camp qui perdra, quel qu'il soit, sera dans la rue », pronostique Sylvio Costa, responsable du site Congresso em Foco, cité par l’AFP. Le Brésil est effectivement à un tournant. Les mesures sociales de Lula ont certes sorti des dizaines de millions de brésiliens de la pauvreté, mais la récession qui plombe le pays, la pire depuis des décennies selon nombre d’observateurs, a remis les compteurs à zéro. Baisse des prix des matières premières, poussées inflationnistes, montée du chômage… les effets combinés de la crise ont à l’évidence pris de cours Dilma Rousseff. « Nous allons faire nos devoirs, resserrer le contrôle de l’inflation et respecter les limites imposées par notre situation budgétaires », annonçait-elle au début de son deuxième mandat. Elle s’est ainsi tout juste mis à dos les plus à gauche de ses partisans, sans pour autant convaincre les milieux d’affaires demandeurs d’un bouleversement radical.

Lula en tête des sondages

Considérablement affaiblie, la gauche brésilienne est tout compte fait au terme d’un cycle, contrainte de renouveler son projet de société en tenant compte des aspects structurels d’une économie fragilisée par son dépendance aux marchés des matières premières. Cette «panne » explique sans doute l’acharnement de l’opposition qui se déploie tout azimut pour pulvériser la gouvernance de Dilma Rousseff, sans attendre le terme du mandat. Le temps presse, d’autant qu’il y a un risque, et pas des moindres : le retour, toujours possible de l’ex-président. Son entrée au gouvernement est jusque-là suspendue par une Justice qui fait complaisamment le jeu de la droite, mais il n’en reste pas moins très populaire, considéré comme l’homme qui pourrait changer la donne en apportant un nouveau souffle au peuple de gauche. Selon un récent sondage de l’institut Datafolha, Lula serait dans tous les cas en tête des intentions de vote, avec 21 % des suffrages, talonné par son ancienne ministre de l’environnement, l’écologiste Marina Silva. Les candidats de la droite serait systématiquement mis hors course. Le scénario cauchemar qu’il faut à tout prix éviter.

Présentée comme une initiative historique de redressement politique, d’assainissement au plan éthique, la procédure de destitution est en réalité une manipulation démagogique de la droite, toutes tendances confondues, pour la reconquête du pouvoir. Pour preuve : le programme néolibéral concocté avec le concours du patronat dans la perspective du départ précipité de Dilma Rousseff. Une imposture à grande échelle.

(1)L’Union des nations sud-américaines. Organisation intergouvernementale intégrant deux unions douanières présentes dans la région : le Marché commun du Sud (Mercosur) et la Communauté andine (CAN), dans le cadre d'une intégration continue de l'Amérique du Sud.
 
(2) Parti du mouvement démocratique brésilien (centriste) qui a quitté la coalition gouvernementale le 29 mars 2016