Tunisie: une démocratie au goût amer
Par N.TPublié le
Les islamistes tunisiens du parti Ennahda raflent la mise au premier scrutin libre pour l'élection d'une assemblée constituante. Sévèrement réprimés au temps de Ben Ali, ils savourent une remarquable revanche sur le sort qui leur était réservé.
Ici même, nous écrivions récemment que le vent de révolte qui balaya la ploutocratie régnante stoppera la montée des intégristes islamistes qui se sont fait une santé à la faveur du désordre postrévolutionnaire.
Il faut croire que cette santé-là est bien meilleure que ce que l'on pouvait imaginer. Gavés de financements occultes (les mauvaises langues évoquent le Qatar), les troupes d'Ennahda ont à l'évidence bien occupé le terrain et mené une campagne qui s'est avérée efficace. Elles ont su convaincre une partie de la jeunesse désabusée, mais pas seulement. Leurs prêches politisés ont également fait recette auprès de larges fractions des classes moyennes sensibles aux assurances claironnées par la formation sur le thème de "l'islamisme modéré" et qui ont surtout perdu toute confiance dans le personnel politique "classique".
Dès lors, une question s'impose, qui est sur toutes les lèvres des femmes et des hommes dans le camp laïque: la révolution du jasmin va-t-elle tourner court, emprunter un tournant fatal, amorcer une régression, laisser le champ libre à un régime autoritaire fondé sur la religion, après avoir nourri de grands espoirs de libertés?
Les dirigeants d'Ennahda proclament la main sur le cœur qu'ils ne porteront pas atteinte aux droits acquis des femmes et des minorités. Ils souhaitent la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Ceci, pour le discours officiel. Dans la réalité, tout dépendra forcément du rapport de force entre un courant radical qui gonfle à la base du mouvement et les positions plus pondérées affichées au sommet.
Dans tous les cas, le fait est, heureusement, que le parti islamiste n'a pas les coudées franches. Il n'a pas la majorité absolue, deux partis de gauche lui collent au train, qui vont sans doute jouer le rôle de garde-fous évitant à la société tunisienne de basculer dans l'obscurantisme durant cette période décisive d'élaboration de la Constitution.
Reste l'enthousiasme dont ont fait preuve les électeurs qui se sont rendus en masse et fièrement aux urnes, pour faire triompher la Démocratie, fut-elle, pour nombre d'entre eux aujourd'hui, d'un goût amer.