Tunisie: des « failles » dans le dispositif de sécurité ont permis aux tueurs de faire un carnage
Par N.TPublié le
Deux années après le double assassinat, le 6 février et le 25 juillet 2013, de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, dirigeants du Front populaire, mercredi 18 mars est une nouvelle page tachée de sang de l’histoire de la jeune démocratie tunisienne… L’empreinte du bras armé de l’intégrisme islamiste, d’une seule et même barbarie, comme à Paris, à Copenhague, en Libye, en Irak, au Yémen…
Le bilan, très lourd, de l’attaque du musée du Bardo à Tunis – 23 morts dont 20 touristes étrangers –, à l’heure du débat parlementaire sur la loi antiterroriste, confirme une réalité doublement redoutable : la présence de réseaux dormants capables de frapper au cœur du pouvoir en appui des groupes armés qui évoluent sur le mont Chaambi, à la frontière avec l’Algérie, et les ramifications entre ces mêmes réseaux et le djihadisme en pleine expansion en Libye, en Syrie, en Irak et au Sahel.
Selon le communiqué de l’« État islamique », diffusé sur Twitter le 19 mars, ce sont « Abou Zakaria Al Tounsi » et « Abou Anas Al Tounsi », « deux chevaliers de l’État du califat », qui ont commis l’acte abominable au musée du Bardo, une cible de choix car « située dans le carré sécuritaire du Parlement tunisien ». Les tueurs de l’« EI » ont pu y accéder sans rencontrer de résistances. Ils ont pris le temps de fusiller des cars de touristes avant de prendre en otage plusieurs d’entre eux dans le musée. La riposte a posteriori des unités spéciales n’a fait que limiter les dégâts. Le carnage programmé a sans doute eu lieu dans les conditions prévues. Premier constat : le dispositif de sécurité n’était pas suffisant.
Le président tunisien Béji Caïd Essebsi a reconnu des « failles » dans le dispositif. « En amont, la police et le renseignement n’ont pas été assez systématiques pour assurer la sécurité du Musée », a-t-il admis dans une interview publiée samedi 21 mars sur le site de l’hebdomadaire français Paris Match.
Il est désormais nécessaire d’avoir « davantage de coopération entre l’armée et les forces de sécurité intérieure », avait déclaré auparavant le chef du gouvernement, Habib Essid, lors d’une conférence de presse.
La parenthèse islamiste a été fatale, à plus d’un titre...
« Les structures (sécuritaires) ne sont pas adaptées. Il faudrait que la chaîne de commandement soit efficace, c’est-à-dire que les ordres passent avec fluidité », estime Ahmed Driss, président du Centre des études méditerranéennes et internationales (CEMI), regrettant que la réforme des services de sécurité ait tant tardé.
« Il faut absolument une coopération. (...) Mais c’est structurel et les évolutions structurelles prennent du temps. Or là, on est dans l’urgence », commente de son côté la chercheuse et membre de l’Observatoire tunisien de la sécurité globale, Chahrazed Ben Hamida.
Les services tunisiens n’ont apparemment pas tiré les leçons des attentats de même nature commis dans la capitale algérienne, notamment celui du 11 avril 2007 qui visait le palais du gouvernement (12 morts et 135 blessés).
Le dispositif sécuritaire tunisien n’est donc pas à la hauteur de la menace. L’islamisme radical a en effet gangrené une partie de la société, notamment dans une jeunesse confrontée au chômage, au mal-vivre, à l’absence de perspectives.
Cette situation à très hauts risques s’est s’aggravée trois années durant sous la coupe du parti islamiste Ennahda, apprenti sorcier hors catégorie, maître d’œuvre d’une régression politique et sociale de grande ampleur, qui a fait preuve d’une complaisance complice à l’égard des mouvements salafistes, fermant l’œil sur la caporalisation de pans entiers de la société : chasse aux étudiantes non soumises aux diktats vestimentaux dans les universités ; interdiction de la consommation d’alcool dans tous les faubourgs et les villes et chantage à l’aide sociale contre une allégeance aveugle dans les poches, nombreuses, de misère. La parenthèse islamiste a été fatale, à plus d’un titre. Ses conséquences sont encore lourdes de risques pour la jeune démocratie.
La coalition dirigée par les libéraux de Nidaa Tounès sera-t-elle à la hauteur de la résistance admirable de la société civile à l’islamisme ?