Des primes sucrées aux enquêteurs de police au nez et à la barbe du fisc... (DR)

France: ces affaires d’Etat qui ébranlent la République

Des « affaires d’Etat », l’expression s’impose désormais dans les commentaires, tant les doutes s’effacent au fil des rebondissements. Entre le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, l’arbitrage privé qui a renfloué Bernard Tapie, le bruit des casseroles que traîne Claude Guéant, les manœuvres pour le moins obscures de Christine Largarde et les révélations sur les fraudes fiscales, flotte comme une odeur de scandale qui sème le trouble dans l’opinion et réjouit l’extrême-droite.

Dernier épisode de ce roman noir de la République : le rendez-vous en début de semaine de Bernard Tapie avec la police. Ce dernier avait à s’expliquer sur les soupçons autour de son implication dans le règlement du contentieux avec le Crédit Lyonnais. L’homme d’affaire a empoché 403 millions d'euros en juillet 2008, dont 45 au titre du « préjudice moral ». Son avocat, Maurice Lantourne, a été placé en garde à vue à son tour mardi 25 juin.

Le  dossier est épais. Ce que l’on sait jusque-là, en attendant des suites probablement stupéfiantes : la partialité des arbitres a été établie. Le rôle des protagonistes est précisément cerné. L’implication de Nicolas Sarkozy via Claude Guéant, alors en poste à l’Elysée, exécuteur des basses œuvres avec la complicité de la ministre de l’Economie, se confirme. Reste aux enquêteurs à trouver le fil conducteur, le mobile, l’explication finale de ce gros biscuit refilé à Bernard Tapie. Résultat de l’étape: les magistrats ont dessiné les contours d’une «escroquerie en bande organisée», mettant en examen l’un de trois arbitres, Pierre Estoup, l’ancien directeur de cabinet de Lagarde, Stéphane Richard, et l'ex président du CDR (organisme de liquidation du Crédit Lyonnais), Jean-François Rocchi. Sous le coup d’une enquête de la Cour de justice de la République (CJR), Christine Lagarde est quant à elle placée sous statut provisoire de témoin assisté.

Personnage clé dans ces arrangements, l’ex-secrétaire général de l’Elysée défraie par ailleurs la chronique pour son rôle présumé dans le financement par Kadhafi de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Des proches de l’ancien régime avaient menacé de vendre la mèche à la veille de l’intervention en Libye en 2011. Les soupçons ressurgissent aujourd’hui. Dans une interview à l'émission « Complément d'enquête », diffusée sur France 2, jeudi 20 juin, un ancien diplomate libyen a réitéré ces accusations, appuyant celles de l’homme d’affaire Ziad Takieddine qui ont déclenché l’ouverture en avril 2013 d’une information judiciaire par le parquet de Paris.

Ces révélations ramènent chaque fois à Claude Guéant, à ses aller-venues entre Paris et Tripoli, à ses relations avec des hommes d’affaires qui s’engraissaient en Lybie. Dès lors, la Justice explore la piste de fonds suspects repérés sur son compte que Guéant attribue pour sa part à des ventes de tableaux et à une étrange prestation à une société jordanienne. Des réponses cocasses, qui prêteraient vraiment à rire si elles ne concernaient pas un fonctionnaire qui évoluait dans les hautes sphères de l’Etat. En attendant le dénouement de ce scénario rocambolesque, l’ex-ministre de l’Intérieur alimente aussi les discussions de comptoirs pour les 10.000 euros qu’il empochait mensuellement en liquide. Des primes sucrées aux enquêteurs de police au nez et à la barbe du fisc. Autre fait pour le moins trouble révélé par Paris-Match, l’ex-ministre a acquis en 2008 pour 700.000 euros et au comptant un appartement de 90 m2 dans un quartier parisien…

Au même chapitre des révélations, est inscrit désormais le renflouement en catimini des comptes de la Société Générale par Christine Lagarde lors de l’épisode Kerviel. Un milliard 700 millions d’euros ont été versés à la banque en  application d’une mesure qui lui permet de récupérer ses pertes à hauteur de 33% si elles résultent d’une action frauduleuse. Mais l’ex-ministre s’est empressée de le faire avant même que ne tombe la condamnation du trader. « Pourquoi ce dédommagement a-t-il été versé alors que le défaut de surveillance de la banque sur son employé est attestée par l’organisme professionnel bancaire qui en est chargé, ce qui interdisait tout dédommagement de la part de l’Etat ? », s’interroge par ailleurs Jean-Luc Mélenchon sur son blog.

C’est en fait la face cachée de l’opération : peu importe le sort du trader, la réalité de sa culpabilité, l’important était d’éviter l’effondrement de la Société Générale, de mettre en péril le système bancaire international. Pari gagné donc pour la ministre qui pense avoir ainsi tenu son rôle protecteur des puissances d’argent, alors que dans le même temps, la fraude fiscale battait son plein. Et le scandale Cahuzac, surtout, n’a pas fini de faire des vagues. Ce dernier va se fendre d’un ouvrage et dans le tissu de ses relations, on tremble déjà. Par ailleurs, Pierre Condamin-Gerbier, qui fut jusqu'en 2009 directeur de la délégation UMP en Suisse, donc aux premières loges, a affirmé au Journal du Dimanche (16/6) détenir les preuves qu'une quinzaine de personnalités politiques auraient fraudé le fisc français. Peut-être une nouvelle bombe à retardement.

Une toile se dessine ainsi d’un enchevêtrement d’affaires d’Etat, pain bénit pour les apprentis sorciers qui trépignent d’impatience dans les rangs de l’extrême-droite, pressés de ficeler des discours populistes, antirépublicains.