Le Mali, otage meurtri des rivalités djihadistes
Par N.TPublié le
Frappé au cœur de sa capitale, Bamako, par un attentat terroriste particulièrement meurtrier, le 20 novembre dernier, le Mali fait face à un retour en force des groupes islamistes armés. En 2013, l’opération militaire française « Serval » avait pour but de les faire disparaître…
Une semaine à peine après les attentats de Paris et de Saint-Denis, les organisations terroristes islamistes ont à nouveau fait l’actualité en frappant, vendredi 20 novembre au matin, dans l’enceinte de l’hôtel Radisson Blu à Bamako, capitale du Mali. Les assaillants y ont retenu en otages, durant au moins 9 heures, quelque 170 clients et employés. L’intervention combinée des forces maliennes, des forces spéciales françaises et d’agents de la MINUSMA (Mission de l’ONU au Mali) a permis l’exfiltration de 133 personnes, selon le ministère malien de la Sécurité. Le dernier bilan communiqué par les autorités fait état de 22 personnes tuées et de 6 blessés.
À l’heure où ces lignes sont écrites, l’incertitude demeure quant au nombre d’assaillants. Des témoins affirment avoir vu quatre hommes en armes, tandis qu’il est officiellement annoncé la mort de «deux terroristes» à peine âgés de 20 ans. L’attaque a été aussitôt revendiquée par le groupe djihadiste de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar Al Mourabitoune, dit le Borgne, qui fut à l’origine des attentats de 2013 sur le complexe gazier d’In Amenas en territoire algérien. Deux jours après, une autre organisation, le Front de libération du Macina (FLM), a également revendiqué l’attaque. Elle affirme avoir agi en collaboration avec le groupe Ansar Dine, fondé par Iyad Ag Ghali, figure historique du mouvement rebelle touareg malien. Autre fait établi deux jours après l’attentat : le pôle judiciaire de Bamako spécialisé dans la lutte contre le terrorisme a conclu à la présence de «complices» qui auraient permis l’accès à l’établissement.
Des groupes dans des zones hors de contrôle
Les mesures de sécurité font débat, l’opposition malienne jugeant qu’elles ont été insuffisantes depuis l’attaque du bar-restaurant La Terrasse qui avait fait cinq morts en mars dernier à Bamako. Le gouvernement se défend, lui, de tout laxisme. «Le mode opératoire de ces terroristes est tel que, quelles que soient les mesures, on peut difficilement être à l’abri. Partout dans le monde, il est difficile de prévenir de tels actes terroristes. Mais c’est vrai que nos forces armées et de sécurité ont eu suffisamment de formation pour réagir», a rétorqué Boubacar Touré, secrétaire à la Communication du bureau politique du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti présidentiel. «L’hôtel Radisson, contrairement aux discours officiels et à l’apparence, n’était nullement sécurisé. En effet, aucun dispositif sécuritaire digne de ce nom n’y était déployé afin de déjouer cet attentat. (…) De temps en temps, et surtout lors des grandes rencontres, l’on pouvait constater la présence d’un petit cordon sécuritaire avec quelques éléments du GMS (Groupement mobile de sécurité). Cependant, le laxisme sautait à l’œil», relève-t-on par ailleurs sur le site maliactu.net.
Pourquoi le Mali se trouve-t-il à nouveau en première ligne face à une offensive terroriste de l’islamisme radical ? Chassés du nord du pays par les troupes françaises dans le cadre de l’opération «Serval» (1) prolongée par le dispositif «Barkhane», les groupes armés se sont dispersés dans des zones hors de tout contrôle et restent très mobiles. Ces derniers ont conservé une force de frappe et entendent bien le démontrer dans un contexte de grande rivalité entre organisations au sein de la nébuleuse. «Les coups qu’ils ont reçus dans le nord du Mali les ont désorganisés, alors ils doivent montrer qu’ils sont encore capables de frapper», explique l’ex-chef des services de renseignements maliens Soumeylou Boubèye Maïga, cité par le journal «le Monde» (23 novembre). Ils avaient pour objectif «de montrer leur capacité de nuisance (…), ce type d’attaque leur sert à prendre une place dans la configuration de la nébuleuse terroriste internationale», a déclaré Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, interrogé à propos des deux revendications successives au lendemain de l’attaque de Bamako.
Compétition entre Daech et al-Qaida
L’islamisme radical au Sahel se greffe également sur les luttes d’influence et rapports de forces entre différents mouvements autonomistes touaregs, le tout sur fond de jeu d’alliances avec les deux grands pôles de l’islamisme international : «Il existe désormais une compétition en Afrique entre les groupes affiliés à Daech et ceux affiliés à al-Qaida, qui tourne de plus en plus à la faveur de Daech. Il est évident que le timing de l’attentat (de Bamako – NDLR), une semaine jour pour jour après celui de Paris, signe au moins l’inspiration terroriste de Daech», décrypte l’islamologue Mathieu Guidère.
Directeur de recherche à l’Institut des mondes africains, Francis Simonis estime pour sa part que les nombreuses attaques, «qui ont fait plus de 400 morts depuis janvier 2015», portent plutôt l’empreinte d’al-Qaida. «Il n’y a pas d’éléments objectifs qui permettent d’établir une implantation de Daech sur les zones sahéliennes, rappelle-t-il. Nous sommes en présence de deux problèmes qui se superposent : la présence de groupes salafistes qui continuent à entretenir des liens avec la population et des affrontements intercommunautaires entre Touaregs. L’opération “Serval” a surtout servi à empêcher des conquêtes territoriales, mais rien n’est fondamentalement réglé. »
L’objectif des uns et des autres est dans tous les cas de contrecarrer l’accord de paix «d’Alger» (2) signé le 20 juin dernier entre le pouvoir central malien et les groupes armés du Nord, constitués en Coordination des mouvements de l’Azawad. Ces derniers ont unanimement condamné l’attentat de Bamako.
Les accords d’Alger dans le viseur djihadiste
Dans un document sonore d’une vingtaine de minutes diffusé avant les attentats de Paris et authentifié par les autorités maliennes, le chef de l’organisation Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, dénonce cet accord ainsi que la présence française et appelle les jeunes du nord du Mali à se mobiliser.
Concernée au premier chef, l’Algérie voisine a placé ses frontières sous haute surveillance. Son ministre des Affaires étrangères ne perd pas espoir dans une reprise en main de la situation par les autorités maliennes. Il importe pour cela de mettre réellement en place «les dispositifs de défense et de sécurité de l’accord pour donner à l’État les moyens d’affirmer son autorité dans les régions du Nord», estime M. Lamamra. Fortement fragilisées, les autorités maliennes optent dans l’immédiat pour le «tout-sécuritaire» dans un contexte à très hauts risques…
(1) Opération «Serval» : opération militaire menée au Mali par l’armée française. Lancée en janvier 2013, elle s’est achevée en juillet 2014. Les forces engagées dans le pays ont depuis intégré un dispositif régional, intitulé opération « Barkhane ».
(2) L’accord d’Alger est signé en 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad, une alliance de groupes armés rebelles touaregs et arabes regroupant le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, une aile du Mouvement arabe de l’Azawad, la Coalition du peuple pour l’Azawad et une aile de la Coordination des mouvements et Front patriotique de résistance (CM-FPR).