Rim et Sarah, anciennes élèves de Sciences Po : « Il faut déjouer les thèses des politiques qui travaillent à discréditer les étudiants »
Par Nadjib TOUAIBIAPublié le
Sarah et Rim (les prénoms ont été modifiés) sont à l’origine d’une tribune qui rassemble des anciens élèves de Sciences Po en soutien à la mobilisation des étudiants de cette même institution pour la cause palestinienne. Leur tribune a été publié par Mediapart et mediaterranee.com. Elles ambitionnent d’amplifier le rassemblement tandis que la tuerie de masse se poursuit à Gaza, avec, notamment, les derniers massacres dans la ville de Rafah à la suite d’une attaque israélienne sur un lieu de cantonnement de civils. Un piège épouvantable tendue par l’armée de Netanyahu.
Mediaterranee. Qui êtes-vous précisément, quel est votre itinéraire ?
Sarah : je suis une ancienne étudiante de Sciences Po titulaire d’un master en politique environnementale. De confession juive, je n’en suis pas moins fortement impliquée dans les manifestations de défense de la cause palestinienne en réaction à la dévastation de l’enclave de Gaza et au terrible bilan de victimes civiles.
Rim : Pour ma part, je suis libanaise et algérienne, de nationalité française. Je suis également diplômée de Sciences Po en relations internationales et doctorante à la Sorbonne. J’ai toujours été très engagée en faveur de la cause palestinienne, notamment aux côtés de l’association France Palestine sur le campus de Menton.
Quel est le motif d’une votre implication, la particularité de la cause, le degré d’atrocité des crimes ?
Sarah : J’ai grandi dans une partie de ma famille qui est juive et qui a des liens très forts avec Israël. Quand j’étais plus jeune, je pensais que tout ce qui se passait était normale et qu’il n’y avait pas forcément de problèmes avec l’État d’Israël. Mais au fil de mes études, j’ai rapidement pris conscience de l’ampleur d’un déni face à la réalité de ce que vivent les Palestiniens. Dès lors, et parce que je suis juive, je me sens une responsabilité morale face au génocide en cours.
Rim : J’ai grandi au Liban, j’ai été confrontée à la violence israélienne depuis mon jeune âge, notamment lors de la guerre de 2006. Ma famille a été touchée en 1982, mon père a été contraint à l'exil. Je partage avec Sarah ce sentiment de responsabilité morale. Mon implication s’est accrue face au silence entretenu dans les milieux politico-médiatiques autour de la cause palestinienne et à ce qui ressemble à une interdiction absolue de critiquer Israël sous peine d’être taxé d’antisémite.
De quelle façon s’organise votre mobilisation, quels sont vos objectifs ?
Sarah : Avec Rim on s’est rencontrées, il y a seulement quelques semaines, lors de mobilisations que je suivais de très près à Sciences Po Paris. L’intervention de la police dans l’enceinte universitaire pour déloger les étudiants était choquante. C’était un fait grave et inédit. Ce traitement des étudiants a déclenché la volonté de leur venir en aide et de les soutenir concrètement. Nous avons mis nos idées en commun, l’écriture et la publication d’une tribune a été le premier acte. Nous travaillons depuis lors au renforcement d’un comité de soutien aux étudiants. Beaucoup de personnes nous rejoignent.
Rim : Cette mobilisation est une histoire de synergie, on a été surprises par le nombre de signatures, les anciens élèves sont nombreux à vouloir manifester leur présence auprès des étudiants qui luttent, qui résistent et ne se laissent pas impressionner par la répression. Nous tissons des liens avec le mouvement associatif qui s’exprime tout haut au sujet de la Palestine.
Avez-vous rencontré des obstacles, reçu des menaces ?
Sarah : Nous n’avons pas reçu de menaces, la difficulté s’est surtout de déjouer les récits des politiques qui travaillent à discréditer les étudiants aux yeux de l’opinion. On veut à tout prix faire passer la thèse d’un groupe minoritaire radicalisé. Politiques et journalistes se relaient pour enraciner cette idée dans l’esprit du public et nous avons de notre côté du mal à nous faire entendre dans les médias.
Rim : Pas de menaces effectivement, mais c’est aussi parce que nous sommes restées très prudentes sur les réseaux sociaux. S’agissant des médias, seul Mediapart a publié notre tribune, Libération n’a pas donné suite, Le Monde a constamment reporté sans jamais le faire.
Quelle est votre opinion sur les positions officielles de la France ?
Sarah : Elles sont déprimantes, tant elles sont timides, réservées, font constamment la part belle à Israël. On ne les comprend pas vu l’ampleur des crimes. Pour ma part, je suis d’autant plus galvanisée et motivée à agir. Je garde l’espoir que les choses changent au plus vite.
Rim : Ce qui se passe est injuste et malhonnête. L’attitude des étudiants n’en reste pas moins encourageante, la répression ne fait qu’accroitre leur visibilité. Il faut les soutenir et les aider à se faire entendre dans l’opinion. La situation a Gaza a atteint un seuil cauchemardesque. Nous n’avons aucune excuse devant l’Histoire.