Italie : la flat tax séduit encore les investisseurs, malgré les doutes de Bruxelles
À l’aube de 2026, Rome ajuste son modèle fiscal. Entre le maintien du régime forfaitaire pour nouveaux résidents et de nouveaux crédits d’impôt pour les entreprises, l’Italie confirme sa stratégie d’attractivité économique — mais sous haute surveillance européenne.
Un modèle d’attractivité sous tension
Alors que plusieurs pays européens durcissent leurs régimes fiscaux, l’Italie fait le pari inverse : garder une fiscalité douce pour attirer les fortunes et les capitaux étrangers. Mais à la veille de 2026, cette stratégie rencontre ses limites.
La présidente du Conseil, Giorgia Meloni, a obtenu le vote de confiance du Sénat sur la loi de finances 2026 quelques jours avant Noël. Un budget prudent, mais qui confirme le maintien du régime de “flat tax” pour les nouveaux résidents — un dispositif souvent comparé à celui de la Suisse ou du Portugal avant la fin de son “golden visa”.
Ce régime, en vigueur depuis 2017, permet aux contribuables étrangers installés en Italie de payer un impôt forfaitaire annuel sur leurs revenus étrangers : 200 000 €, quel que soit le montant des revenus. Une manne pour les résidents à haut patrimoine, notamment français, britanniques ou suisses, qui cherchent à échapper à la fiscalité de leur pays d’origine.
Mais ce succès suscite désormais des interrogations à Bruxelles. Selon un rapport de la Commission européenne publié fin 2025, ce type de régime « crée des distorsions fiscales à l’intérieur du marché unique » et pourrait faire l’objet d’un réexamen communautaire. « L’Italie marche sur une ligne de crête », estime un économiste de la LUISS à Rome. « Elle veut rester attractive, mais sans apparaître comme un paradis fiscal au cœur de l’Europe. »
Le retour d’un “flat tax” renforcé
Le gouvernement italien assume sa stratégie. Depuis l’été 2024, le décret-loi Omnibus a relevé la contribution forfaitaire annuelle à 200 000 €, mais a en parallèle élargi la durée d’application et simplifié les conditions de résidence fiscale. Résultat : les demandes de transfert de résidence vers l’Italie ont bondi de 28 % en 2025 selon le ministère des Finances.
Les régions les plus attractives restent la Lombardie, la Toscane et la Ligurie, où se concentrent les nouveaux arrivants fortunés. « Les Français représentent désormais près de 15 % des bénéficiaires du régime », confirme un avocat fiscaliste milanais.
Outre les particuliers, le gouvernement espère séduire les investisseurs étrangers et les entrepreneurs du numérique, en facilitant la création de sociétés résidentes fiscalement en Italie.
Cette politique s’accompagne de nouveaux dispositifs d’incitation pour les entreprises, inscrits dans la loi de finances 2026.
Nouveaux leviers fiscaux pour entreprises et innovation
L’autre pilier du budget 2026, c’est l’investissement productif. Rome relance son dispositif de crédits d’impôt pour la recherche et l’innovation et introduit un nouvel avantage fiscal baptisé IRES Premiale 2025.
Ce mécanisme accorde une réduction d’impôt sur les bénéfices réinvestis dans des activités stratégiques, notamment industrielles ou environnementales. Le taux de réduction varie selon la nature de l’investissement, mais peut atteindre jusqu’à 15 % pour les projets créateurs d’emplois.
Parallèlement, le gouvernement renforce les incitations pour les entreprises implantées dans les régions du Sud — Sicile, Calabre, Campanie — avec des zones fiscales spéciales et des exonérations partielles d’impôts sur les sociétés pendant plusieurs années. « Nous voulons orienter les capitaux vers les territoires en difficulté, pas seulement vers Milan ou Rome », expliquait le ministre de l’Économie, Giancarlo Giorgetti, lors du débat budgétaire.
Ces mesures s’inscrivent dans une logique de relocalisation industrielle et de transition écologique, soutenue par les fonds du plan européen NextGenerationEU.
Un budget de rigueur qui ménage l’attractivité
Mais la générosité de ces dispositifs a un prix. Le budget 2026 prévoit une baisse du déficit public à 3,8 % du PIB, après 4,4 % en 2025. Pour y parvenir, le gouvernement a dû introduire de nouvelles taxes sectorielles, notamment sur les banques et les assurances, censées rapporter 11 milliards d’euros par an.
Ces mesures compensatoires, qualifiées de “temporaires”, inquiètent certains investisseurs. La Banque centrale européenne a d’ailleurs averti Rome que ces prélèvements pouvaient « affaiblir la liquidité du système bancaire italien » à moyen terme.
Malgré ces tensions, les agences de notation maintiennent une perspective stable sur la dette italienne, en raison du dynamisme de l’investissement étranger et du redressement de la croissance, attendue à 1,1 % en 2026.
Une attractivité réelle pour les Français fortunés
Pour les investisseurs français, le régime italien reste un outil puissant d’optimisation patrimoniale. Un résident fiscal français qui transfère sa résidence en Italie peut bénéficier de la flat tax tout en continuant à percevoir des revenus immobiliers ou financiers de source étrangère, sans les déclarer individuellement en Italie.
Le pays attire également des entrepreneurs de la tech et du luxe, séduits par un environnement fiscal stable et une qualité de vie élevée. Des régions comme la Toscane ou la Sardaigne voient ainsi émerger de véritables pôles d’expatriés haut de gamme, comparables à ceux du Portugal il y a quelques années.
Ce tournant intervient alors que la cheffe du gouvernement fait l’objet d’un examen de sa politique économique, comme le montre notre article sur le bilan contrasté de Giorgia Meloni. « C’est une formule adaptée aux grands patrimoines, pas une échappatoire universelle », rappelle un conseiller fiscal basé à Turin.
Entre opportunité et vigilance
Si l’Italie confirme son rôle de place fiscale alternative en Europe, le contexte reste fragile. Les pressions européennes et les contraintes budgétaires pourraient, à moyen terme, réduire les marges de manœuvre du régime de faveur. Déjà, plusieurs partis de gauche ont réclamé une « révision équitable » du dispositif, jugé trop favorable aux plus riches.
Mais pour l’heure, Rome joue la carte de la stabilité : maintenir la flat tax, simplifier les règles d’installation, soutenir l’innovation et attirer des capitaux dans un pays où la fiscalité reste, globalement, plus douce que dans la plupart des grandes économies européennes.
L’équation est délicate, mais stratégique : faire de l’Italie un pont fiscal entre l’Europe du Nord et la Méditerranée, dans une dynamique déjà visible à travers le dynamisme économique et social du pays.