Égypte: sous l’ère Al Sissi, les compteurs de la Révolution remis à zéro
Par N.TPublié le
Trois années après la destitution de l’islamiste Mohamed Morsi par le général Abdel Fattah Al Sissi, intronisé en mai 2014 à la tête de l’État, la répression bat son plein, le pouvoir d’achat des Égyptiens s’est effondré et le taux chômage dépasse les 12 %.
Le cas est sans doute unique dans l’histoire judiciaire de l’Égypte… L’ex-président islamiste Mohamed Morsi, destitué en juillet 2013 par l’armée, a été condamné à mort, à 20 années d’incarcération et à la prison à vie dans quatre procès distincts. Sa descente aux enfers a débuté il y a trois ans, plus précisément le 30 juin 2013, soit un an après son investiture. « Erhal ! » (dégage !) crient ce jour-là des millions de manifestants rassemblés à l’appel du mouvement Tamarod (Rébellion), créé à l’initiative de jeunes révolutionnaires, dont une pétition réclamant la démission du président aurait collecté 22 millions de signatures.
Morsi, la chute...
L’armée entre alors en scène, après avoir lancé une mise en garde à Mohamed Morsi avant un discours qu’il tient le 26 juin pour tenter de désamorcer la contestation croissante. « Nous lui avons dit de faire court, de répondre aux exigences de l’opposition de former un gouvernement de coalition et d’amender la Constitution et de fixer un calendrier précis pour ces deux initiatives », explique un officier présent à la rencontre avec le chef de l’État, cité par l’agence Reuters. Morsi fait la sourde oreille. À l’expiration d’un ultimatum, il est alors destitué et placé aux arrêts le 3 juillet par le général Abdel Fattah Al Sissi, qu’il avait nommé à la tête de l’état-major des forces armées.
L’Égypte tourne la page d’un bref épisode de pouvoir islamiste. Candidat de « deuxième choix » de la Confrérie des frères musulmans, Morsi paie le prix de sa dérive totalitaire sur fond de graves incompétences de l’exécutif dans un contexte économique très dégradé. Le général Al Sissi, rendu à la vie civile, lui succède le 28 mai 2014, élu à la tête de l’État avec 96,1 % des suffrages et le soutien des pays occidentaux, États-Unis en tête.
Trois années après, le bilan Al Sissi est avant tout celui d’une répression implacable des Frères musulmans. Selon des sources concordantes, 83 % de leurs principaux dirigeants végètent en prison, 6 % sont morts en détention, 11 % auraient trouvé refuge à Istanbul, au Qatar, en Europe ou aux États-Unis. Près d’un millier d’entre eux auraient été tué le 14 août 2013, lors de l’évacuation des places Raba’a al-Adawiya et Nahda, au Caire, selon les ONG. Leurs ressources économiques et financières ont été asséchées, la majorité de leurs grandes entreprises ont été mises sous séquestre.
Répression tous azimuts
Le pouvoir d’al-Sissi n’épargne pas non plus les démocrates et les laïcs. Nombre de jeunes révolutionnaires, héros de la place Tahrir, ont été embastillés ou interdits de sortie du territoire. Le 4e anniversaire de la Révolution – le 25 janvier 2015 – qui a mis à bas le régime de Moubarak a été endeuillé par la mort d’une vingtaine personnes, dont une jeune militante de gauche, Shaima Al Sabbagh. Plus récemment, le 25 avril 2016, au moins 152 manifestants, âgés de 20 à 25 ans, ont été arrêtés en application des lois interdisant les rassemblements et condamnés à des peines allant de deux à cinq ans de prison.
La rétrocession par le gouvernement égyptien de deux îles de la mer Rouge à l’Arabie Saoudite, grand allié, ébranle l’opinion, jusque dans le camp du pouvoir. Les protestations ont vite fait de déborder désormais sur le terrain social. Car l’espoir « pain et liberté » s’est tristement éteint. Le pouvoir d’achat s’est effondré, le taux de chômage avoisine les 13 % dans une économie ou le secteur touristique, sous les menaces terroristes, s’effondre. Là est l’autre volet du bilan al-Sissi qui remet à zéro tous les compteurs de la Révolution.