Mickaël Iancu, directeur de l'Institut Maïmonide, fait le vœu d'une Méditerranée apaisée pour 2012
Par nicolas éthèvePublié le
Après avoir reçu Dalil Boubakeur, le Recteur de la Mosquée de Paris, en octobre pour ouvrir son programme de rencontres et de grandes conférences, l'Institut Maïmonide prépare sa rentrée 2012 avec la venue, ce lundi 9 janvier, de Yossi Gal, l'ambassadeur d'Israël en France. Le diplomate y évoquera dès 20h, sous les voûtes de la salle Pétrarque, à Montpellier, la place d'Israël dans un nouveau Moyen-Orient marqué par le Printemps arabe 2011 et la possible reconnaissance internationale d'un État Palestinien.
L'occasion de faire le point avec Mickaël Iancu qui, à 38 ans, est le directeur de cet Institut Euro-Méditerranéen depuis sa création en l'an 2000 par le Grand Rabbin René-Samuel Sirat et Georges Frêche, cet élu qui avait été abusivement taxé d'antisémitisme pour ses propos sur « la tronche pas catholique », de Laurent Fabius.
Également directeur de la délégation Languedoc-Roussillon de Yad Vashem et enseignant d'Histoire en Roumanie, Mickaël Iancu a accepté de porter son regard sur quelques questions d'actualité incontournables. Entretien...
L'Institut Maïmonide entre dans sa douzième année d'existence. D'où est partie l'idée de sa création ?
« C'est une idée qui est partie de la redécouverte à Montpellier du Mikvé médiéval. Daté du 12ème siècle, ce Mikvé est l'un des plus anciens bains rituel juif d'Europe. Étant entendu que Montpellier a des racines hébraïques importantes - elle était connu au Moyen Âge dans le monde juif euro-méditerranéen, comme une montagne sainte -, cette idée de la création d'une structure sur les études juives est apparue comme une évidence.
Il a fallu ensuite choisir son nom. Celui de Maïmonide s'est imposé d'emblée pour l'Institut ?
Au début, nous avions pensé à d'autres grands sages juifs médiévaux qui ont contribué à véhiculer tout le savoir ibérique d'expression arabe, toute la pensée d'Aristote, toute l'exégèse et le mysticisme juifs... Mais Maïmonide était plus connu, puisqu'il est resté à la postérité auprès du grand public. Et puis son nom est très attaché à l'histoire de Montpellier. Son ouvrage phare, Le Guide des Perplexes, a été traduit en 1230, l'année de sa mort, près de Montpellier, à Lunel, par Samuel Thibon. Et 26 ans, après sa mort, il y a eu beaucoup de controverses autour de sa pensée. Deux branches du judaïsme montpelliérain qui pensaient chacune œuvrer sincèrement dans l'intérêt de la religion juive se sont affrontées, avec d'un côté, les plus rigoristes qui étaient pour une lecture fidéiste de la loi de Moïse, et de l'autre, ceux que l'on appellerait aujourd'hui les rationalistes, et qui voulaient concilier la foi et la raison en suivant les préceptes maïmonidiens. Aujourd'hui, on peut dire que c'est Maïmonide qui l'a emporté, puisqu'il y a des écoles à son nom dans le monde entier, alors qu'au Moyen Âge, on a anathémisé ses écrits, on a critiqué son enseignement. Son ouvrage avez été écrit pour ceux que l'on appellerait aujourd'hui des « intellos », et la masse n'en a pas compris la substantifique moelle. Mais, effectivement, Maïmonide n'a pas du tout dénaturé la loi de Moïse en l'intégrant à la sagesse grecque. C'était un intellectuel au sein du monde juif qui avait tort d'avoir raison trop tôt, comme on avait Averroès pour l'Islam, ou Saint Thomas d'Aquin pour la Chrétienté. Ce sont trois grands noms monothéistes qui ont concilié la foi et la raison très tôt.
Vos cycles de rencontres et de grandes conférences s'attachent à cultiver un dialogue monothéiste, comme le montrent l'invitation récente du Recteur de la Mosquée de Paris ou celle à venir, en février, de l'archevêque de Montpellier, Pierre-Marie Carré. Quel souvenir gardez-vous de la venue de Dalil Boubakeur et quelle est le sens de cette démarche interreligieuse pour l'Institut ?
Il y avait beaucoup de monde à la rencontre avec le Recteur de la Mosquée de Paris et elle s'est fort bien passée. Dalil Boubakeur est un homme délicieux, un sage, un savant. Il incarne cet Islam éclairé, ouvert, intellectuel, un peu à l'image des grands sages médiévaux, comme Averroès, ou d'autres, encore. Il nous a passionné par sa lecture du voyage de Benjamin Tudèle. C'est un homme fantastique, nous étions très fiers de le recevoir à l'Institut. Pour ce qui concerne le sens de cette démarche interreligieuse, nous pouvons également lui trouver des racines très loin dans le passé. L'histoire juive de Montpellier, notamment au Moyen Âge, c'est l'exégèse, le mysticisme, la médecine, mais c'est aussi le dialogue interreligieux, dans les murs de Montpellier, la Tolérante. Grâce à l'édit de Guilhem VIII de Montpellier promulgué en 1181, les juifs ont été relativement bien accueillis dans cette « ville de la Montagne », notamment sous les rois d'Aragon. C'est pour tout cela que le dialogue entre les religions du Livre est un pilier très important de l'Institut Maïmonide.
Votre prochain invité est l'ambassadeur d'Israël en France. Yossi Gal doit notamment évoquer la place d'Israël dans un nouveau Moyen-Orient marqué par le Printemps Arabe 2011. Quel est votre avis sur cette question ?
Pour moi, le Printemps Arabe, c'est d'abord un formidable élan populaire dans le monde arabo-musulman, qui voulait dire son refus de la tyrannie, de la dictature, et exprimer un désir immense de démocratie, de liberté. C'est ce que l'on a pu voir dans de nombreux pays arabo-musulmans. Israël peut être inquiet, si de l'espérance, on bascule au fondamentalisme, si l'Islam radical prend le pouvoir. Cela pourrait effectivement être dangereux pour Israël... Mais on n'en est pas encore là et je pense qu'il faut espérer que la paix, peut-être, débouchera, qui sait ?
Justement, quel est votre point de vue sur l'évolution du conflit israélo-palestinien ?
Le mot paix, c'est l'espérance que les Palestiniens et les Israéliens ont depuis des décennies. Ils ont, les uns et les autres, raté le train de l'histoire plusieurs fois. Ils sont condamnés à s'aimer et à s'entendre. Pour cela, il faut qu'il n'y ait pas de fondamentalisme et d’extrémisme, mais malheureusement, de part et d'autre, pour l'instant, c'est un dialogue de sourds. On perd du temps. Je suis cependant convaincu que l'on arrivera à une convivienza entre les deux peuples, comme on l'a vu au Moyen Âge, dans l'Andalousie des trois cultures. Pour cela, il faut passer de l'enseignement du mépris ou de l'ignorance à celui de l'estime. Les Palestiniens connaissent mal les Israéliens et les Israéliens connaissent mal les Palestiniens. Je suis convaincu que l'on peut résoudre ce problème par la connaissance et l'instruction, dès le plus jeune âge.
Que pensez-vous de l'entrée de la Palestine à l'Unesco ? Est -ce pour vous une solution de paix d'avancer sur ce chemin ?
La résolution de ce conflit se fait attendre depuis longtemps, mais on y arrivera un jour : la France et l'Angleterre ont bien eu la Guerre de Cent ans au Moyen Âge et la France et l'Allemagne ont connu trois conflits, avant de connaître la paix.... Donc les Israéliens et les Palestiniens y arriveront aussi, ce sont des Sémites. Depuis le début, la résolution de ce conflit doit passer par la création de deux États : un État juif et un État palestinien. Après, c'est à eux de s'entendre. Certains jugeront que des étapes sont peut-être brûlées concernant l'entrée de la Palestine à l'Unesco... Mon point de vue personnel, c'est qu'il faut deux États : un État Israélien et un État palestinien (musulman et chrétien). Il faut arriver à un Modus Vivendi. Le problème, c'est que chaque fois que l'un était prêt, l'autre ne l'était pas et ne le voulait pas. Personnellement, ma position n'a jamais varié. Je suis pour un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, c'est la seule solution et j'espère qu'ils y arriveront. Maintenant, je suis triste de voir qu'il y a une radicalisation de part et d'autre, notamment au sein de la société gazaoui qui souffre beaucoup. Je ne pense pas que la solution du Hamas soit la bonne, car il prône un Islam contre l'existence même d'Israël. Je pense que la voix du dialogue passera plus par Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne.
Comment avez-vous réagi à la manifestation des juifs orthodoxes qui a secoué la société israélienne ces derniers jours ?
Au sein du monothéisme, il y a une recrudescence du fondamentalisme. On l'a vu récemment à Paris avec les chrétiens fondamentalistes qui se sont opposés à une pièce de théâtre qui, entre guillemets, se moquait un peu de Jésus. On a aussi l'islamisme radical qui est sur la scène internationale aujourd'hui. Pourquoi le monde juif y échapperait ? On a également, nous aussi, nos barbus exaltés qui proposent une vision fondamentaliste des textes sacrés. Il ne faut pas qu'ils prennent trop d'ampleur en Israël : Israël est une démocratie, ils doivent rester à leur place. Je suis contre tout fondamentalisme, qu'il soit musulman, juif, chrétien... C'est très dangereux et il faut le condamner.
Quels sont vos vœux pour la Méditerranée en 2012 ?
Je fais le vœu d'une Méditerranée apaisée avec toutes ses composantes, notamment pour ce qui est du monothéisme juif, chrétien et musulman. Une Méditerranée qui comprendrait Israël et la Palestine, avec le mot paix en trait d'union entre ces deux peuples qui ont payé un lourd tribu et qui aspirent légitimement à une coexistence harmonieuse ».