Marseille : La Villa Méditerranée est-elle un plagiat ?
Par jcsPublié le
La Villa Méditerranée, le nouvel édifice emblématique de Marseille, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes, est-elle un plagiat ? Un jeune architecte affirme que les concepteurs du bâtiment se sont inspirés de l’un de ses projets.
C’est le quotidien La Provence qui s’est le premier fait écho de cette information. Hier, le journal annonçait que Mohamed Ali Chafter, un architecte établi dans la région lyonnaise, avait entamé une procédure judiciaire pour “non-respect de la propriété intellectuelle.”
Estimant que la Villa Méditerranée a repris l’un de ses projets d’étude, il attaque l’Agence Régionale d’Equipement et d’Aménagement (AREA), et demande 3,5 millions d’euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
L’AREA est la structure liée au Conseil Régional PACA pour les dossiers d’aménagement urbains. C’est donc elle qui a piloté le projet de la Villa Méditerranée, et qui a choisi les architectes pour mener à bien le chantier.
C’est en 2004 que l’AREA a désigné une équipe de trois architectes, Stefano Boeri (Milan), Jean-Pierre Manfrédi et Ivan Di Pol (tous deux Marseillais), pour réaliser le bâtiment à l’entrée du Vieux-Port.
La structure, en forme de L renversé, est des plus innovantes, et le porte-à-faux, à l’avant du bâtiment, est particulièrement impressionnant. C’est même “une prouesse technique, unique au monde”, selon l’architecte italien, Stefano Boeri.
Une ressemblance saisissante
Oui mais voilà... En 2001, après ses études à l’école d’architecture de Luminy, à Marseille, Mohamed Ali Chafter présente un projet à l’école de Marne-la-Vallée, où il termine sa spécialisation.
Il imagine alors une grande mosquée, construite avec un porte-à-faux au-dessus d’un bassin. Il situe l’ouvrage à l’emplacement même de la future Villa Méditerranée.
La ressemblance avec le bâtiment réalisé par le trio Boeri-Manfrédi-Di Pol est saisissante. L’image du projet conçu par M. Chafter est visible sur le site de La Provence. Le porte-à-faux, le bassin, l’emplacement, les coïncidences sont déjà troublantes.
Elles le deviennent encore plus quand M. Chafter assure avoir été en relation avec le cabinet d’architectes de Jean-Pierre Manfrédi en 2003. Mis en contact avec le bureau marseillais par un ancien collègue étudiant, M. Chafter présente ses travaux, mais la collaboration ne va pas plus loin.
Quelques mois plus tard, le projet de la Villa Méditerranée, et son fameux porte-à-faux, est sélectionné par l’AREA. M. Chafter se rend compte du plagiat, mais il ne dit rien pendant très longtemps. Il ne souhaite pas mettre en porte-à-faux (justement) le collègue qui lui a présenté M. Manfrédi.
Cet ancien étudiant est d’ailleurs aujourd’hui employé auprès d’Ivan Di Pol, et il a travaillé au projet de la Villa Méditerranée. “Chafter délire, et en plus, il croit à son délire. Je n’ai jamais fait le rapprochement entre son projet et la Villa Méditerranée”, dit-il dans les colonnes de la Provence d’hier.
En 2012, finalement, M. Chafter range ses scrupules et se décide à réagir. Il contacte l’AREA, pour tenter de trouver une solution à l’amiable.
Sa démarche reste vaine, et il choisit alors de porter l’affaire en justice. Hier, le Tribunal de Grande Instance de Marseille a examiné le dossier pour la première fois, mais l’audience devait porter essentiellement sur la forme, non sur le fond.
La procédure promet d’être très longue, mais M. Chafter et son avocat, Me Sube, semblent déterminés. “Si un client me demande un porte-à-faux, Boeri peut m’attaquer au titre de la propriété intellectuelle. J’ai décidé de me défendre en toute humilité”, disait l’architecte lyonnais, hier, toujours dans les colonnes de La Provence.
La Région mise au courant par la presse
Aujourd’hui, la Région Provence Alpes Côte d’Azur, qui a intégralement financé la Villa Méditerranée (70 millions d'euros), a vivement réagi à cette affaire. D’autant plus qu’elle n’a été mise au courant que par voie de presse.
Dans un communiqué, Michel Vauzelle, le président du Conseil Régional PACA, a ainsi demandé "la réunion immédiate d'un Conseil d'administration extraordinaire de l'AREA."
Il précise en outre que “quelle que soit la pertinence de l'accusation (de plagiat), la Région déplore que l'AREA ait manqué à son devoir élémentaire d'information”, et que le Conseil d’administration extraordinaire devra “tirer toutes les conséquences d'une telle carence.”
La collectivité engagera "toute action utile" envers la partie que le tribunal "jugerait fautive”, conclut le communiqué.
Sans préjuger de la décision que prendra le tribunal, le président de la Région marque clairement son mécontentement sur cette histoire embarrassante, et la façon dont elle a été gérée par l’AREA.
A peine inauguré, le tout nouveau joyau marseillais se trouve embarqué dans une polémique qui risque de durer. Michel Vauzelle a préféré prendre les devants, quelle que soit l’issue judiciaire, afin de ne pas se retrouver “en porte-à-faux” dans cette affaire...