A la SNCM, la sécurité et le confort des passagers sont « la priorité » de la traversée
Par nicolas éthèvePublié le
Un peu moins de trois mois après le naufrage du Concordia de la compagnie maritime italienne Costa, les questions de sécurité maritime sont plus que jamais à l'ordre du jour à quelques encablures de l'ouverture de la saison commerciale des compagnies. D'autant plus que six semaines après la tragédie du Concordia, l'entreprise Costa a de nouveau été confrontée à un incident majeur, avec le déclenchement d'un incendie sur un autre de ses bateaux, l'Allegra. Si ce nouvel incendie n'a cette fois-ci pas causé la mort, fort heureusement, les passagers de l'Allegra ont tout de même dû attendre trois jours avant d'accoster aux Seychelles, remorqués par un thonier dans l'Océan Indien. Sans eau, ni électricité à bord...
Une même entreprise ne peut pas connaître deux événements d'une telle gravité, coup sur coup, sans que cela n'ait aucun impact. Conséquence : Costa Croisières annonçait en mars une diminution nette de ses réservations allant de « 15 à 22 % ». Mais au-delà de ces considérations financières, la seule grande question qui vaille porte sur les raisons techniques et structurelles d'un tel fiasco.
Les francs-tireurs de Bakchich.info ne s'y sont pas trompés en levant le lièvre de la sécurité maritime en méditerranée dès le 26 janvier dernier, au fil d'un article signé Enrico Porsia qui pose plusieurs questions pertinentes sur les règles en vigueur en la matière. Intitulé Avant le Costa Concordia, le désastre du Sardinia Express, cet article pointe du doigt un certain nombre de manquements en vogue dans les compagnies low cost.
Médiaterranée a voulu aller poursuivre la réflexion, en se tournant vers la SNCM qui a été distinguée pour la sécurité de ses navires par la direction des affaires maritimes, en octobre dernier. Jacques Vincent, le « Monsieur Sécurité » de la SNCM, a accepté de répondre à nos questions. Entretien...
Suite au naufrage du Costa-Concordia, la réglementation est-elle destinée à se renforcer ?
Certainement, oui ! La SOLAS (Safety Of Life At Sea), le règlement de base qui impose des règles de sécurité sur les navires a été créé par l'Organisation Maritime Internationale, suite au naufrage du Titanic, survenu il y a exactement 100 ans, le 14 avril 1912... Tout a commencé comme ça en matière de sécurité maritime ! Et ensuite les dispositions réglementaires n'ont cessé de se développer et d'évoluer. Alors, oui, la réglementation va très certainement évoluer encore, suite au naufrage du Costa-Concordia. Pour exemple, la réglementation Marine Pollution (MARPOL) qui est une émanation de SOLAS, est arrivée suite aux grands naufrages de pétroliers survenus dans les années 60, 70 et 80. Ensuite, le code ISM (International Safety Management) a été mis en place suite au naufrage en 1986 du Herald of Free Enterprise, pour répondre au fait que les navires n'étaient pas suffisamment bien organisés à cette époque : ce code ISM impose depuis l'organisation des compagnies maritimes qui gèrent des navires. Suite à la SOLAS, les bateaux étaient bien équipés, mais les autorités de gestion de la sécurité se sont ensuite rendus compte que certains d'entre-eux n'étaient pas suffisamment bien maintenus. L'instauration des inspections de la classe et du pavillon a permis d'enrayer ces manquements. Ensuite, pour répondre au problème de la formation des équipages, le code STCW (Convention on Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers) a été mis en place pour que tous les équipages du monde aient une même base de formation. Enfin, suite aux attentats du 11 septembre 2001, le code ISPS (International Ship and Port Security Code) qui fonde les règles de sûreté applicables sur les navires et dans les ports, a été créé. Comme vous pouvez le voir avec cette longue liste qui constitue aujourd'hui la très dense réglementation de la navigation maritime dans le monde, a chaque événement, chaque chapitre pourrait être écrit « in memoriam »...
Est-ce que la réglementation en matière de sécurité est la même pour toute entreprise de navigation maritime, qu'elles soient françaises ou étrangères ? Et qu'en est-il au niveau des entreprises low cost ?
Il y a plusieurs choses. D'une part, la réglementation internationale de l'OMI est la même. Elle est vérifiée par l’État du pavillon et les inspecteurs du pavillon, quand il y en a, pour ce dernier point, parce que beaucoup de pavillons, comme les pavillons dits « de complaisance », ont très peu d'inspecteurs. Les navires sont également inspectés par les inspecteurs des sociétés de classification. Et on sait que certaines d'entre-elles sont sérieuses, tandis que d'autres le sont beaucoup moins. Par ailleurs, le respect de la réglementation internationale de l'OMI est également vérifié aujourd'hui sur les navires par les inspecteurs de l’État du port. Quand un navire arrive dans un port, il vient désormais sous l'autorité du port et de l’État du port, alors qu'avant, le bateau était réputé être un morceau de l’État du pavillon dans un port étranger. Aujourd'hui, quand tous ces acteurs-là travaillent correctement, il est difficile pour un navire défaillant de passer au travers des gouttes ! La plupart des pavillons dits de « complaisance » délèguent leurs tâches à des sociétés de classification. Ayant moi-même travaillé en tant qu'inspecteur dans une société de classification auparavant, je peux dire que certains pavillons dits de complaisance étaient exemplaires parce qu'il avait délégué leur entretien à une société sérieuse qui faisait très bien son travail. Pour résumer, ce n'est pas parce qu'un navire est de pavillon libérien qu'il est forcément de mauvaise qualité...
Mais à l'inverse, de graves manquements peuvent apparaître ?
Il y a d'autres pavillons, d'autres sociétés de classification et d'autres États... Ce qui reste positif maintenant, avec l'instauration des inspections par l’État du port, c'est qu'elle a remis en cause les autorités uniques du pavillon et de la classe. De sorte que tous les navires maintenant, quand ils arrivent dans un port, sont susceptibles d'être inspectés par le port . Un port qui, lui, a autorité pour bloquer le navire à quai pour une durée indéterminée. Cette réforme a remis de l'ordre dans toutes les inspections, puisque les inspecteurs se sont retrouvés à leur tour inspectés par d'autres inspecteurs...
Les pavillons dits de complaisance, en font souvent les frais ?
Cette appellation de pavillon de complaisance est un peu large : ce n'est pas parce qu'un bateau a un pavillon dit de complaisance dans la presse, qu'il est forcément mauvais, comme je vous l'indiquais tout à l'heure. Dans les pavillons de complaisance, on trouve de tout : des navires très bien entretenus et d'autres qui ne le sont pas. Maintenant, les règles peuvent être différentes au niveau social, puisque des pavillons autorisent des marins de toutes nationalités sur leurs navires, tandis que d'autres rendent obligatoire la présence de marins locaux du pavillon. En France, le pavillon français 1er registre impose d'avoir des marins nationaux à bord des navires, de même qu'en Italie le pavillon italien 1er registre. La grande difficulté pour les compagnies maritimes, c'est que la marine marchande est un domaine international avec une concurrence mondiale, dans laquelle elles se retrouvent en concurrence avec toutes les nationalités, tous les niveaux sociaux et tous les niveaux de coûts.
Et donc tous les niveaux de sécurité... Pour ce qui concerne la SNCM, qui a reçu le code ISM sans qu'aucune remarque ne lui soit délivrée, la sécurité, au-delà de son coût, est une exigence première de la compagnie ?
Oui, complètement ! Quand une entreprise transporte des personnes ou des marchandises, dans quelque secteur que ce soit (l'aérien, le ferroviaire ou le maritime), on se doit d'être totalement irréprochable. Si l'entreprise rencontre un problème comme celui du Costa-Concordia, l'impacte est terrible pour la compagnie concernée ! Ça peut la détruire ! A côté de cela, une compagnie doit être rentable, sinon elle meurt... Donc il faut qu'elle travaille correctement, tout en restant rentable. Dans cette perspective, il y a des choix à faire pour permettre de conserver un équilibre financier. Parmi ces choix, il est possible de choisir des marins d'autres nationalités qui sont moins payés et qui permettent de faire des économies. C'est un choix... A la SNCM, nous n'avons pas fait ce choix : nous avons choisi de conserver le pavillon français 1er registre qui nous oblige à n'avoir que des marins français. Pour nous, c'est un gage de sécurité, notamment au niveau de la communication interne à l'équipage, que ce soit dans le cadre du fonctionnement normal du navire ou en cas d'urgence. Parce que la langue étrangère, on la pratique moins bien sous l'effet du stress... Tous nos officiers et tous nos marins parlent le français, c'est notre choix. Et puis on connaît leurs formations, leurs écoles, cela rentre également dans la prise en compte d'une exigence globale de sécurité. Pour réaliser des économies, nous avons fait d'autres choix sur les peintures de carène ou sur les réglages des moteurs, par exemple, pour limiter les coûts en combustibles. Sur tout cela, nous pouvons réaliser des économies, mais on n'en fera pas sur la qualité des personnels.
Quelle est l'adaptabilité linguistique de vos personnels ?
Pour faire du quart-passerelle, nous sommes obligés de parler anglais. C'est la langue internationale de communication, y compris avec les autres navires. C'est un anglais limité, maritime, avec un vocabulaire précis, pour discuter d'un navire à l'autre. Après, à bord de la SNCM, c'est autre chose : quand on fait une manœuvre, le pilote explique au commandant ce qu'il va faire, le commandant dit s'il est d'accord ou pas et délivre ses recommandations, tout le monde à la passerelle est là, écoute ; le second capitaine est à la passerelle, également, et ainsi de suite... Quand on a plusieurs langues, si chacun parle la sienne, derrière, ce n'est plus une affaire d'équipe : ça devient une décision unilatérale... La différence est très importante : on parle beaucoup de la puissance du commandant « maître après Dieu », mais, le pauvre, il n'est pas tout seul ! Il a une équipe avec lui, une équipe qui connaît son mode de fonctionnement... Dans une situation tendue, les autres, ils ne sont pas en train de se dire : '' tiens, le pauvre commandant, il se plante ! '' Ce n'est pas comme ça que ça marche ! On discute, on est ensemble, ce qu'il va se passer est prévu : personne n'est surpris et ça évite des problèmes.
Et au niveau de la communication avec les passagers étrangers, comment les choses se passent-t-elles ?
Quand on fait du trafic maritime européen, on doit pouvoir communiquer dans la langue des passagers. Nous, à la SNCM, nous transportons principalement des francophones entre la France continentale et la Corse. Et sur les lignes Italie, nous avons du personnel qui parle italien. Mais nous ne sommes pas obligés, réglementairement, de parler la totalité des langues transportées : tout est fait en Français et en Anglais.
Concernant cette histoire de révérence auprès des côtes, celle qui a causé le naufrage du Concordia, comment avez-vous découvert cet événement ? Est-ce que c'est quelque chose qui se pratique à la SNCM ?
Chez nous, tout risque est naturellement proscris ! Notre but à la SNCM, c'est de transporter les passagers d'un endroit à un autre, dans les conditions les plus agréables possibles, même si nous ne sommes pas des bateaux de croisière. Pour nous, c'est un plaisir de faire une traversée, il ne faut pas que cela devienne un risque. Nos navires sont obligés de s'approcher des côtes pour accoster dans un port, avec des règles particulières : on ne s'approche pas des côtes juste pour s'amuser. En navigation il n' y a aucune raison de s'approcher au-delà de la route tracée, sauf raison médicale urgente par exemple...
En cas de perturbations météorologiques, comment les choses se passent-t-elles ?
La météo, c'est l'élément perturbateur du marin. Nos marins sont donc reliés en permanence aux sociétés de météo. Quand nous faisons des traversées sur le Maghreb entre Marseille et Alger ou Marseille et Tunis, il arrive ainsi par exemple, que le commandant d'un navire décide, au-lieu d'aller tout droit pour passer à l'ouest de la Sardaigne et de la Corse, de passer dans le chenal entre la Sardaigne et l'Italie, pour se protéger d'un vent d'ouest ou d'un vent de nord qui rendrait sa progression difficile. Évidement, ça lui allonge sa route, ce qui signifie qu'il consommera plus de combustibles et s’avérera donc moins rentable. Mais ça améliore la sécurité et le confort des passagers : c'est la priorité à la SNCM.
Vous interdisez également le transport des animaux en dehors des chenils aménagés à cet effet. C'est également un choix ou une obligation réglementaire de sécurité ?
C'est un choix. A la SNCM, contrairement à d'autres compagnies de navigation maritime, telles que Corsica Ferries, nous avons fait le choix d'interdire l'accès des animaux dans les cabines, sauf éventuellement un chien d'aveugle, pour des raisons liées à la sécurité du passager. Hors cette exception, la SNCM a fait le choix de faire voyager tous les animaux dans le chenil, pour des raisons élémentaires d'hygiène et de sécurité. Quand une famille loue une cabine et met ses enfants dans un lit, elle aime bien savoir qu'il n'y a pas un chien qui a dormi dedans la veille et cela nous paraît plus que légitime.
Selon vous, est-ce que la sécurité en matière de navigation maritime est aujourd'hui un problème qui doit être pris à bras le corps, au regard des prestations de certaines compagnies ? Est-ce que les réglementations en vigueur devraient être encore plus renforcées à cet égard ?
C'est difficile de parler des autres, mais c'est vrai que le fait d'amener des distorsions de concurrence au niveau des personnes ne facilitent pas le travail de tous... Maintenant, les passagers ont le choix, ils ne sont pas obligés de partir avec telle ou telle compagnie. C'est comme dans le secteur aérien : il y a des gens qui partent le moins cher possible et il y en a d'autres qui vérifient avec qui ils partent pour naviguer en toute sécurité à un coût non-prohibitif. Pour répondre complètement à votre question sur la réglementation, je pense que ce serait mieux de l'uniformiser au niveau européen à un certain degré d'exigence. Pour que tout le monde travaille avec les même contraintes et que l'Europe garantisse ainsi, dans ses eaux, un certain niveau de sécurité.
Parce qu'à l'heure actuelle, il y a vraiment de gros écarts de niveaux entre la France et l'Italie, par exemple ?
Oui, il y a un écart certain. Je ne sais pas comment ils ont fait pour fonctionner comme ça jusqu'ici, mais chez Corsica Ferries, ils ont un pavillon italien qui n'est pas celui du premier registre. Ils utilisent un pavillon bis qui existe aussi en France, mais qui n'est utilisé dans notre pays que pour les liaisons mondiales, c'est à dire, par exemple, entre la Chine et les États-Unis. Nous, nous ne l'utilisons pas pour nos liaisons Continent-Corse, par exemple...
Quelle reste la grande différence primordiale entre le pavillon bis et celui du premier registre ?
C'est le choix de nationalité des marins, qui reste une différence énorme. Parce que nous, tous nos marins sont de la nationalité du pavillon, ce qui n'est pas le cas pour les pavillons bis. Sur les pavillons bis, ça se manifeste par plusieurs langues et plusieurs niveaux de formation... Je ne critique pas les marins étrangers : du temps où j'étais dans une vie antérieure, inspecteur de société de classification, j'ai eu l'occasion d'inspecter des bateaux philippins entièrement Coréens, des bateaux danois, bref, des bateaux de toutes nationalités... Quand tous les gens sont de la même nationalité, ils travaillent bien et sont bons, il n'y a rien à dire. Et j'ai vu des bateaux de toutes nationalités très bien entretenus avec des gens très sérieux. Particulièrement ceux des Iraniens, qui étaient excellents, avec des personnels très compétents. C'est le mélange des nationalités qui peut être plus gênant. Si vous prenez les meilleurs footballeurs des meilleures équipes et que vous les mettez tous sous le même maillot, alors qu'ils n'ont pas l'habitude de jouer collectivement ensemble, ça ne fera pas une équipe gagnante, même si les joueurs sont très bons. Nous, on essaye de faire des équipes gagnantes !
Quitte à augmenter les dépenses. Est-ce économiquement viable ?
Il est certain que si les États ne font rien, les entreprises meurent, ou s'installent ailleurs sous un autre nom pour pouvoir survivre... Dans ce cas de figure, l’État perd une certaine souveraineté, puisqu'il perd une puissance maritime et des sources d'approvisionnement. Il faut savoir que 80% de la marchandise mondiale circule sur la mer. Donc, si un État ne fait rien dans ce domaine, rapidement, il se retrouve sans navire sous pavillon national, ce qui n'est pas bon pour l'indépendance de la Nation, en cas de conflit, par exemple... Pour maintenir la flotte marchande, il est important de permettre aux armateurs de pouvoir se battre à armes égales avec les autres armateurs. Un navire qui fait du trafic mondial et circule dans le monde entier doit pourvoir se mettre au niveau de ses concurrents. D'où la création, même dans les pays de l'Europe de pavillons bis, comme la France, l'Italie ou d'autres... Ces pavillons permettent d'utiliser moins de marins nationaux, même s'il y a une obligation sur le nombre d'officiers de la nationalité du pavillon présents sur le bateau. En France, ce pavillon bis n'est utilisé que pour le trafic international. Et cela , ça reste une règle de sécurité primordiale pour nous.
Recueilli par N.E