Retour de la Russie et de l’Iran, la fin de l’hyper puissance américaine ?
Par N.TPublié le
Société déchirée dans un pays en ruine, la Syrie s’enlise dans une guerre interne dont on ne compte plus des morts, des civils pris en étau entre un régime de Damas aux abois et une opposition largement infiltrée par les islamistes armés, prise de vitesse par des hordes hors de contrôle. Des civils dont le gazage à l’arme chimique en août dernier, marque un tournant. La tragédie à conduit les grandes puissances à rebattre les cartes pour une nouvelle donne, en fonction de leurs intérêts respectifs dans la région et des nouveaux rapports de force. Entre la menace avortée de frappes aériennes sur les sites syriens et les accords autour du nucléaire iranien, à quels changements assistons-nous ? Décryptage.
La « ligne rouge » tracée par Obama au sujet de l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien a fait long feu. Le massacre de la Ghouta (dans les faubourgs de Damas), très vite attribué à l’armée syrienne et qui a fait près d’un millier de morts, des civils pour l’essentiel, n’a pas déclenché les frappes annoncées. Le président américain s’est bien gardé de passer de la parole aux actes, la Maison Blanche exigeant étrangement l’augmentation du « faisceau de preuves » pour établir avec certitude « qui a utilisé ces armes, quand et dans quelles proportions », selon les termes de son porte-parole. Un revirement peu surprenant au regard des expériences lamentables en Afghanistan et en Irak et de la pression interne. Le fait est aussi qu’entre temps la pression des Russes, alliés inconditionnels de Damas, a finit par payer, offrant à Barak Obama la porte de sortie du désarment chimique de la Syrie.
L’empressement de la France pour des frappes est finalement resté sans suite, le régime de Bachar Al-Assad a retrouvé un nouveau souffle, ses troupes gagnent du terrain sur une opposition prise de court, sonnée, et désormais disposée à s’assoir à la table de négociation de la conférence de paix baptisée Genève 2, théoriquement prévue courant décembre. Aux yeux de la Coalition nationale syrienne (CNS), il s’agit de parvenir à « un transfert du pouvoir à une autorité transitoire » dotée des « pleins pouvoirs exécutifs » et formée par « consentement mutuel ». Mais rien n’est encore joué. Relancé avec la bénédiction des russes et par le renoncement des américains à l’usage de missiles Tomahawk, Bachar Al-Assad ne s’est pas privé d’évoquer la possibilité de se présenter à l'élection présidentielle, prévue en 2014… Le feuilleton de la tragédie syrienne n’est pas près de s’achever.
Malgré le même empressement de la France à vouloir faire durcir les conditions d’un accord sur le nucléaire avec l’Iran, un compromis a été trouvé à l’arraché dans la nuit de samedi à dimanche 22 novembre, qualifié d’historique, pour contenir le programme de la République islamique. Malgré ses réserves, la Maison Blanche a qualifié cet accord intérimaire de six mois de « première étape importante ». Considéré comme un simple test de confiance par nombre d’observateurs, le résultat n’en reste pas moins un rebondissement dans le développement des relations internationales de ces derniers mois. « Le grand Satan » et les Ayatollahs ont ainsi fait un premier pas l’un vers l’autre, soigneusement préparé en secret selon des sources concordantes et que des frappes sur la Syrie auraient pu compromettre. Tenus à l’écart de ces tractations : l’Arabie Saoudite et Israël prennent acte d’un tournant qui les place brusquement au second plan dans la configuration géopolitique de la région. L’Etat hébreu n’en reste pas moins l’allié privilégié des Etats-Unis et la seule puissance nucléaire dans cette partie du monde.
En quoi le traitement des enjeux syriens et iraniens est-il révélateur d’un changement dans la gestion des conflits par les grandes puissances ?
« Il faut être prudent, mais on est en droit de relever une évolution de la politique étrangère américaine. Tout porte à croire que l’on est en présence d’une situation de renouvellement de la politique d’intervention, même si les deux dossiers (Syrie, Iran) n’ont pas de proximité apparente », constate Bertrand Badie professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Selon lui, de ce point de vue, « la diplomatie française est sérieusement en recul eu égard aux pressions exercées pour une intervention en Syrie et un durcissement des conditions de l’accord avec l’Iran ». En Centrafrique comme auparavant au Mali, la France reste figée « dans sa volonté de mettre en avant l’usage de la force », explique le chercheur, évoquant le poids d’une « vision moralisante » de la « guerre juste », alors même que toutes les interventions militaire, en Afghanistan, en Irak, en Lybie se sont soldées par des échecs accélérant le délabrement sociopolitique des ces pays, plus que jamais livrés à une violence aveugle. Sans compter que s’agissant précisément du Mali, « il s’agit là de la cinquantième intervention française en Afrique subsaharienne depuis les indépendances d’il y a cinquante ans. Autant d’interventions qui n’ont jamais permis de répondre aux maux qui gangrènent la Centrafrique », dénonce le député communiste du Puy-de-Dôme, André Chassaigne, au nom du Front de gauche. « La France n’est pas étrangère à la situation chaotique que connait ce pays. Elle porte une lourde responsabilité historique dans la tragédie centrafricaine et n’est donc pas qualifiée pour intervenir » insiste-t-il.
La France pourrait ainsi faire exception au moment où les grandes puissances optent pour des stratégies qui laissent « une place conséquente aux acteurs locaux », explique Bertrand Badie. L’universitaire n’hésite pas à déceler à travers ces changements la nécessité d’une refonte des modes de gouvernance de l’ONU qui associera les puissances émergentes. « L'un des enjeux majeurs auxquels se trouveront confrontées les relations internationales des prochaines années », selon lui, car « sans le Brésil, l'Inde et d'autres encore, la communauté internationale est aujourd'hui incomplète, voire amputée… ».
Revirement américain face à la tragédie syrienne, retour progressif de l’Iran sur la scène internationale, montée en puissance de la Russie, immobilisme calculé de l’Europe, volontarisme de la France dans l’enchainement des expéditions militaires… les faits marquants de l’année 2013 pourraient ainsi annoncer les contours d’un monde qui change de base, repose sur de nouvelles logiques de confrontation. Pour l’heure, nous ne pouvons en retenir que des arrangements entre grandes puissances sur champs de cadavres. Et la nécessite d’intensifier les luttes contre un système capitaliste mondialisé broyeur d’énergies et de vies humaines.