Marseille, « ce sont les morts qui font réagir la société » Le regard rigoureux de l’historienne Laurence Montel
Laurence Montel est historienne et autrice de l’ouvrage Marseille, « capitale du crime » ? Les racines d’un imaginaire, paru aux éditions Champ Vallon. À rebours des discours sensationnalistes, elle inscrit les phénomènes criminels marseillais dans la longue durée, en interrogeant leurs racines sociales, économiques et politiques. Entretien lors d’une rencontre avec les lecteurs à la librairie L’Île aux Mots, à Marseille.
Mediaterranee : En tant qu’historienne, comment définissez-vous le crime organisé ?
Laurence Montel :
Du point de vue de l’historienne, le crime organisé renvoie à des réseaux de personnes qui tirent leurs revenus d’activités illicites, ou d’activités qui, sans être toujours illégales, sont socialement et moralement réprouvées. À l’époque sur laquelle j’ai travaillé, par exemple, une partie importante de la prostitution n’était pas interdite par la loi, mais elle restait profondément stigmatisée. Ce qui caractérise le crime organisé, ce sont des activités pensées pour durer. Il ne s’agit pas de pratiques ponctuelles, mais de systèmes structurés, dotés de stratégies visant à éviter la répression, à contourner les poursuites judiciaires, et souvent à négocier – de manière explicite ou implicite – des formes de tolérance avec certains acteurs du pouvoir, qu’il s’agisse des autorités publiques ou d’élus locaux.
Mediaterranee : Peut-on parler aujourd’hui d’une nouvelle émergence du crime organisé à Marseille, ou s’agit-il plutôt d’une continuité historique ?
Laurence Montel :
Mon point de vue est très clairement celui de la continuité. Le crime organisé s’inscrit dans un fil historique long, même s’il connaît des phases de stabilité et des moments de recomposition. Les acteurs changent, les formes évoluent, les marchés se transforment, mais les logiques de fond demeurent.
Mediaterranee : On parle beaucoup aujourd’hui de la DZ Mafia. Assiste-t-on à quelque chose de réellement inédit ?
Laurence Montel :
Je ne suis ni magistrate ni enquêtrice, et je n’ai pas travaillé directement sur ce groupe. Je ne peux donc que relayer ce qui circule dans l’espace médiatique et judiciaire, à savoir l’idée qu’il se passerait quelque chose de nouveau. Mon rôle, en tant qu’historienne, consiste surtout à replacer ces phénomènes dans la longue durée, à interroger ce qu’ils doivent au passé autant qu’au présent.