La guerre en Irak menace le Moyen-Orient
Par N.TPublié le
L’Irak sombre à nouveau dans une guerre civile. Depuis 2003 et l’invasion américaine, le pays n’a jamais connu la paix. Les violences quotidiennes laissent place, comme en 2006, à une guerre confessionnelle qui risque d’enflammer tout le Moyen-Orient.
Plus de mille morts en l’espace d’une dizaine de jours. En ce mois de juin, l’Irak se dirige vers une nouvelle guerre confessionnelle et fratricide. Après la chute de Falouja, Mossoul, Kirkourk et Tikrit, les quatre principales villes d’Irak, la capitale, Bagdad, est désormais sous la menace des combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ces intégristes composés de chefs de tribus sunnites et d’anciens membres du pouvoir baassiste de Saddam Hussein veulent prendre la capitale irakienne. Pour le chercheur Pierre-Jean Luizard (1), « l’EIIL est une sorte de label pour des forces, qui demeurent très massivement les tribus irakiennes. Un seul groupe ne peut pas avoir une telle puissance de feu, il s’agit bien d’un soulèvement populaire local qui correspond à l’échec de l’intégration des Arabes sunnites dans le jeu politique ».
Vers une guerre civile ?
La prise de contrôle des régions du nord de l’Irak, dont plusieurs aéroports stratégiques, a poussé le pouvoir à réagir en exhortant à la création d’une armée populaire afin de lancer une contre-offensive. Près de 40 000 volontaires chiites auraient répondu à l’appel du premier ministre Nouri Al Maliki et l’ayatollah Ali Al Sistani, plus haute autorité religieuse chiite du pays, qui laisse présager d’une issue sanglante. « Cela rappelle les années sanglantes de 2006 à 2008 où les affrontements entre les milices sunnites et chiites faisaient quotidiennement des centaines de morts », constate Salam Saadi, du Parti communiste irakien. Pour lui, « l’invasion américaine de 2003 est responsable de ce désastre car elle a détruit notre économie et notre système social et politique en privilégiant une vision sectaire ».
Responsabilité du pouvoir
L’affaiblissement de l’État, qui a engendré l’exacerbation des tensions confessionnelles entre sunnites et chiites, provient de la politique du premier ministre irakien et du système politique mis en place par les dirigeants états-uniens. Ces derniers ont voulu instaurer, comme au Liban, une répartition des pouvoirs en fonction du poids des communautés. « Aujourd’hui, le pays a changé. À de rares exceptions près, les sunnites vivent dans les quartiers sunnites et les chiites, dans les quartiers chiites », constate Feurat Alani dans « le Monde diplomatique » (2). Ce constat est partagé par de nombreux Irakiens qui ont vu l’unité de leur pays se désagréger depuis 2003. L’attitude du premier ministre, chiite, Nouri Al Maliki, cristallise toutes les critiques. Le chef du gouvernement a favorisé la partition du pays en poursuivant une politique confessionnelle. « Le premier ministre disposait à son arrivée au pouvoir du soutien des principaux conseils tribaux sunnites. À la différence de son slogan électoral, parlant de réconciliation, il a favorisé les oppositions entre sunnites et chiites, et entre Arabes et Kurdes », affirme Feurat Alani.
Cet isolement d’Al Maliki a été accentué, le 12 juin, lors d’une cession parlementaire. Les députés ont rejeté de voter l’état d’urgence demandé par le premier ministre et le président irakien, Jalal Talabani. La plupart des élus issus des rangs sunnites et kurdes ont même boycotté la séance. « Son attitude et ses positions sectaires ont accéléré les divisions. Devant le danger intégriste qui nous menace, sa capacité à rassembler les diverses forces politiques du pays est compromise », résume Salam Saadi.
Guerre régionale
La défiance du premier ministre à l’égard des sunnites a conduit à une vaste mobilisation populaire à partir de 2012. Dès le début, un rapprochement s’est opéré avec les événements en Syrie. Le combat des sunnites d’Irak a finalement débordé le cadre national. « L’ennemi n’est plus seulement Al Maliki, mais l’axe chiite Damas-Bagdad-Téhéran », résume Feurat Alani (2). Le conflit syrien a réellement débordé avec la mort d’une quarantaine de soldats et de fonctionnaires syriens à Al-Anbar en 2013. Les deux pays voisins ayant en commun la tournure confessionnelle prise par les affrontements. Forcément, l’Irak ne pouvait échapper à la lutte entre l’Iran, principale puissance chiite dans la région, et l’Arabie saoudite et la Turquie, deux grands pays sunnites, principaux soutiens de l’insurrection contre le régime de Bachar Al Assad. Pour Pierre-Jean Luizard, « il ne faut surtout pas oublier que l’Irak est un État riche en pétrole, et que cela suscite l’avidité des forces internationales. Celles-ci cherchent à alimenter la violence plus qu’à stabiliser la situation, car il est plus facile de tirer profit d’un pays faible et instable que d’un pays fort et équilibré ».
Les zones de pétrole se trouvent en plein Kurdistan d’Irak, une région au statut autonome. Les peshmergas ont profité du chaos pour prendre le contrôle de Kirkouk et de puits de pétrole proches de Mossoul. « Dans le système fédéral irakien, les Kurdes revendiquent cette ville comme étant leur capital historique. Son sort n’a jamais été résolu et constitue avec l’exploitation par le pouvoir central des puits de pétrole en territoire kurde, des éléments de friction avec Nouri Al Maliki », constate Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS. Stopper la fraction de l’Irak apparaît impossible.
Source : Humanité Dimanche N° 417 du 19 au 25 juin 2014
(1) Sur le site Internet de « Marianne ».
(2) Journaliste irakien. Dans « le Monde diplomatique » de janvier 2014.