Regards croisés sur une action de boycott contre Yossi Gall, l'ambassadeur d'Israël en France
Par nicolas éthèvePublié le
La pratique du boycott qui tire son nom du blocus historique subi au 19ème siècle par Charles Cunningham Boycott, intendant d'un riche propriétaire terrien irlandais qui traitait mal ses fermiers, a encore de beaux jours devant elle...
Surtout à l'heure où les citoyens prennent de plus en plus conscience qu'ils sont aussi des consommateurs capables, en étant organisés, de faire la pluie et le beau temps sur les entreprises de leurs choix, qu'elles soient commerciales ou politiques. Suite à la manifestation de boycott organisée par le mouvement BDS le 9 janvier dernier devant la salle Pétrarque où l'ambassadeur d'Israël en France, Yossi Gall, a tenu une conférence à l'invitation de l'Institut Maïmonide, avant d'être reçu le lendemain au cœur du nouvel hôtel de Ville de la capitale régionale par le maire Hélène Mandroux, au grand dam des tenants du boycott, Médiaterranée a voulu donner la parole aux différents protagonistes de cette opération, qu'ils en soient ses organisateurs actifs ou ses spectateurs passifs. Pour mieux appréhender les motivations et le ressenti de chacun, dans le cadre d'un tel phénomène social, qui, en l'espèce du conflit israélo-palestinien, disons-le d'emblée, marque de très profondes ruptures que chacun pourra juger sur pièces au fil des représentations des uns et des autres...
Regards croisés (ou plutôt juxtaposés) avec José-Luis Moraguès, du BDS 34 déjà partie prenante de la coalition contre Agrexco, qui s'était dissoute après la liquidation de l'entreprise israélienne, aujourd'hui remplacée sur le port de Sète par Mehadrin, également dans le collimateur du BDS pour son statut d'exportateur israélien ; Mickaël Iancu, le directeur de l'institut Maïmonide qui nous avait accordé une première interview, ici, sur Médiaterranée ; et Perla Danan, adjointe au maire de Montpellier, déléguée à l'action internationale et aux jumelages dont la ville palestinienne de Bethléem est la dernière nouvelle venue.
Mickaël Iancu : « Ils manifestent pour qu'Israël ne soit pas »
Interrogé au lendemain de la manifestation contre la venue de Yossi Gall, Mickaël Iancu, le directeur de l'Institut Maïmonide, n'a pas caché sa peine, ni sa gêne, de voir cette rencontre ainsi troublée : « Je suis un homme de dialogue et ça me fait mal au cœur de voir ça ! On travaille pour le dialogue, on reçoit régulièrement des intellectuels arabo-musulmans, mais si on nous muselle sur Israël... Est-ce que des associations qui travaillent sur le monde arabo-musulman, on les muselle sur la Palestine ? L’Institut Maïmonide travaille sur le peuple juif, sur l'histoire et la civilisation du judaïsme et d'Israël. Si on muselle des associations juives sur l'histoire d'Israël, intellectuellement, moralement, ce n'est pas concevable. Après, qu'on ne soit pas d'accord, qu'on vienne dialoguer, c'est une chose... Il y a quelques années, une radio locale m'avait demandé de participer à une émission avec M. Moraguès, j'avais accepté et lui avait refusé. Il faut avancer, il faut dialoguer, mais il ne faut pas agir de manière violente et agressive ».
« Je sais très bien que ces manifestants ne sont pas violents, sauf peut être dans la gestuelle et la parole, poursuit de suite Mickaël Iancu. Ils défendent avec leur cœur la cause palestinienne, mais franchement, sur la forme, je n'approuve pas du tout. Ce n'est pas fair-play. Tous les samedis, le jour du Shabbat, ils (les mouvements de solidarités à la cause palestinienne, Ndlr) se réunissent sur la place de la Comédie. Est-ce qu'une fois des juifs y sont allés pour rouspéter parce que le Hamas fait ci, parce que le Hezbollah fait ça, parce qu'il y a des attentats suicide ? Non, jamais. Pour moi, il y a deux poids, deux mesures... Et une haine d'Israël qui a, du reste, de par le monde, un peu remplacé, par certains côtés, la haine du juif... J'aurai aimé voir ces manifestants nous féliciter quand on reçoit des intervenants qui sont parmi les plus grands intellectuels du monde arabo-musulman, tels que Dalil Boubakeur, récemment. Mais, malheureusement, ce n'est pas le cas, nous ne les voyons pas dans ces rencontres... »
« Je suis contre ces opérations de boycott, conclut Mickaël Iancu, parce que je crois sincèrement que ceux qui militent pour qu'il n'y ait rien sur Israël, ils ne manifestent pas pour qu'Israël ne soit pas présent au Salon du Livre, à Montpellier Danse ou à la Journée de Jérusalem, ils manifestent pour qu'Israël ne soit pas. Et ça, honnêtement, ce n'est pas concevable, de mon point de vue... Quand ils appellent au boycott du Salon du Livre de Paris, alors que la plupart des écrivains israéliens sont de gauche et progressistes, ou quand ils s'attaquent à la présence d'artistes israéliens à Montpellier Danse, je dis ''non'' ! Qu'on s'en prenne politiquement oui, mais à des artistes, non, ce n'est pas possible, alors que ce sont des gens qui œuvrent au quotidien pour la paix. Je suis un progressiste, je suis pour deux États, je suis un homme de gauche, je suis ouvert... Mais ils ont dépassé un cap qui n'est pas concevable, pour moi. Lors de la venue de Yossi Gall, ils ont fait peur à beaucoup de gens qui étaient venus à cette rencontre. »
José-Luis Moraguès : « On a gagné la guerre morale »
Du côté de José-Luis Moraguès, le membre du CCIPPP 34 et du BDS 34, parties prenantes de la manifestation de boycott contre la venue de Yossi Gal, considère que « ce genre d'action est très positif » : « On les a développées et on va encore les multiplier. Le simple fait que l'ambassadeur d'Israël - un État surpuissant sur le territoire palestinien - et un certains nombre d'élus locaux - à l'exception de Jean-Pierre Moure (le président de Montpellier Agglomération, Ndlr) qui est passé devant nous avec deux gardes du corps - soient rentrés dans la salle Pétrarque par un escalier dérobé à l'arrière du bâtiment, signifie que l'on a gagné la guerre idéologique et morale. C'est à dire que ces gens savent qu'ils ont tord. Ils sont obligés de se cacher. Ils se protègent, alors que nous, ostensiblement, on n'a aucune velléité d'agressivité physique, on ne l'a jamais fait et on ne le fera jamais. Ils n'ont pas osé affronter notre regard, nos mots d'ordre, ils ont peur de la bronca de 35 manifestants avec deux banderoles, cela veut dire qu'ils savent qu'ils ont tord et, donc, qu'ils ont perdu. Pour notre part, nous sommes renforcés dans notre détermination, depuis les conclusions du Tribunal Russel sur la Palestine qui après avoir examiné la nature des discriminations israéliennes sur les Palestiniens, ont clairement établi qu'elles correspondaient à un système d’apartheid, au vu du droit international et des recommandations de l'ONU. Personne ne peut ignorer ces conclusions aujourd'hui, sauf au moins une fois ».
« Le grand renversement avec le mouvement BDS, explique José-Luis Moraguès, c'est qu'avant, on était solidaires des malheurs des Palestiniens, là-bas, on les pleurait, et maintenant, on attaque Israël ici. Avant, on dénonçait, on informait, on faisait venir des témoins, nous avions une action que j'appelle « exogène », c'est à dire extérieure. Maintenant, c'est fini, nous on lutte ici contre Israël dans toutes ses manifestations. On a déjà commencé une action en juin dernier à l'occasion de la Journée de Jérusalem, en participant au lancement d'une pétition qui demande la suspension des accords avec Tibériade et le boycott de la journée sioniste de Jérusalem, ainsi que l'arrêt du financement de cette journée par des fonds publics provenant des collectivités territoriales. L'an passé, cette pétition a été signée par 14 organisations et nous travaillons déjà sur la Journée de Jérusalem à venir. Nous étions près de 70, la dernière fois, nous serons plus nombreux cette année ».
Quant au fait que Mickaël Iancu, le directeur de l'Institut Maïmonide se déclare publiquement favorable à la création d'un État palestinien, José-Luis Moraguès balaie cette réalité d'un revers de main : « Mais ils sont tous pour un État palestinien ! Même à l'époque, Sharon était pour, comme Netanyahu , mais ça, c'est le cinéma ! C'est à dire que le processus de paix, ce n'est qu'un moyen pour faire la guerre, donc qu'ils ne viennent pas nous raconter ça ! Tout le processus de paix a fonctionné avec cet équilibre. Mais cette idée d'équilibre est périmée aujourd'hui, parce que nous sommes en plein déséquilibre : on a Israël, 4ème puissance militaire mondiale, qui occupe une population complètement terrorisée, donc il n'y a pas d'équilibre à avoir. Nous, nous ne cherchons pas à équilibrer un jumelage avec une ville palestinienne et un jumelage avec une ville israélienne, le BDS ne demande pas de jumelage. Les jumelages, c'était la période d'Oslo, ce sont des appareils destinés à normaliser les relations dans la symétrie, c'est à dire institutionnaliser l’asymétrie qu'il y avait entre les deux. Comme si, étant donné qu'on est jumelé avec l'un ou avec l'autre, on était à égalité ! C'est ce que veut faire le maire de Montpellier avec son projet de jumelage entre Montpellier et Bethléem. Elle le fait parce qu'il y a un tel mécontentement dans le mouvement de solidarité avec la Palestine qu'elle bouge un peu. Mais le comble, c'est que cette annonce de jumelage avec la Palestine, paradoxalement, c'est un moyen de défendre son jumelage de Tibériade. Comme on a demandé l'été dernier la suspension de ce jumelage, elle a eu la trouille et essaye de se servir des Palestiniens pour valider la politique à l'égard d'Israël ».
« Pour bien comprendre notre détermination, aujourd'hui, continue José-Luis Moraguès, la réalité c'est que la guerre contre Gaza et sa barbarie, a tourné la page. Depuis plus de 10 ans, il y a une intensification constante de l'occupation et, en particulier, depuis cette décennie, sur Jérusalem, qui est complètement étouffée et judéisée. La guerre contre Gaza, elle a été le déclencheur qui a signé l'arrêt de mort du processus de paix et des accords d'Oslo. Aujourd'hui, il n'y a plus grand monde, du côté des Palestiniens et des mouvements de solidarité palestiniens, pour défendre le mouvement des accords d'Oslo. On ne peut pas aujourd'hui ignorer que les accords d'Oslo ont été une impasse totale. Cette impasse, plus la barbarie des crimes de guerre qui ont été commis - et peut être même contre l'humanité -, avec les bombes au phosphore lancées dans la bande de Gaza, a accentué et a montré l'urgence qu'il y avait à réagir. Et enfin, dans ce contexte de fin d'une période, depuis 2005, il y a 7 ans déjà, la société civile palestinienne s'est organisée, a travaillé, pour lancer l'appel BDS ».
« Cet appel BDS est signé par 162 organisations palestiniennes qui représentent tous les courants politiques, tous les courants religieux, toutes les catégories sociales, y compris, les femmes, les jeunes, les prisonniers, enfin, toutes les catégories qui sont en ce moment ruinées, souligne José-Luis Moraguès. On est dans ce tournant, où à la fin d'une période signée par un acte de barbarie qui dépasse toute mesure, on a redécouvert le mouvement du BDS. Face au constat d'échec du processus d'Oslo, la société civile palestinienne a créé une ouverture en recentrant les choses sur les droits fondamentaux des Palestiniens, au-delà des revendications institutionnelles des États. Ce qui a notamment réaffirmé que l'on ne peut pas prétendre défendre le peuple palestinien si l'on ne parvient pas à réunir les trois catégories du peuple palestinien, à savoir les Palestiniens coincés en Israël, les réfugiés chassés de chez eux et les palestiniens occupés. Cet appel s'adresse à l'ensemble des citoyens des sociétés civiles du monde entier qui sont appelés à agir pour obliger Israël à respecter le droit et à satisfaire les trois revendications fondamentales que sont : la fin de la discrimination d'apartheid subie par les Palestiniens d'Israël, la fin de la colonisation et la fin de l'interdiction pour les réfugiés, de rentrer chez eux et de recouvrir leurs droits. On a tendance à penser que l'appel BDS, ce n'est que du boycott. Mais ce n'est pas que ça : c'est une stratégie, il offre une perspective de lutte à long terme avec des objectifs et des fondamentaux. C'est une des raisons des succès remportés immédiatement par le mouvement BDS dans le monde entier ».
Perla Danan : « On fait avancer la paix en créant du lien »
Une somme d'avis que ne partage pas du tout Perla Danan, figure de la communauté juive montpelliéraine et maire adjointe auprès d'Hélène Mandroux. A commencer par ceux concernant les raisons de la réception de l'ambassadeur d'Israël à l'hôtel de Ville de Montpellier. Perla Danan souligne en effet que cette réception consécutive à l'invitation de l'Institut Maïmonide s'inscrivait dans un « processus protocolaire naturel » valable pour tout représentant diplomatique étranger.
« Comme toujours, le maire a été informé de la venue de l'ambassadeur et elle l'a reçu, comme à chaque fois que l'occasion se présente pour une délégation étrangère, quelle qu'elle soit, précise l'élue montpelliéraine. Cette rencontre a été l'occasion de faire le point sur le jumelage avec la ville israélienne de Tibériade et notre nouveau jumelage avec la ville palestinienne de Bethléem. A ce sujet, l'ambassadeur a d'ailleurs souligné qu'il était extrêmement important d'avoir des liens quotidiens et que ces relations triangulaires entre villes jumelles françaises, israéliennes et palestiniennes était très importantes pour que se construisent des projets partagés et une expérience de pratique de la paix au quotidien. Si les gens ont envie de prôner le dos à dos, ça les regarde ! Nous, au niveau de la Ville de Montpellier, nous sommes dans le lien, le lien de partage, le lien de rapprochement. En mettant les gens ensemble, nous faisons avancer les choses, plutôt qu'en créant des crispations. Les gens ont le droit de manifester, mais, à mon avis, on fait avancer la cause de la paix en créant du lien ».
« Cela fait des années que je travaille sur le dialogue inter-religieux et inter-culturel, poursuit Perla Danan, et je pense que c'est en se parlant, en découvrant des choses ensemble au quotidien, que l'ont fait avancer les choses. C'est pour cela que je suis très heureuse d'avoir contribué à ce jumelage entre Montpellier et Bethléem qui doit s'inscrire dans un cadre de paix entre Israël et la Palestine. Quand nous avons rencontré le maire de Bethléem avec Hélène Mandroux, ce fut une rencontre extrêmement cordiale qui fut d'ailleurs très perceptiblement renforcée par le fait que les deux maires face à face sont tous les deux médecins. La culture, le médical et l'université sont les trois premiers axes de développement de notre jumelage. Après, nous verrons les différentes actions qui mériteront d'être concrétisées dans l'intérêt des deux villes. Entre Bethléem et Montpellier, il y a une histoire forte, un lien de tous les cultes ancré dans les deux Villes, donc ce jumelage s'épanouira sans peine, maintenant qu'il a été approuvé par les conseils municipaux des deux villes. »
« Montpellier a toujours été dans une démarche de dialogue de connaissance et de respect mutuel, et c'est très important, je suis heureuse de m'inscrire avec la Ville dans ce mouvement historique », conclut Perla Danan.
N.E
Pour aller plus loin dans l'actualité... Le blog de Collectif Palestine Paris 8 qui s'élève, à son tour (ironie du sort ?), contre l'interdiction prononcée par la direction de l'Université parisienne à l'encontre du colloque qui devait se tenir les 27 et 28 février sous l'intitulé « Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l'appel au boycott international : Israël : un État d’apartheid ? ».