Jean-Pierre Darroussin, « La gauche n’a jamais été au pouvoir ».
Par N.TPublié le
_.La nécessité de transmettre, de mettre en commun est le fil rouge de votre livre…
Jean-Pierre Darroussin. Raconter ma façon de voir fut ma première motivation. A l’heure où les hommes sont de plus en plus interchangeables, à l’identité de plus en plus virtuelle, j’ai eu envie de fixer ma propre histoire, raconter le terreau qui m’a fait pousser. Le sens de la communauté et de la solidarité m’a été transmis par mes parents et grands parents tout à tour paysans et ouvriers. Donc des travailleurs. Ils ont vécu une époque où l’individualisme et la concurrence n’étaient pas « fondamentales » dans l’organisation de la société. L’esprit de concurrence n’existait que chez les grands patrons prompts à élaborer des guerres. Parait-il que cet esprit allait sauver le monde. L’émulation allait rendre l’Homme plus fort, plus conquérant et meilleur. Dans ma famille, de par leur milieu, tout ce qui relevait du domaine du nouveau, de l’étranger était le bienvenu. Il y régnait une forme d’enrichissement dans la découverte du nouveau.
_.En établissant une photographie du début du XXème siècle jusqu’aux années 80 et par vos propos, ne craignez vous pas qu’il vous soit reprocher une forme d’idéal nostalgique à l’instar de l’immeuble de libre-circulation de vos grands-parents ?
JPD. Quand les portes sont ouvertes et que les gens vivent ensemble, il n’y a de place pour la nostalgie. Mes grands-parents, arrivés de la campagne, se sont établis à Paris. Dans une ferme, on circule. Ces gens-là reproduisaient cette vie à l’intérieur d’un immeuble parisien. Il existait une clé pour toutes les serrures. Jusqu’aux années 60, ce système a perduré. Je l’ai moi-même connu. Peu à peu, les nouveaux arrivants ont changé les serrures…
_. L’un des thèmes est l’exil. Les pauvres seraient contraints de partir sous peine d’être condamner à l’échec. Faut-il voir une incitation à partir pour réussir ?
JPD. Il faut dire que l’exil est souvent lié à des contraintes économiques. Mais l’exil fait de vous un immigré à vie. En exil, on est un déraciné. O combien le migrant rentrerait chez lui, il le demeurerait. De retour chez lui, le monde a changé et si ce n‘est pas le cas, ce monde lui rappelle les motifs de son départ. Il s’agit du moins de l’expérience de mes grands-parents. Mais il me semble que ce mouvement perdure. Il est concentrique. Tout amène vers le centre et crée des villes énormes. Ces villes importantes le sont au détriment de l’identité de l’individu et de sa mémoire.
_. Feriez-vous une critique de l’urbanisme ?
JPD. L’individu cherche souvent l’anonymat dans les grandes villes. Cet anonymat passe pour une garantie de liberté. La ville peut être grisante quand on est jeune. Mais, demeure que plus personne ne sait qui a construit la maison qui vous abrite, l’arbre qui a fait les charpentes, l’homme qui a posé les fenêtres. Il existait une généalogie dans toute chose. Dès lors on se sentait moins comme une quantité négligeable.
_. A ce titre, vous écrivez qu’il est nécessaire que « l’on se rappelle hier pour espérer demain »…
JPD. Je voudrais être Ministre de l’Education Nationale. Je veux supprimer l’étude des mathématiques comme bases d’évaluations « objectives » des élèves. Cette matière est devenue principale. Or, elle ne l’est pas moins que le français, l’histoire ou le latin. Elle classe les bons et soi-disant mauvais élèves. Derrière l’instrumentalisation de cette matière, il y a les chiffres, la concurrence, la rentabilité. Elle permet l’évaluation donc la hiérarchisation. En d’autres termes, maintenir l’ordre et un ordre. Peut-être est-ce peu important pour certains de savoir qu’Henri III a été transpercé à Paris, rue Saint-Antoine. Pour moi, cela montre qu’il y a du lien et une généalogie. Que rien n’est innocent. Connaitre l’histoire permet de comprendre où est sa place dans la communauté et savoir pourquoi nous sommes là. Nous ne pouvons nous satisfaire d’être des chairs à canons en temps de guerre et des chairs à consommation en temps de paix.
_. Abordons ce thème d’identité. Sous la doxa médiatique, l’identité est signe de rejet et de repli. Quelle définition en avez-vous ?
JPD. L’identité n’est qu’un pas vers l’Autre. L’identité est toujours en mouvement. Elle ne peut donc être repli sur soi. Mieux nous avons conscience et connaissance de qui nous sommes, mieux nous sommes éveillés vers l’extérieur et l’Autre. Quand le parcours est obscure, plus grande est la tentation de se réfugier dans les religions qui apportent une explication simpliste à savoir nous sommes des créatures de dieu. Pour ma part, j’ai besoin d’être alerté par ce qui surprend. Me contenter de ce que j’ai et ce que je sais est anxiogène.
_. Votre livre se place sous le sceau de la figure paternelle. Il s’agit d’une figure tutélaire qui rejaillit y compris sur vos rapports aux autres hommes.
JPD. Nos pères ont montré leur monde, leur travail. Inconsciemment peut-être savaient-ils que leur univers allait disparaitre et qu’il fallait en rendre compte. Chez moi, c’est passé par l’imitation et la restitution en devenant acteur. Il me fallait m’incarner dans différents métiers ou couches sociales. A leur époque finissante, ces gens qui ont atteint un degré tel de conscience et de maitrise de leur travail et de leur environnement ont engendré des artistes. Je retrouve chez Robert (Guédiguian, ndlr) ce parcours. Lui et moi sommes frères. Nous avons le même goût pour raconter des histoires et faire fonctionner notre petit artisanat. Nous avons le souci de connaitre les causes pour ne plus qu’elles reproduisent les mêmes effets.
_. Est-il vrai que votre père aurait prédit la société de spectacle et de divertissement ?
JPD. Tout à fait. J’ai travaillé avec lui jusqu’en 1974. Dès la fin des années 60, il savait que son monde allait être remplacé par des machines. Il faudra dès lors occuper les hommes disait-il avec de nombreuses chaines de radios et de télévisions, de nombreux spectacles et cinémas. Ma génération devait pourvoyé à cela. Dès mes premières velléités de théâtre, il m’a encouragé.
_. Peut-on établir une passerelle entre l’artisanat de votre père et votre métier d’artiste ?
JPD. Le point commun est l’amour et l’admiration du travail. Le travail ne se galvaude pas. Il ne se néglige pas. J’ai la chance de faire un métier où l’on apprend toujours. Chaque rôle est une énigme nouvelle à résoudre. Un artiste doit rendre compte d’une réalité et d’une époque. Il faut ainsi être assimilable et décodable par le peuple et non pas une élite. Nous sommes des intermédiaires.
_. En 1997, dans « Marius et Jeannette » vous campiez le rôle de Dédé, ouvrier électeur FN. Comment expliquez-vous la percée du FN ?
JPD. Le FN progresse depuis 1983. Tout est dit. C’est le résultat d’un abandon et d’une gauche qui n’est plus la gauche. Il devient difficile pour les travailleurs de se situer. Le FN a beau de faire l’amalgame PS-UMP, de se faire passer pour les pourfendeurs de l’union sacrée du grand capital. La gauche n’a jamais été au pouvoir. Jamais…depuis…depuis le Front Populaire (sourire). Jamais il n’y a eu de politique de gauche. Et chaque fois que le PCF ou les Verts se sont alliés à cette soi-disant gauche la désillusion pour le peuple a été plus grande encore.
Entretien réalisé par Lionel Decottignies
Source: L'Humanité Dimanche du 16 au 22 avril 2015
Jean-Pierre Darroussin « Et le souvenir que je garde au cœur » Edition Fayard.