Famine en Afrique. Rony Brauman: «Il faut faire pression sur les belligérants pour atteindre les victimes»
Par N.TPublié le
Ancien président de Médecins sans frontières France (de 1982 à 1994), Rony Brauman revient sur les facteurs qui entravent l’action des Nations unies sur le terrain. Il pointe l’absence de réponses spécifiques à chaque pays.
_.L’ONU alerte sur un nombre de morts «massif» en Afrique et au Yémen en raison de la famine. Comment est-il possible que la catastrophe puisse atteindre une telle ampleur ?
Rony Brauman. Il est une chose incontestable : les conflits sont la cause prédominante de la crise alimentaire, de la situation de disette ou de famine que l’on voit apparaître dans plusieurs régions d’Afrique de l’Est ou centrale. La guerre reste une série d’actions et de cruauté effroyables. Et l’on a peut-être l’illusion que le développement de l’aide pourrait venir adoucir les rudesses de celles-ci. Les pôles de famine sont le résultat de la guerre. Si demain une solution politique venait à l’interrompre, la question de la famine serait progressivement résolue.
_. Il faut donc des réponses spécifiques à chaque pays, parce que ce sont des conflits internes liés à des conditions particulières ?
R. B. Tout à fait, il faut des réponses spécifiques. Ce qui vaut pour le Nigeria n’est pas valable pour le Soudan du Sud, pour le Yémen et la Somalie. L’une des critiques que l’on peut justement adresser aux Nations unies, c’est d’avoir rassemblé des situations très différentes et de tenter d’en faire autant pour d’autres cas. La Syrie, la Centrafrique auraient très bien pu faire partie de ce palmarès de l’horreur.
_. Les Nations unies sont-elles en mesure d’agir en faveur de telles réponses ? La crise alimentaire est-elle une fatalité, vu l’état du monde aujourd’hui ?
R. B. Les Nations unies ne sont pas là pour considérer que c’est une fatalité. Elles ont pour raison d’être de faire vivre la paix par la coopération entre les États et entre les peuples. Elles sont donc là en plein cœur de leur finalité. Je ne sais pas quels résultats l’on peut attendre de leur action, mais je suis convaincu que celle-ci doit être conduite, dans tous les cas. Je trouve, malheureusement, que l’appel des Nations unies est mal construit, qu’il mêle des choses différentes, qu’il confond des poches de famines avec une famine généralisée, qu’il parle de crise humanitaire quand il faut parler de prédation politique. En conséquence, il y a encore du chemin à faire pour être à la hauteur de la situation.
_. Il y a donc un problème d’approche de ces phénomènes catastrophiques et de communication ?
R. B. Disons plutôt un problème d’analyse concrète des éléments. Il y a en revanche trop de communication.
_. Le HCR évalue à seulement 21 % le volume des financements attendus, comment cela est-il possible ?
R. B. Les problèmes économiques dans les pays riches font qu’on a tendance à resserrer les budgets liés à la solidarité. C’est une réalité. Cela étant, les Nations unies n’ont pas fait preuve d’une très grande crédibilité non plus. On a assisté, ces dernières années, à un certain nombre de scandales financiers internes, des gaspillages ont été constatés. Ce n’est pas une justification, mais il faut bien comprendre les enjeux si on veut les modifier. Enfin, parions que même si les Nations unies se voyaient verser tous les fonds qu’elles attendent, elles ne pourraient pas vraiment les utiliser, précisément pour les raisons que j’ai évoquées. Nous ne sommes pas en présence d’un phénomène naturel avec juste des difficultés logistiques pour atteindre les victimes, mais d’un phénomène politique avec des poches qui sont isolées par la volonté des belligérants. L’important, dans tous les cas, c’est de commencer à faire le travail, à faire pression sur les belligérants pour atteindre les victimes. Car cela reste possible localement. Il faut élargir les brèches puis, par la force de l’exemple, entraîner une dynamique qui amènera d’autres fonds et d’autres formes d’aides.
Source : Humanité Dimanche n°557