SNCM : La CGT en grève juste avant l'ouverture de la ligne Toulon-Bastia
Par nicolas éthèvePublié le
Le préavis de grève déposé le 20 janvier par le syndicat CGT des marins de Marseille est « illicite ». C'est ce qu'a jugé hier soir, à 17 h, le président du tribunal de grande instance de Marseille qui a ordonné au syndicat de retirer cet appel à la grève, lancé trois jours avant le début du mouvement au lieu des 5 journées réglementaires, étant donné la nature de ce libellé : « notre organisation syndicale appelle l'ensemble de l'équipage du Corse [le bateau qui devait ouvrir demain la nouvelle liaison de la SNCM entre Toulon et la Corse (Bastia), mais s'avère retenu par les marins à Marseille, Ndlr] à cesser le travail, à compter de sa date et de son horaire d'appareillage à venir dans les prochains jours et ce d'heure en heure pour une durée illimitée dans le port de Marseille ».
Mais cette décision de justice doublée de la réaction de la direction de la SNCM qui a engagé des procédures disciplinaires allant de la mise à pied, jusqu’au licenciement, contre 17 marins, n'empêchent pas les marins du port d'être en grève depuis ce matin, grâce au dépôt de deux nouveaux préavis de grève, cette fois-ci licites. Et surtout, de poursuivre le blocage « illicite » du navire Le Corse opéré depuis hier soir, par une personne cagoulée qui a placé une remorque à quai, suite à l'annonce de la décision du TGI. Même si le président du tribunal a également ordonné que soit mis fin à tous les obstacles et entraves qui gênaient la manœuvre et empêchaient la liberté de mouvement du Corse...
Un « marronnier » dans les médias
Devenu un « marronnier » dans les médias, très friands de ces fortes grèves qui paralysent cycliquement l'activité du port de Marseille, le conflit social de la SNCM fait comme à l'accoutumé l'objet d'une vaste couverture médiatique cette semaine, de nombreux journaux relayant l'information de la grève des marins CGT pour « la défense de l'emploi ». Un slogan de mobilisation qui unifie un vrac de revendications nettement plus différenciées, quand on y regarde de plus près...
Si la première s'élève bien contre la concurrence des compagnies « low cost », telles que Corsica Ferries, et demande, à l'unisson de l'amendement présenté aujourd'hui au Sénat par le groupe communiste, l'adoption d'une loi pour que les lignes maritimes de service public soient exécutées avec des navires battant pavillon français de premier registre, le syndicat des marins CGT de la SNCM s'attaque aussi expressément, dans son préavis, à l'ouverture de la nouvelle ligne Toulon-Bastia, ainsi mise sous pression dès avant la veille de son lancement : « La ligne de Toulon est (…) annoncée comme structurellement déficitaire à hauteur de 8 millions d'euros et vous retirez un navire en saison des lignes du Maghreb, réduisant ainsi nos liaisons de moitié entre l'Algérie et la Tunisie, au moment où LD Lines annonce à l'ouverture d'un service à passagers en concurrence avec la SNCM à compter de mai 2012 », lance précisément le préavis de grève, adressé à Marc Dufour, le président du directoire de la SNCM. Ce qui fait bondir le dirigeant, puisque Frédéric Alpozzo, le secrétaire général des marins CGT, signataire de ce préavis, s'était à de multiples reprises positionné pour l'ouverture de cette ligne, comme le montre la lecture des procès verbaux établis en comité d'entreprise, des procès verbaux que Médiaterranée s'est procurée (1).
« Monsieur Alpozzo explique son action de blocage de Toulon en prétextant que je n’aurais pas respecté l’accord du 17 mars 2011 qui prévoit deux bateaux sur l’Afrique du Nord, commente Marc Dufour, pour Médiaterranée. Je l’invite à écrire au peuple tunisien pour lui demander pourquoi ils ont le toupet de faire la révolution sans l’avertir ! Quand l’activité reprendra, nous répondrons présents. En attendant, nous affectons nos moyens de production là où il y a des besoins et là où se joue l’avenir de la Compagnie. C’est de la saine gestion... ».
Un « pack » revendicatif
Les revendications des marins CGT ne s'arrêtent pas à la question des liaisons maritimes vers la Corse et l'Afrique du Nord. Le « pack » revendicatif constituent en effet un long fleuve avec, notamment, la demande de « l'abandon du processus de dénonciation » des « accords » et « usages en vigueur » qui était inscrite à l'ordre du jour du comité d'entreprise exceptionnel convoqué ce matin par Marc Dufour ; mais aussi celle de la non-extension du « projet de loi de service minimum » ; comme celle de « l'arrêt de toutes les conventions existantes sur Toulon et Nice subventionnées avec l'argent de nos impôts au profit de Corsica Ferries », avec la perspective de l'élaboration d'une nouvelle « Délégation de service public » entre la SNCM, la CMN, la Corse et le territoire national, la précédente DSP ayant été annulée le 7 novembre dernier par la Cour administrative d'appel de Marseille, suite à la plainte déposée en 2006 par ladite Corsica Ferries.
Ironie de l'histoire, le renouvellement de cette DSP est aussi un grand cheval de bataille de Marc Dufour qui préférerait œuvrer dans ce sens avec les marins CGT plutôt que d'être confronté à cette avalanche de revendications... En attendant de connaître leur devenir, ce qui est sûr, c'est que de nombreuses voix s'élèvent déjà, de Marseille à Bastia, pour exprimer toute leur désapprobation face aux conséquences économiques de ce nouveau mouvement social.
Un vent de désapprobation, de Marseille à Bastia
« Ce n'est pas le moment d'avoir une grève longue et prolongée », a réagi dès hier auprès de l'AFP, Patrick Daher, le président du conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille, en marge d'un point presse sur le bilan du port. Cette même dépêche se faisait également l'écho de « l'exaspération » exprimée par la chambre de commerce de Haute-Corse face à ce nouveau mouvement de grève s'apparentant pour elle à un véritable « sabordage », au moment où « les réservations pour la saison semblaient marquer une trajectoire positive ».
Et à l'intérieur même de la SNCM, les élus d’Alternance Démocratique (CFT, STC, CFDT) ont réaffirmé, ce matin, avec la CGC-CFE, leur position « qui consiste à occuper de manière significative la place de Toulon », l’objectif étant « de faire naviguer les navires qui étaient prévus à la chaîne, et donc de créer de l’emploi »... Ils l'ont dit à l’ouverture des travaux du Comité d’entreprise extraordinaire convoqué pour informer les partenaires sociaux de l’ouverture de la concertation sur le nouveau pacte social, condition sine qua non, pour la direction de la SNCM, de l'acquisition d'une nouvelle flotte, comme l'avait indiqué Marc Dufour, ici, sur Médiaterranée. Ces deux organisations syndicales ont ensuite demandé au président du directoire de la SNCM de programmer un nouveau CE extraordinaire, pour que toutes les organisations syndicales puissent s'exprimer, les élus de la CGT marins et sédentaires n'ayant pas siégé ce matin. Ce qu'a accepté Marc Dufour, une nouvelle date devant être fixée dans les prochains jours. Reste à savoir si le syndicat CGT siégera à cette nouvelle rencontre...
N.E
(1). Voici les extraits de PV établis en CE, dans lesquels Frédéric Alpozzo, le secrétaire général des marins CGT s'était positionné pour la présence de la SNCM à Toulon :
Déclarations du 16 février 2010 :
« Ils [Corsica ferries] attaquent tout le monde. Ils déplacent les lignes les plus rentables, comme ils l’ont fait sur les passagers, de Marseille à Toulon. Si on laisse faire cette spirale, que va-t-il nous rester ? Les ports secondaires à 4 cargos ? Et les emplois ? C’est une boucherie alors, il n’y aurait plus rien pour personne et sûrement pas avec le pavillon et les conditions que nous connaissons. »(…)
« Dans le plan que vous présentez ce jour, Nice n’apparaît pas comme support à la reconquête de la place de la SNCM en Corse et Toulon a totalement disparu. »
Déclarations du 14 décembre 2010 :
« Aujourd’hui, Moby Lines ne s’exprime pas, mais il a débouché le champagne pour annoncer son arrivée sur Toulon ! L’aide sociale au passager censée aller au passager à caractère social, c’est le montant le plus élevé qu’il y a dans ce nouvel accord : 9 millions d’euros sur Toulon à 50km, 30% de moins sur les tarifs fret ! Ils nous ont piqué 30% sur Bastia à CMN et la SNCM ! Est-ce que ça va s’arrêter ? Avec un de plus ça va s’arrêter ? Non ça ne va pas arrêter et sur les passagers ça va continuer »(…) ».
« Vous avez évalué combien la Corsica nous a « piqué » depuis 2006-2007 ? Depuis le nouveau contrat, vous avez dû l’évaluer quand même ! On n’a pas proposé de solutions pour aller le récupérer sur Toulon ce service » [de fret].
« Au lieu d’aller dans le seul sens du maintien de l’aide à caractère social qu’on vous a imposé, la Direction peut proposer une solution alternative qui permette de préserver la délégation de service public et ses services au départ de Marseille. Ceci intègre le fait du déplacement des services de fret sur Toulon, de manière à arrêter l’érosion qui va nous conduire à notre perte. »
« Corsica Ferries a augmenté ses volumes, à la fois parce qu’il y a eu une dynamique de marché et à la fois parce qu’il a augmenté ses parts du marché, qui fait que cela représente 4,8 millions d’euros courants par rapport à 2006. Si on prend 2007 comme référentiel, on est à 3,4 millions. Par le jeu de l’aide sociale au passager, cela participe du renforcement des capacités sur Toulon, lesquelles participent du renforcement de la possibilité de capter du trafic fret qui se traduit par une perte de recette au niveau de la SNCM qui se traduit par des pressions supplémentaires. »