Jacob Zuma, candidat à sa propre succession sous la bannière de l’ANC... (DR)

Élections en Afrique du Sud : l’ANC face aux injustices sociales croissantes

Les Sud-Africains sont appelés aux urnes le 7 mai prochain dans un climat social explosif, marqué par de nombreux scandales de corruption. Bien que très fragilisé, l’ANC (Congrès national africain), parti historique, et son candidat à la présidence, le sortant Jacob Zuma, restent les favoris.

Vingt ans après « Freedom Day », mémorable journée du 27 avril 1994, date du premier scrutin qui consacra l’effondrement de l’apartheid, les Sud-Africains sont appelés aux urnes pour élire le Parlement qui élira ensuite le président. L’ANC, parti historique qui a obtenu près des deux tiers des voix en 2009, pourrait emporter à nouveau les élections prévues le 7 mai. La formation n’en est pas moins dans une très mauvaise posture, minée par des affaires de corruption et dans l’incapacité de répondre aux attentes sociales, enjeu essentiel.

Jacob Zuma, candidat à sa propre succession sous la bannière de l’ANC, joue en effet pour cette fois une partie serrée. Le président est soupçonné d’avoir fait un usage privé de fonds publics, notamment pour la réalisation de travaux dans sa résidence privée. Le thème de l’enrichissement personnel de certains responsables de l’ANC rebondit par ailleurs sur la place publique, entachant sévèrement l’image de l’organisation. Il faudra en outre à celle-ci payer le prix d’un mécontentement croissant dans les couches populaires, gavées de promesses mais qui ne voient toujours rien venir. La colère gronde dans les townships (quartiers urbains pauvres) secoués de manifestations violentes, entre barrages routiers et incendies de bâtiments publics, pour dénoncer le sous-équipement, l’absence d’alimentation en eau, d’électricité, de réseaux d’évacuation, le chômage et la corruption des élus.

« Les inégalités sociales ont augmenté, le taux chômage ne diminue plus, celui-ci augmente même de nouveau. Thabo Mbeki (président de la République de 1999 à 2008 – NDLR) disait que le problème de l’Afrique du Sud, c’est qu’il y a deux nations sud-africaines, il y a ceux qui sont dans le système et ceux qui sont en dehors, et ils sont très nombreux. Près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté », explique Philippe Gervais-Lambony, maître de conférences à l’université de Paris X-Nanterre, spécialiste de l’Afrique du Sud.

Au plan politique, l’ANC doit désormais tenir compte d’un très probable émiettement de ses voix au profit du nouveau parti fondé par Julius Malema, Economic Freedom Fighters (Front de la liberté économique). Ce dissident de l’organisation historique est entré dans l’opposition en revendiquant une redistribution plus juste des richesses. « La vraie liberté, c’est d’avoir un toit. La vraie liberté, c’est d’avoir accès à l’électricité. La vraie liberté, c’est d’avoir accès à l’eau. La vraie liberté, c’est un salaire décent… Notre peuple n’a toujours pas cela », a-t-il martelé lors de la présentation de son programme électoral, se proposant de nationaliser les terres et les mines pour satisfaire ses promesses. Son discours à tonalité populiste, qui cible les déçus et les exclus, n’en porte pas moins cependant l’empreinte des affaires, Malema étant également impliqué dans des scandales de corruption.

D’autres grains de sable pourraient aussi enrayer la machine électorale de l’ANC, sur fond de désenchantement, sans compter que les deux tiers des « Born Free », ces jeunes nés depuis l’élection de Mandela, ne sont pas inscrits sur les listes électorales : le très populaire archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984 et ami intime de Mandela, a déclaré publiquement qu’il ne votera pas pour l’ANC. D’anciens ministres de Mandela n’ont pas hésité à appeler au boycott du scrutin du 7 mai.

Cela étant, l’ANC n’en reste pas moins favori dans tous les cas. Premier parti d’opposition, l’Alliance démocratique (AD) demeure perçue comme le choix favori des Blancs et des métisses tout en gagnant de l’audience auprès des libéraux noirs. Et il n’est pas sûr que le discours de Julius Malema soit d’ores et déjà en mesure de créer un réel rapport de forces.

Jacob Zuma, qui se maintiendra probablement au pouvoir, devra se montrer au plus vite capable de ressouder la fracture entre l’ANC et les couches populaires laissées-pour-compte d’une politique néolibérale, dans un système économique injuste et régressif qui piétine tous les espoirs fleuris de 1994, sur les décombres du régime abject de l’apartheid.