Cinéma(s) d’Égypte, du développement du réalisme à l’après Révolution du 25 janvier
Par N.TPublié le
Du 2 novembre au 10 décembre 2011, Aflam -diffusion des cinémas arabes- (1) célèbre le cinéma égyptien à Marseille et dans sa région. L’association Aflam propose, depuis plus d’une décennie des cycles de projections du 7ème art réalisé au Maghreb et au Moyen-Orient. Cette année, durant plus d’un mois, c’est une fenêtre ouverte en forme de panorama de la cinématographie égyptienne avec un focus sur les réalisations récentes auquel les spectateurs sont conviés.
En introduction du programme, déjà disponible dans les lieux publics et sur internet (2), il est rappelé l’enjeu : « le vrai défi si l'on sait que, né à Alexandrie dès l'invention des frères Lumière, ce cinéma produisait déjà une cinquantaine de films par an dans les années 1940, et jusqu'à 90 films dans les années 1980 ! »
Nous avons interrogé Michel Serceau, co-président d’Aflam, sur la construction artistique de cette manifestation au vu de la longue histoire du cinéma égyptien notamment sa tradition de cinéma social et politique et l’accélération récente de l’histoire avec le « Printemps d’Egypte » ?
« Nous avons eu dès le début de la recherche le souci de mettre en relief l’émergence du réalisme, sortie des studios et, corrélativement, rupture avec une certaine censure des réalités sociales. Mais nous voulions aussi montrer, d’où notre sous-titre « Le développement du réalisme », qu’il y avait sur ce plan dans le cinéma égyptien depuis longtemps une volonté, une recherche. D’où la présence dans ce volet « développement du réalisme », où l’on va de 1953 à 2001, de films des années 1950 comme Les eaux noires, des Révoltés et de La terre (1968). » explique t’il.
« Tout autant que « l’accélération de l’Histoire » dont témoigne 18 jours (4), qu’il était bien entendu indispensable de programmer, nous avons voulu, nous voulions bien avant qu’éclose ce que l’on appelle le Printemps arabe, montrer comment le cinéma reflétait les tensions croissantes et les exaspérations (l’exaspération n’est-elle pas une accélération ?), sur le plan des moeurs aussi bien que sur celui des relations sociales. »
Une soixantaine de films, fictions, documentaires, courts métrages, des rencontres avec les réalisateurs, mais aussi pas moins de quatre tables rondes, deux expositions et un concert à la Cité de la Musique de Marseille sont au programme de ce cycle autour des Cinéma(s) d’Egypte.
Chaque film participe de la découverte de l’Egypte et les réalisations vont du mélodrame à la comédie, de la comédie musicale à l’adaptation d’œuvres littéraires. Les grandes voix, danseuses et les acteurs mythiques ((Samia Gamal, Farid El Atrache, Oum Kalsoum, Soad Hosni, Omar Charif, Ahmed Zaki ) qui ont fait rêver des générations de femmes et d’hommes dans l’ensemble du monde arabe pourront défiler devant vos yeux.
Voir ou revoir les œuvres des grands maîtres du cinéma égyptien, de l’incontournable Youssef Chahine au vrai bâtisseur du cinéma réaliste, Salah Abou Seif est une des propositions.
Les remous de la société égyptienne pré-révolutionnaire
La production récente des cinéastes égyptiens permet de mieux comprendre les remous qui agitaient la société égyptienne pré-révolutionnaire : il faut (re) voir «les Femmes du Caire» de Yousry Nasrallah. « Microphone » de Ahmad Abdallah qui a reçu le Tanit d'Or, la récompense la plus prestigieuse des Journées Cinématographiques de Carthage (Tunisie) en novembre 2010 et la Tulipe d'Or au festival du film d'Istanbul en avril 2011, est-il le pendant égyptien des « Chats persans » comme certains le présentent ?
Le documentaire « Zelal » réalisé par Marianne Khoury et Mustapha Hasnaoui (auteur et réalisateur décédé le 15 janvier dernier) est une plongée dans le monde de la psychiatrie en Egypte et un regard plein d’amour.
Quant au film de Mohamed Diab "Les Femmes du bus 678" levant le tabou sur le harcèlement sexuel dans les transports en commun du Caire, présenté en Avant-Première en ouverture de la compétition longs métrages de la 33ème édition de Cinemed et gratifié ce jour de deux récompenses dans le cadre du palmarès à Montpellier (le prix du public Midi libre et le prix jeune public du CMCAS Languedoc) , il sera projeté le 8 novembre à Marseille, en présence du réalisateur, puis en Arles et à Aix-en-Provence.
Deux séances sont réservées au court-métrage avec la présentation de 20 films au total. Michel Serceau, nous éclaire sur cette pépinière de jeunes talents : « Le nombre, important, de courts-métrages est déjà en soi un signe de vitalité, la marque de l’émergence d’une nouvelle génération. La diversité de leurs esthétiques est le signe fort que, d’une part, se creuse le sillon du réalisme social («Karim », «Gâteau à la crème», «Liberté suspendue», « Payback ») et d’autre part, qu’émergent des voies que n’avaient pas empruntées jusque-là le cinéma égyptien. C’est ainsi que «Numéro social» et «Article 212» rompent avec le réalisme pour mettre en scène des situations imaginaires, qui n’en ont pas moins de résonances psychologique et sociales.»
Passé, présent…et avenir ?...de l’Egypte sont convoqués à cette manifestation. Le reste se dessinera dans la rencontre entre ces regards et les personnes présentes dans les salles.
(1) Aflam, pluriel du mot « film » en langue arabe
(2) Programme, tarifs et présentation détaillée des films sur www.aflam.fr
(3) Michel Serceau est co-président d’Aflam. Docteur d’Etat, il a enseigné le cinéma dans plusieurs universités. Auteur de nombreux articles sur le cinéma, coordonnateur d’ouvrages collectifs, dont Cinémas du Maghreb, il a publié notamment L’adaptation cinématographique des textes littéraires ; théories et lectures ; Le cinéma et l’imaginaire ; Le mythe, le miroir et le divan, pour lire le cinéma. Il a aussi été un des coordonnateurs de la revue Panoramiques.
(4) 18 jours, film collectif rassemblant dix courts-métrages de réalisateurs différents nous faisant revivre les coulisses de la révolution égyptienne du 25 Janvier au 11 février 2011 au Caire, sorte de puzzle spontané et témoignage sensible.