L’envie de regarder sur grand écran les pépites du cinéma arabe, a été favorablement accueillie... (DR)

Premier Festival des cinémas arabes. Toiles de fond…

Par Smail DECHIR

L’Institut du monde arabe de Paris a renoué avec le septième art (*). Depuis la mort programmée de la Biennale du cinéma arabe, les amateurs du film arabe n’avaient que quelques projections à se mettre sous la dent. C’est dire combien cette manifestation, revenue sous une  forme, et une équipe différentes mais pareillement dédiées à l’amour des films arabes, l’envie de regarder sur grand écran les pépites du cinéma arabe, a été favorablement accueillie.

Bon, l’engouement à voir des toiles un mois de juillet traversé par la ferveur du Mondial footballistique, par la chaleur émolliente des après-midi parisiens, a quelque peu fait défaut  et la salle de l’Auditorium faisait certains jours peine à voir, au grand dam des cinéastes venus de contrées inattendues dans ce registre là comme les Emirats et l’Irak !

Cette première édition ne pouvait pas mieux commencer avec la projection de « Capharnaüm », film de la libanaise Nadia Labaki, prix du jury au dernier festival de Cannes. La réalisatrice connue pour l’excellent « Caramel » a cassé avec l’histoire d’enfants abandonnés l’image glamour qui affleure sous l’objectif de sa caméra. On a eu à voir une œuvre accomplie, où se conjuguent sincérité et maîtrise technique. C’était bien parti.

Les jours qui ont suivi ont démontré qu’une relève passionnée et compétente ne s’embarrasse pas de scrupules pour pousser les anciens vers une retraite bien méritée. Dans la sélection court-métrages, format jugé comme l’antichambre du cinéma alors que c’est un genre à part entière, le film de Ulaa Salim («Land of our fathers »-Irak 2017) a retenu notre attention par  le propos: l’exil et son corollaire : la séparation d’avec les proches, et aussi comment la caméra a su drainer les non-dits, et capter les battements subreptices de paupière, a su  rendre la mélodie du temps qui passe. Ce jeune réalisateur, 30 ans à peine au compteur, est attendu au tournant de son premier long métrage.

Les élections présidentielles algériennes…

« Bobol « de Khedija Lemkecher, « Black Mamba » de Amel Guellaty, outre qu’ils sont siglés Tunisie, ont ceci de particulier qu’ils malmènent les convenances sociales, les protagonistes finissant par sortir du religieusement correct. Sur ce registre, « Like Salt » de Darine Hotait (Liban 2018), n’est pas en reste : Hala, boxeuse d’origine arabe, se cherche et s’engouffre hors des sentiers battus à  New York, filmée avec maestra au point de revivre par moments le film « After Hours » de Martin Scorcese.

Le volet -films documentaires- a donné à voir quelques pépites comme « Vote Off » de Fayçal Hammoum (Algérie) et « Un long été brulant en Palestine », de Norma Marcos. Dans l’un, l’on suit avec délectation –morose ?- les  élections présidentielles algériennes, avec des gens venus du diable-vauvert, des mots que seuls ceux qui sont habitués à titiller l’absurde comprennent. Le documentaire, censuré comme il se doit par les Jdanov  de circonstance qui sévissent dans les sphères de l’art, fait l’effet d’un coup de poing. L’autre documentaire  parle comme de bien entendu de l’occupation et de la façon dont la population s’est adaptée . Emouvant, prenant et prégnant.

Mais c’est dans le programme long-métrages de fiction que les spectateurs ont eu droit à des pépites… « Le Déjeuner » de Lucien Bourjeily, (Liban 20017), a fait l’unanimité tant on retrouve sur 90 minutes, l’univers de Kusturica et de Bergman. Une gageure ! Dans un espace restreint, une maison et sa cuisine, une famille fait bombance un jour de Pâques dans la bonne humeur. Las : les tensions, sustentées par les absences prolongées des uns et des autres, montent crescendo, et tout ça, le réalisateur a réussi à nous le faire vivre le temps d’un déjeuner. Un pari audacieux qui lui a valu applaudissements, satisfécits et succès d’estime.

La relève de Chahine et Henri Barakat…

Deux autres films, (égyptiens ceux-là) se dégagent du lot par leur inventivité. « Kiss me not », de Ahmed Amer, aborde le recul du cinéma arabe dans ce qui a fait son sel : la sensualité. On s’embrassait plus facilement avant, c’est-à-dire avant que l’islamisme ne mine les efforts des sociétés arabes de s’inscrire dans la vie et la liberté. Dans le film, dans une mise en abyme  explicite, l’actrice refuse d’embrasser  le protagoniste mâle, pudeur et peur des conséquences obligent. S’en suivent quiproquo et imbroglios  haletants.

« Photocopie », de Tamer Ashry est de la même veine : Mahmoud retraité continue de gérer une petite boutique de photocopies. Il passe son temps à guetter une voisine dont il s’éprend de plus en plus. Il utilise des subterfuges dignes des ados pour attirer son attention, et ce déferlement d’ingéniosité devant l’amour, la solitude nous prend à la gorge. Du grand cinéma assurément.

La relève de Chahine et Henri Barakat est là ! A retenir également « Le Clair-Obscur » de Khaoula Ben Omar (Maroc), une ode à l’amour que le choix du noir et blanc a sublimé, et « Jusqu’à la fin des temps » de Yasmine Chouikh, qui vaut par une maitrise des codes cinématographiques et un cadrage époustouflant et aussi par l’émotion qui suinte dès les premiers échanges entre Ali et Joher.

Le spectateur n’aura pas perdu son temps dans cette première édition d‘un festival qui promet de revenir chaque été parisien et de donner à déguster jusqu’à plus soif des « déliciosités » venues de toutes les contrées de ce vaste territoire nommé monde arabe. Reste à améliorer quelques réglages, car de l’avis des « anciens » de la Biennale, il a manqué cette petite flamme qui a permis à l’époque de prolonger la magie du cinéma jusqu’à pas d’heure dans les alentours de l’IMA..

(*) Du 28 juin au 8 juillet 2018

Smail DECHIR