le dignitaire chiite Nimr Baqr Al Nimr, farouche opposant au régime Saoudien... (DR)

En exécutant un cheikh chiite, l’Arabie saoudite choisit le clash

La décapitation à Riyad d’un dignitaire chiite déclenche une crise diplomatique avec Téhéran. 
Les alliés des Saoudiens font bloc contre la République islamique. Un surcroît de tension qui profite 
à Daech et compromet les avancées politiques.

Le feu de la guerre continue à faire des ravages au Moyen-Orient, depuis treize années en Irak, trois en Libye et cinq en Syrie. Des pays dont les territoires ont été éventrés par les bombardements, les centres urbains transformés en champs de ruines, les infrastructures anéanties ; et dont les citoyens empruntent quotidiennement, par centaines de milliers, les chemins de l’errance, s’entassent dans des camps en Turquie, en Jordanie, au Liban, frappent désespérément aux portes de l’Europe, forteresse de plus en plus inaccessible… Un contexte chaotique qui connaît un rebondissement à l’aube de l’année 2016.

La mèche a été allumée en Arabie saoudite, avec des conséquences immédiates au plan diplomatique. Riyad a exécuté samedi 2 janvier le dignitaire chiite Nimr Baqr Al Nimr, farouchement opposé au régime, avec 46 autres personnes condamnées pour « terrorisme », dont la majorité pour des attentats attribués au réseau sunnite al-Qaida. La réaction, très vive, de Téhéran n’a pas tardé. Le guide suprême d’Iran, Ali Khamenei, a déclaré dimanche « que la main divine vengerait » le cheikh. Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a accusé lundi l’Arabie saoudite d’avoir « comploté en vue de faire baisser les prix du pétrole ». Premier exportateur mondial de brut, Riyad continue en effet à inonder le marché, provoquant la chute des cours, et se refuse à tout compromis pour une régulation de la production.

La rue iranienne s’est aussitôt emparée de l’événement. La guerre des mots a été suivie de représailles de manifestants contre l’ambassade saoudienne à Téhéran, qui a été partiellement détruite. Environ 3 000 personnes ont manifesté lundi dans la capitale iranienne, scandant des slogans fustigeant la famille sunnite régnant en Arabie saoudite. Les chiites ont également exprimé leur colère en Irak, au Liban, à Bahreïn ainsi qu’au Pakistan et dans le Cachemire indien.

Panique saoudienne

Première étape de l’escalade : l’Arabie saoudite a annoncé dimanche 3 janvier « la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran et exigé le départ sous 48 heures des membres de la représentation diplomatique iranienne ». Alliés du royaume wahhabite, Bahreïn et le Soudan se sont empressés d’adopter la même position de rupture. Les Émirats arabes unis ont quant à eux rappelé leur ambassadeur en Iran et annoncé qu’ils réduisaient leurs relations diplomatiques avec Téhéran.

« L’Arabie saoudite jette de l’huile sur le feu. Cela n’est pas sans rappeler ce qu’avaient fait les Turcs en abattant l’avion russe il y a quelques semaines. On ne peut que s’interroger sur ce fait qui va contrarier le règlement des conflits dans la région », constate Roland Lombardi, docteur en histoire, chercheur associé à l’IREMAM, consultant indépendant et analyste chez JFC Conseil.

« Les Saoudiens donnent le sentiment d’agir en dépit du bon sens, comme s’ils étaient en état de panique devant l’échec de leur stratégie dans la région », ajoute-t-il. Mais selon lui, tout comme les Russes, « les Iraniens ne tomberont pas dans le piège et vont essayer après coup de calmer le jeu ». Moscou s’est en effet immédiatement inscrit dans cette perspective, se proposant d’accueillir des pourparlers entre les chefs de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, et saoudienne, Adel Al Jubeir.

L’exécution du dignitaire chiite Nimr Al Nimr intervient à l’heure des balbutiements des négociations sur la Syrie. Les discussions avec Damas devraient débuter le 25 janvier en Suisse sous l’égide des Nations unies. Riyad est supposé « réunifier » en Syrie l’opposition civile et armée en prévision de ce dialogue. Outre qu’elle aggrave la fracture entre chiites et sunnites, la mise à mort barbare de l’opposant torpille ce processus tout comme elle hypothèque le moindre espoir de négociations au Yémen, où s’enlise l’intervention saoudienne menée avec le soutien à peine voilé des États-Unis.

Intervention intéressée de l’occident

La France, l’Amérique et l’Allemagne appellent, sans surprise, à la « désescalade » et au rétablissement des relations irano-saoudiennes. Mais qui peut raisonnablement croire qu’une telle escalade n’était pas prévue et attendue par les alliés occidentaux de Riyad ? Comment ne pas penser qu’un surcroît de tension au Moyen-Orient semble avoir été intégré par les uns et les autres ? Plutôt que d’appuyer les tentatives de dialogue politique en Libye, la France appelle par exemple avec insistance à la constitution d’une coalition pour y intervenir. Le renouvellement de l’expédition de 2011 pourrait pourtant avoir des conséquences chaotiques sur les pays du Sahel et du Maghreb, dont, plus particulièrement, la Tunisie.

Escalade

Les guerres particulièrement meurtrières au Moyen-Orient, qui portent partout aujourd’hui l’empreinte de l’hydre islamiste Daech, n’en sont pas moins ainsi les conséquences directes des stratégies géopolitiques occidentales pour le contrôle des ressources énergétiques, la préservation des zones d’influence politiques et d’implantation économique. Quelles sont alors, à l’état actuel des affrontements qui déchirent ces pays, les voies possibles pour une paix, aussi fragile soit-elle ?

« Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’espoir que tous les grands manipulateurs de cette situation dramatique se calment. On connaît très bien les États qui ont contribué à mettre le Moyen-Orient dans cette situation sanglante. Évidemment, on pense aux États-Unis d’Amérique avec cette invasion de l’Irak sous de faux prétextes et à toutes ces interventions qui ont eu lieu au nom de l’OTAN ou autres, les bombardements sur la Libye », l’envoi « de milliers de soi-disant djihadistes en Syrie, cette guerre épouvantable au Yémen contre un des peuples arabes les plus pauvres menée par l’Arabie saoudite. Pour le moment je ne sens rien, ni dans les médias, ni dans les discours, qui nous annonce le calme », réagissait à la veille de l’année 2016 le sociologue et historien libanais Georges Corm, interrogé part « l’Humanité Dimanche ». La réalité n’a pas tardé à lui donner raison.