Les Détours de Babel 2012 : un festival sous le signe des Résistances
Par N.TPublié le
Pour sa deuxième édition, le festival « Les Détours de Babel », né de la fusion entre le Grenoble Jazz Festival et les 38e Rugissants, explore le rapport entre musique et politique dans une programmation audacieuse et riche du 23 mars au 7 avril 2012 à Grenoble et dans le département de l’Isère.
Jacques Panisset, un des co-fondateurs de cette manifestation et du Centre International des Musiques Nomades, sa structure permanente dédiée à la création, a répondu aux questions de Médiaterranée.
Sur le thème "Musique et Politique" vous avez choisi de placer votre édition 2012 sous le signe des "Résistances" : un an justement après les printemps arabes, à l'heure où la France vit des échéances électorales et où les résistances des indignés ont fait le tour de la planète, cela peut-il être un pur hasard?
Jacques Panisset : Nous avions annoncé dès 2010 les thématiques des trois premières éditions de ce nouveau festival : 2011, Musique & Identité (traduit en "Connexions"), 2012 Musiques & Politique (traduction "Musiques en résistance") et 2013, Musiques & Religions (rapport au sacré, à la transe).
Nous avons choisi volontairement des thèmes qui permettent d'ausculter les mouvements des sociétés en s'appuyant sur la création artistique. Nous n'avions pas anticipé les événements que vous citez mais ils étaient sûrement "dans l'air du temps"! Il est sûr par contre que nous avions les échéances électorales de 2012 en ligne de mire.
Ces périodes de grandes élections sont l'occasion d'ouvrir de larges débats sur les questions essentielles et c'est important d'entendre ce que les artistes ont à dire sur ces sujets, de se pencher sur les grands mouvements socio-politiques des années passées, non pas pour commémorer mais pour s'instruire et actualiser le message. La question des politiques culturelles a quelque peu disparu des radars politiques ces dernières années et ne semble plus constituer un véritable enjeu pour le politique.
Votre programmation est à la croisée des héritages et des processus innovants, parlez-nous de quelques uns des projets qui vous tiennent à cœur?
J.P. : Nous avons la conviction que la création artistique n'est pas réservée à une élite et peut toucher un large public. Nous nous efforçons de concevoir des projets dans lesquels celui-ci peut retrouver des repères familiers et qui permettent de dédramatiser ce qui pourrait être perçu comme déstabilisant dans les formes "en rupture".
L'utilisation de la forme parade dans le « Convoi d'utopies exceptionnelles » (déambulation musicale, théâtrale et mécanique aux couleurs du Monde) permet de faire passer plus aisément et de manière ludique des musiques et des textes plus exigeants en introduisant la danse, la participation d'amateurs, avec des costumes et des masques. De même le format des bals et des brunchs créé des situations d'écoute moins solennelles où le corps du spectateur est invité aussi à s'exprimer. Les grandes créations cherchent au maximum à hybrider des formes savantes et des formes populaires et s'efforcent la plupart du temps à élargir le point de vue du spectateur en s'ouvrant aux cultures du monde : ainsi « Station Congo » de Ray Lema mais aussi « Tongues on Fire » ou « Wixarika » de Murcof et Truffaz.
Notre lectorat est attentif aux projets qui mettent en jeu la Méditerranée et les relations Orient-Occident : pouvez-vous nous présenter par exemple « Correspondances algériennes » et le projet associant le collectif de rappeurs palestiniens de DAM - Da Arabians MC’s- ?
J.P. : Nous n'accueillerons malheureusement pas DAM cette année et le projet « Tongues on Fire » a été modifié par rapport au projet initial, tout en restant fidèle à l'esprit (projet musical inspiré par l'art révolutionnaire d'Emory Douglas, le brillant illustrateur et Ministre de la Culture des Black Panthers, mettant en évidence l'efficacité des arts visuels, oratoires et musicaux comme vecteurs pour communiquer des idées).
Cependant la Méditerranée est fortement présente dans les projets : dans le Convoi des utopies exceptionnelles avec un char entier, celui des « mondes d'Orient », lequel est en fait surtout axé sur l'Algérie et le Maroc. Nous avons voulu que ce projet soit l'occasion de multiplier les passerelles et les collaborations avec le tissu associatif grenoblois et isérois.
Ainsi pour les mondes d'Orient a-t-on fait appel à l'association Dyade qui effectue un remarquable travail autour de ces cultures depuis de nombreuses années à Fontaine : ateliers musicaux, concerts, performances et multiplie les échanges trans-méditerranéens.
« Correspondances algériennes » est issu d'un travail de collectage de la mémoire de cette période des relations franco-algériennes, essentiellement au travers d'échanges épistolaires privés et se traduit par un spectacle mêlant textes, images et musique. Il sera présenté au Musée Dauphinois, haut-lieu de la mémoire de notre région dans toutes ses composantes.
On retrouvera aussi le conflit irakien et la guerre en Afghanistan dans le projet « Sleep Song » ainsi les musiques interdites d'Iran avec Shanbehzadeh.