Algérie: halte au viol de la mémoire !
Par N.TPublié le
Henri Maillot, Fernand Iveton, Jean-Marie Larribère, et tant d’autres, algériens d’origine française, célèbres ou anonymes, qui ont laissé leur empreinte dans la lutte de libération nationale, sont l’objet d’actes sournois tentant de les pousser hors de cette grande Histoire. La famille de Maillot, mort les armes à la main le 5 juin 1956, dénonce «un déni de reconnaissance énigmatique ». Le nom d’Iveton, guillotiné le 11 février 1957, fut, un moment, effacé d’une artère de la ville d’Oran. N’étaient les réactions d’indignation dans l’opinion, les autorités locales auraient entériné cet acte. Dans la même ville, c’est à présent la clinique du docteur Larribère, militant anticolonialiste ciblé par l’OAS en avril 1962, qui vient d’être baptisée du nom d’un autre moudjahid.
Mediaterranee publie ci-après la lettre, rendue publique, de la famille Maillot, ainsi que l’appel de l'AFEPEC (*) rappelant l’itinéraire historique de la famille Larribère.
Lettre de la famille Henri Maillot
« Nous, membres de la famille du chahid Henri Maillot, mort au champ d’honneur les armes à la main le 5 juin 1956, osons briser le silence que nous nous sommes imposé pendant 55 ans.
Et pour cause, notre frère et oncle est victime d’un ostracisme et d’un déni de reconnaissance énigmatique que d’aucuns n’arrivent à expliquer. Il demeure banni du panthéon réservé aux martyrs au même titre que son ami et voisin de quartier, le chahid Fernand Iveton, guillotiné à Serkadji le 11 février 1957. C’est pour cette raison que des centaines de citoyens se font un devoir de venir se recueillir sur leurs tombes chaque année les jours anniversaire de leur «mort».
Au mois de juin 2015, l’APS a publié une dépêche dans laquelle le chahid Henri Maillot était qualifié «d’ami de la Révolution algérienne». Un impair lourd de sens et qui illustre on ne peut mieux le sort réservé aux chouhada et moudjahidine d’origine européenne.
Il est regrettable de rappeler certains faits historiques et d’actualité pour prouver notre appartenance et notre attachement à notre patrie l’Algérie.
- La famille Maillot est installée en Algérie depuis six générations et ne l’a jamais quittée en dépit de tous les drames qui ont secoué notre pays.
- Le chahid Henri Maillot a offert ce qu’il avait de plus précieux pour défendre sa patrie : sa vie.
- Le père du chahid Henri Maillot était secrétaire du Syndicat des travailleurs de la ville d’Alger (mairie d’Alger). Il a été licencié pour avoir déclenché une grève pour réclamer les droits et plus de dignité pour les éboueurs musulmans.
- A l’indépendance, tous les membres de la famille Maillot ont opté pour la nationalité algérienne au détriment de la nationalité française.
Pour s’en convaincre davantage, il suffit de lire la lettre que le chahid Henri Maillot a envoyée à la presse parisienne pour justifier sa désertion avec un camion rempli d’armes et de munitions.
Dans cette lettre, il disait : «Il y a quelques mois de cela, Jules Roy, écrivain et colonel de l’armée française, disait : “Si j’étais musulman je serais du côté des fellagas’’. Moi je ne suis pas musulman mais je considère l’Algérie comme ma patrie et je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Et ma place est au côté de ceux qui ont engagé le combat libérateur… Ce n’est pas une lutte de religion ni de race, comme voudraient le faire croire certains possédants de ce pays, mais une lutte d’opprimés contre leurs oppresseurs sans distinction de races ni d’origines… Notre victoire est certaine… En désertant avec un camion rempli d’armes, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon peuple et de ma patrie …»
Afin de préserver la mémoire de Henri et les idéaux pour lesquels il s’est sacrifié, nous n’avons jamais rien demandé d’autre qu’une reconnaissance. Nous aimerions voir son nom gravé sur le fronton d’un lycée, d’une université, d’une cité ou bien lui dédier un lieu de mémoire pour que son sacrifice pour une Algérie libre, indépendante, fraternelle, tolérante et juste ne soit pas vain. Car la grandeur et la noblesse de notre Révolution est d’avoir été portée et défendue par des femmes et des hommes de différentes origines raciales, religieuses et culturelles.
C’est cela que nous devons inculquer aux jeunes générations algériennes. Ce sera une juste reconnaissance qui le sortira de la nuit de l’oubli où il a été longtemps confiné, à l’instar d’autres martyrs algériens d’origine étrangère. Quant aux moudjahidate et moudjahidine d’origine étrangère vivant en Algérie, ils sont en train de nous quitter l’un après l’autre dans l’anonymat le plus complet. Il est grand temps de leur rendre un vibrant hommage et recueillir leurs témoignages.
Gloire à tous nos martyrs.
La famille Maillot
La mémoire des Larribère effacée !
"Après l’épisode de la rue du martyr Fernand Iveton, la clinique Larribère, comme l’appellent encore aujourd’hui les oranais (es), a été secrètement baptisée du nom d’un autre moudjahed.Qui est Larribère ? Il s’agit de toute une famille de combattantes et de combattants de l’indépendance nationale de père, oncle à filles.
Pendant que ses filles, Aline, Pauline, Suzanne et Lucette (épouse Hadj Ali) étaient traquées ou emprisonnées par le pouvoir colonial pour leur engagement en faveur de l’indépendance, Jean-Marie Larribère, gynécologue et directeur de la clinique, militant progressiste, accouchait les Algériennes et soignait les Algériens.
En représailles, sa clinique a été détruite dans un attentat de l’OAS en avril 1962, après des tracts de menaces. Un malade et l’infirmière cachée dans une armoire avec un bébé, ainsi que le docteur Larribère réfugié au 2e étage, en réchappent par miracle.
Jean-Marie Larribère part pour Paris où il multiplie les interviews et les articles de journaux pour dénoncer la violence qui s’abattait sur les Algériens. Il revient très vite par Rocher Noir (Boumerdès) où siège le GPRA, pour rentrer à Oran faire fonctionner un hôpital à Mdina Jdida, soignant les blessés, car les violences de l’OAS durent jusqu’en juillet 1962.
Ce RAPPEL à l’Histoire est important, car les agents de l’oubli, de l’amnésie, sont honteusement et lamentablement à l’œuvre, au moment où nous nous apprêtons à rendre hommage à Lucette Larribère- Hadj Ali, militante de l’indépendance nationale, de la justice sociale, de la liberté, de la démocratie et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
A travers Lucette, compagne de nos luttes, nous honorons la famille Larribère ; c’est pourquoi notre cérémonie, prévue demain samedi 3 juin à midi, comportait la pose devant la clinique d’une plaque commémorative au nom de Larribère.
Mais, nous constatons que le nom d’un autre moudjahed figure sur la plaque qui y a été « discrètement » apposée en janvier 2017. Le Moudjahed Fréha Benfréha mérite légitimement, comme tous les militants et les moudjahidine de notre indépendance, une plaque à son nom, symbole de notre reconnaissance et de notre gratitude. Sauf à admettre qu’une INACCEPTABLE hiérarchie des sacrifices ait été instaurée, le nom des Larribère, lié à ce lieu et ce quartier d’Oran comme le retient encore notre mémoire collective, S’IMPOSE.
Nous appelons donc à la mobilisation de toutes et tous pour que le nom des Larribère retrouve et LOGIQUEMENT sa place dans cette ville, qui les a vus naître et combattre pour notre liberté."
AFEPEC (*)
Oran, le 02 juin 2017
(*) Association Féministe pour l’Epanouissement de la Personne et l’Exercice de la Citoyenneté