Correspondant en Israël et dans les territoires palestiniens durant 34 ans pour le service public... (DR)

Israël-Palestine, Charles Enderlin : "de nouvelles négociations n’aboutiraient pas"

Correspondant en Israël et dans les territoires palestiniens durant 34 ans pour le service public, Charles Enderlin, journaliste franco-israélien, reste très attentif à la situation d’une région 
à laquelle il a consacré articles, ouvrages 
et documentaires (1). Pessimiste sur les chances de résolution du conflit, il juge que la violence 
des jeunes Palestiniens, qui s’arment de couteaux et de pierres pour attaquer les occupants israéliens, pourrait prendre de l’ampleur.

_.La Cisjordanie occupée 
et Jérusalem-Est s’embrasent 
à nouveau. Le quotidien israélien « Haaretz » évoque une troisième Intifada. Pensez-vous que 
ce soit le cas ?

Charles Enderlin. Je ne crois pas que l’embrasement actuel soit comparable aux deux soulèvements palestiniens précédents : le premier qui a débuté en décembre 1987 et le second fin septembre 2000. Pour l’heure, il s’agit surtout d’actes individuels de Palestiniens et de citoyens arabes d’Israël. Les manifestations avec jets de pierres et de cocktails Molotov à des barrages militaires ou policiers sont le fait de jeunes Palestiniens, pas de l’ensemble de la population. Mais, avec la montée de la tension et 
la possibilité d’un dérapage plus important, ce cycle de violence pourrait prendre de l’ampleur et devenir un soulèvement en bonne et due forme.

_.Que se passe-t-il du côté palestinien, Mahmoud Abbas est-il réellement en perte de vitesse, 
dans l’incapacité de rassembler ?

C. E. Il faut rappeler que Mahmoud Abbas ne contrôle que les zones autonomes de Cisjordanie, c’est-à-dire les 8 grandes villes, parmi lesquelles une partie seulement d’Hébron. Cela représente 18 % de ce territoire. Ses forces de police tentent, selon les services israéliens, d’y maintenir le calme et d’empêcher les attentats. Le reste, y compris Jérusalem-Est, est entièrement sous contrôle sécuritaire israélien. Cela dit, il faut bien constater que la stratégie de l’OLP pour parvenir à un accord sur la création d’une Palestine indépendante a, jusqu’à présent, conduit à un échec. L’impuissance d’Abbas face au développement des colonies israéliennes et aux divers aspects de l’occupation mène à une frustration grandissante au sein de la population palestinienne, notamment au sein de la jeune génération.

_.La coalition droite – ultra-droite aux commandes en Israël s’emploie apparemment à saper la légitimité d’Abbas. À quelle fin, quel serait 
son objectif ?

C. E. Ce n’est probablement pas un objectif, mais la conséquence de la politique du gouvernement israélien. Tout simplement, la majorité au sein de la coalition gouvernementale est opposée à la création d’un État palestinien. Si Benyamin Netanyahou annonce qu’il est toujours en faveur d’une solution à deux États, il a déclaré qu’il ne pouvait pas envisager des retraits de Cisjordanie, car le Hamas, soit l’islam radical, prendrait, selon lui, immédiatement le contrôle des territoires évacués. Plusieurs de ses ministres répètent régulièrement cet argument. Sans parler des éléments au sein du Likoud, le parti au pouvoir, et du parti des colons, Maison juive, qui ne veulent pas entendre parler de concessions aux Palestiniens. Cela dit, ni Netanyahou, ni l’armée et les services de sécurité, ne veulent la dissolution de l’Autorité palestinienne. Car cela forcerait Israël à réoccuper les zones autonomes et à rétablir l’administration militaire de la Cisjordanie, sans parler de la crise internationale que cela susciterait.

_.Quelle est l’influence réelle 
des juifs orthodoxes et des colons sur l’attitude du gouvernement israélien ?

C. E. Les partis ultraorthodoxes ne sont au gouvernement que pour des raisons économiques. Pour le reste, vous l’avez dit, c’est une coalition de droite qui entend poursuivre sa politique de maintien du statut quo actuel en Cisjordanie.

_.Faut-il abandonner tout espoir de reprise des négociations, notamment devant l’inertie 
de la communauté internationale ?

C. E. Depuis 1998, toutes les tentatives pour parvenir à un accord négocié ont échoué. Comme la dernière en date : la médiation du secrétaire d’État américain John Kerry, l’année dernière. En raison de la situation sur le terrain, il n’y a aucune raison de penser que de nouvelles négociations pourraient aboutir. Il faut mentionner la quasi-impossibilité d’envisager l’évacuation – ne serait-ce que d’une partie – des 400 000 colons qui habitent la Cisjordanie. Sans parler du problème insoluble de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem : c’est Al-Aqsa, le troisième lieu saint pour l’islam, mais aussi le mont du Temple, le seul lieu saint pour le judaïsme.

_.Peut-on imaginer un sursaut dans l’opinion israélienne devant 
le pourrissement de la situation ?

C. E. Aujourd’hui, autant que l’on puisse juger, le public israélien, se sentant attaqué, soutient massivement la politique sécuritaire de Benyamin Netanyahou.

_.Quelles peuvent être les retombées sur la région des évolutions en Syrie et en Irak ?

C. E. Cela fournit des arguments supplémentaires à la droite qui évoque le risque que toute concession territoriale ferait courir à 
Israël.

(1) Charles Enderlin a publié « Shamir. Une biographie » (Orban, 1991) ; « les Années perdues : Intifada et guerres au Proche-Orient, 2001-2006 » (Fayard, 2006) ; « Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo-arabes, 1917-1995 » (Fayard, 2004) ; « le Rêve brisé. Un enfant est mort » (Don Quichotte, 2010) et « Histoire de l’échec du processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002 » (Fayard, 2002).