« Il y a deux Tunisie, celle des riches et celle du quart-monde »
Par N.TPublié le
À la veille des scrutins, le 26 octobre pour les législatives et le 23 novembre pour la présidentielle, les dirigeants de la gauche tunisienne établissent un diagnostic alarmant, résumé par le communiste Samir Ettaïeb. Quatre ans après la révolution et l’éviction de Ben Ali, le pays cherche toujours la voie de la stabilité.
Que faire de la révolution qui a mis à bas le régime dictatorial de Ben Ali ? Près de 4 années après cette secousse salutaire et moins d’une année après l’adoption de la nouvelle Constitution (janvier 2014), la question est toujours au centre des débats de la classe politique tunisienne. Étapes décisives de cette « transformation démocratique », les élections législatives et présidentielle mettent en exergue les enjeux politiques, économiques, sociaux et idéologiques auxquels est confronté le pays. La Tunisie est à un tournant.
Quelque 13 000 candidats inscrits sur près de 1 320 listes se disputeront le 26 octobre prochain les 217 sièges du futur Parlement. Le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu le 23 novembre pour départager les 27 candidats en lice. Les sondages, dont la dernière version date du mois de juillet, placent l’ancien premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi, en tête avec 29,8 %. Ce dernier se prévaut de l’héritage progressiste de Habib Bourguiba (1957-1987), figure historique et premier chef d’État de la Tunisie. Il serait suivi par l’ancien chef du gouvernement, Hamadi Jeballi, avec 11,2 %. L’actuel président, Moncef Marzouki, ne recueillerait quant à lui que 9,9 %.
Nidaa Tounes, la formation que dirige Béji Caïd Essebsi, serait à égalité avec les islamistes d’Ennahda, aux alentours de 30 %, pour les législatives. Ces derniers ne présentent pas de candidat à la présidentielle.
Bilan mitigé de la révolution
Face à cette bipolarisation, les formations de la mouvance démocratique proposent des alternatives avec des discours centriste, social-démocrate ou résolument à gauche. Elles ont pour point commun une opposition sans concession à l’islamisme et une méfiance à l’égard d’un rétablissement sournois du régime de Ben Ali, dont certaines figures sont réapparues sur la scène politique (trois candidats à la présidentielle). « Cela ne date pas d’aujourd’hui, Ennahda en avait déjà recyclé quelques-uns », précise Nadia Chaâbane, députée sortante en tête de la liste Union pour la Tunisie sur la zone France Nord.
Le parti dont elle est issue, Al Massar (mouvance communiste), dresse « un bilan mitigé » de la révolution. « Au plan politique, les avancées sont incontestables : adoption d’une Constitution porteuse de progrès, liberté d’expression, de presse, élections libres… mais au plan économique, le recul est frappant, la situation s’est considérablement dégradée », souligne Samir Ettaïeb, secrétaire général du parti. Selon lui, « le déséquilibre entre les régions de la côte et celles de l’intérieur, le quart-monde où la misère est insupportable, s’est accentué et il y a plus que jamais deux Tunisie ». Au cœur des propositions d’Al Massar figurent, entre autres, « la chasse à l’évasion fiscale, qui ruine le pays, et la lutte contre les réseaux de contrebande, source de financement du terrorisme ».
« L’ancien régime est toujours là »
Le Front populaire de Tunisie est l’autre bloc d’alliance constitué à gauche. La formation dresse le même diagnostic de la situation du pays, mais sur un ton plus alarmant, appelant à une rupture accélérée et radicale avec le système. « Il faut sauver la révolution ! » clame Hamma Hammami, porte-parole du mouvement. « L’ancien régime est toujours là, il reste encore à dépasser réellement la dictature, à mettre en place le dispositif législatif en conformité avec la nouvelle Constitution, à réformer les institutions, la police, l’armée, la justice…, martèle cette figure de la clandestinité en première ligne des luttes contre le régime de Ben Ali. Au plan économique, le système sert toujours les intérêts des Tunisiens les plus riches et des sociétés étrangères. Il y a urgence à réformer un système fiscal très injuste, à se recentrer sur les potentialités du pays, notamment l’agriculture. »
Tout comme Al Massar, le Front populaire de Tunisie dénonce les alliances ouvertes ou camouflées avec les islamistes et les organisations qui leur sont proches. Dans une société très imprégnée de cette influence idéologique et dans un contexte régional désastreux, les militants de ces deux blocs de gauche maintiennent et recommandent une mobilisation exemplaire. Ils ont un seul regret : avancer en rangs dispersés.
Source: L'Humanité Dimanche du 16 au 22 octobre 2014