Professeur de science politique à l'Université d'Evry-Val d'Essone, Olivier Le  Cour Grandmaison exhorte François Hollande à « entrer dans l'histoire », ce 19 et 20 décembre, en Algérie.

Olivier Le Cour Grandmaison : « Monsieur le président, dites que vous reconnaissez les crimes coloniaux commis par la France »

Professeur de science politique à l'Université d'Evry-Val d'Essone, Olivier Le Cour Grandmaison a pris sa plume pour conseiller humblement François Hollande, le président de la République française, à reconnaître « les crimes coloniaux commis par la France », à l'occasion de son voyage en Algérie, ce 19 et 20 décembre.

A la veille du voyage du président de la république française en Algérie, une visite qui se traduira notamment par l'implantation de Renault en Algérie, Olivier Le Cour Grandmaison a publié aujourd'hui un écrit délicieux sur la blogosphère de Mediapart, à l'adresse de François Hollande.

Dans cette lettre que nous vous publions ci-dessous in extenso, avec l'autorisation de son auteur, le professeur de science politique à l'Université d'Evry-Val d'Essone tente de convaincre, point par point, le président de la République française qu'il a tout intérêt à reconnaître « les crimes coloniaux commis par la France ». Notamment parce que cette prise de position le ferait « entrer dans l'histoire », à l'instar de ses récentes déclarations sur « la sanglante répression » du 17 octobre 1961... En attendant de savoir si François Hollande suivra ce conseil ou d'autres, nous vous laissons découvrir le texte que lui a adressé Olivier Le Cour Grandmaison...

Brève missive à l'attention du chef de l'Etat sur son voyage en Algérie

« Monsieur le Président, par la présente mon intention est« d’écrire chose utile à celui qui l’entend » en m’inspirant, fort modestement, du célèbre auteur de cette citation : le très avisé Machiavel. Aux dires de certains, votre prédécesseur socialiste à l’Élysée, François Mitterrand, aurait été sensible à ses enseignements. J’ignore si le Florentin, à qui l’on prête tant et plus, a effectivement guidé les pas de celui qui fut votre mentor, mais cela semble lui avoir réussi ; sa longue et méandreuse carrière politique en témoigne.

Deux mois après le bref communiqué dans lequel vous écriviez :« la République reconnait avec lucidité la sanglante répression » du 17 octobre 1961 au cours de laquelle des dizaines d’Algériens furent massacrés par des policiers dirigés par le préfet Maurice Papon –ce que ce texte ne dit ni ne nomme, hélas–, votre visite d’État en Algérie peut être un événement. Il vous appartient de faire en sorte qu’il en soit ainsi. Chez vos adversaires, ce voyage alimente certainement quelques craintes, hypocrites et feintes, puisqu’il sera pour eux l’occasion de vous critiquer sans ménagement. Pour celles et ceux qui, de part et d’autre de la Méditerranée, estiment que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, commis par la France depuis 1830, doivent être enfin reconnus, votre déplacement suscite au contraire des attentes nombreuses.

Pour ne pas provoquer l’ire des premiers et la déception des seconds, vous avez beaucoup consulté, et je ne doute pas que de sages conseillers, officiels et officieux, vous ont recommandé la prudence. Selon eux, elle seule permettrait de ménager les uns et de satisfaire en partie les autres. En cette matière, j’ai la faiblesse de croire qu’ils se trompent, et vous trompent. Quoique vous direz sur les « événements » et « la présence française » en Algérie, comme certains l’écrivent encore en usant d’une rhétorique forgée à l’époque de la République coloniale, l’extrême-droite et l’UMP, que l’on peine à distinguer sur ce sujet et quelques autres, protesteront de façon véhémente et convenue. Nul besoin d’être grand clerc pour deviner la teneur de leurs communiqués. Tous vous accuseront de « céder aux sirènes de la repentance, de ternir l’image de la France, de porter atteinte à l’honneur des milliers de soldats qui ont combattu avec courage la terreur du FLN, et de diviser nos compatriotes en ouvrant de nouveau les plaies du passé ». Quant aux vociférations pavloviennes de messieurs Fillon et Copé, et de leurs lieutenants respectifs, elles seront d’autant plus bruyantes qu’ils sont engagés dans la bataille fratricide que vous savez. Quelle aubaine, pour eux, de pouvoir la faire oublier un instant en donnant l’image d’une organisation enfin rassemblée pour défendre « l’unité et le drapeau de notre beau pays ! » Seul votre silence pourrait les satisfaire, ce à quoi vous ne sauriez vous résoudre sauf à trahir les espoirs de celles et ceux qui attendent une déclaration précise et forte.

Sur cette question en particulier, « j’ai opinion qu’il soit meilleur d’être hardi que prudent », comme l’écrit aussi le précieux Machiavel, car vous n’avez rien à gagner en cédant si peu que ce soit à vos adversaires. Jamais ils ne vous en seront reconnaissants et toujours ils vous combattront avec acharnement cependant que les femmes et les hommes, qui espèrent de ce voyage officiel, verront dans ce geste un compromis inutile et une opportunité gâchée en raison de craintes sans fondement. En persévérant dans cette voie, que l’on doit vous présenter comme la seule raisonnable, vous risquez de perdre sur de nombreux tableaux. A droite, pareille position ne fera pas taire ses représentants revanchards et obtus. A gauche, elle décevra ceux qui estiment que la reconnaissance explicite des crimes coloniaux est un acte de justice et de vérité que la République doit aux nombreuses victimes, et à leurs descendants français et algériens. Je sais que dans les heures qui ont suivi la publication du communiqué consacré au 17 octobre 1961, vos amis et quelques autres ont salué votre courage exemplaire. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils disent.

En ces matières, le pays que vous présidez se signale par la pusillanimité réitérée de ceux qui l’ont dirigé. Pour en prendre la juste mesure, il faut s’affranchir du francocentrisme partagé par beaucoup de fiers républicains, à droite comme à gauche, qui entretiennent sans fin le mythe de l’exception française. A preuve le discours du premier ministre australien qui, en 1992, a reconnu les « dépossessions », les « discriminations » et les « crimes »commis à l’encontre des Aborigènes lors de la colonisation de ce territoire. A preuve, aussi, à l’occasion du centenaire du massacre des Hereros, perpétré en 1904 par les troupes du général Lothar von Trotha, la déclaration du ministre allemand de la Coopération économique et du Développement. A preuve, enfin, l’inauguration à Washington, en septembre 2004, du Musée national des Indiens d’Amérique au cours de laquelle, son directeur, d’origine cheyenne, a rappelé que « la rencontre » avec « l’homme blanc »avait été une tragédie pour les peuples autochtones. Par sa bouche, les autorités admettaient ce que de nombreux historiens avaient établi depuis longtemps.

Monsieur le président, j’ai ouï dire que vos distingués conseillers ont dépensé des heures précieuses pour trouver un cadeau à offrir à votre homologue algérien en signe de réconciliation et d’amitié, et qu’ils se sont heurté à de nombreuses difficultés juridiques et pratiques. Très humblement, comme il se doit, je me permets de formuler cette proposition susceptible de tirer les premiers de leur embarras et de vous faire entrer dans l’histoire comme l’homme du courageux discours de Tlemcen. En des termes simples et clairs, dites que vous reconnaissez les crimes coloniaux commis par la France ; il n’est pas de présent plus précieux, ni de plus attendu ».

Olivier Le Cour Grandmaison
Professeur de science politique et de philosophie politique,
à l'Université d'Evry-Val d'Essone