Première table ronde des Rencontres d'Averroès

L'Europe et l'Islam, une histoire "qui ne se simplifie jamais"

La piste est tracée d'entrée, qui ouvre la voie à un sujet brûlant, suggère des enjeux au détour des crimes les plus abominables de notre temps: "quelque chose ne va pas entre l''Europe et l'Islam (...) l'incompréhension se transforme volontiers en peur...", commente Thierry Fabre, concepteur des "Rencontres d'Averroès. Le ton est ainsi donné à l'ouverture du cycle des trois tables rondes sur le thème : "L'Europe et l'Islam: la liberté ou la peur?", organisées vendredi 18 et samedi 19 novembre.

Cet "imaginaire de la peur" qui peut entraîner "vers une confrontation infernale", puise-t-il sa source dans l'Histoire des relations entre l'Europe et l'Islam, celle-ci est-elle seulement un enchaînement de conflits et de ruptures, quelle est la part d'un passé commun? Quatre historiens des deux rives sont invités à apporter leurs éclairages respectifs autour d'une première table ronde.

Gabriel Martinez Gros, spécialiste de l'histoire politique et culturelle d'Al-Andalus dresse les contours d'une première approche, incitant d'emblée à une interprétation nuancée des faits: "Avant le 18ème siècle, l'Islam ne tient pas l'occident pour le centre du monde, la relation avec ce dernier est secondaire", explique-t-il. D'ailleurs, "sur les 3000 pages d'Ibn Khaldoun, une quarantaine seulement est consacrée aux Croisades". Aussi "cette idée de passé commun n'est-elle pas applicable à tous les domaines", rappelle-t-il.

"La guerre" a en revanche marqué, et de façon durable, l'histoire des relations entre l'Europe et le monde musulman, note Géraud Poumarède, maître de conférences en histoire moderne à Sorbonne-Paris IV. Cette guerre résume-t-elle pour autant toutes les relations ou faut-il la relativiser"? La réponse à cette question renvoie au thème très controversé du "choc des civilisations". Il s'agit là "d'idées et de constructions du temps de guerre qui alimentent, par une rhétorique constamment renouvelée, un discours de l'antagonisme, estime l'historien, qui sert à favoriser la définition de l'identité et à justifier la guerre". Il est ainsi incontestable que "d'autres modes de relations coexistent avec la guerre", notamment au plan diplomatique, résume Géraud Poumarède.

L'historienne Leila Dakhli apporte justement la confirmation de cette relation aux nombreuses facettes, rappelant que la Nahda (renaissance arabe moderne) est un mouvement "qui va chercher à partager un certain nombre de références pour répondre à la présence devenue de plus en plus claire de l'occident en terre orientale".

D'ailleurs, "il n'y avait pas de djihadistes parmi les intellectuels de la Nahda, mais des penseurs musulmans ouverts au dialogue", confirme à son tour Amr Mahmoud el-Shobaki, directeur de l'Unité d'Etudes Arabe-européenne au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques d'Al-Ahram au Caire, auteur de nombreux travaux sur les Frères musulmans. La compréhension du discours de confrontation il faut "l'inscrire dans son contexte politique", recommande le chercheur, expliquant que les fondamentalistes ont durci leurs positions "à partir des années 50 dans l'affrontement avec le régime Nassérien". Auparavant, ils avaient un discours "conservateur accompagné d'une politique sociale et ne prônaient pas la destruction de l'occident", rappelle el-Shobaki. Aussi, c'est en faisant le lien entre le "discours et le contexte" qu'il explique l'émergence aujourd'hui en Egypte d'un mouvement "de jeunes musulmans démocrates".

S'exprimant devant une salle comble qui témoigne de l'intérêt porté par l'opinion à cette thématique très actuelle, les historiens de cette première table ronde, animée par Emmanuel Laurentin de France Culture, ont ainsi ouvert la voie aux deux autres rencontres autour de l'Islam en Europe et des bouleversements actuels dans le monde arabe.

Ces premiers échanges ont permis d'éclairer "l'ambigüité, la polyvalence, la complexité et la multiplicité" des relations entre l'Europe et L'Islam. Et pour mieux appréhender ce foisonnement, peut-être faut-il "garder la tête froide et lucide" devant une histoire "qui ne se simplifie jamais", conseille Géraud Poumarède.