U2, une pute et moi
Par fabienPublié le
temps de lecture 21 minutes
Samedi 4 juillet 1987,
Cela fait trois mois avec mon pote Riton que nous attendons ce concert de U2 à l’hippodrome de Vincennes près de Paris.
Il fait une chaleur écrasante.
Il est 14h.
Nous sommes devant le portail de l’entrée.
J’ai les cheveux long.
Une sacrée tignasse.
Je porte un tee-shirt blanc avec un énorme Ying et yang que j’ai acheté à Londres il y a plusieurs mois.
Je suis dans un jean 501 délavé et troué aux genoux naturellement d’usure, et pas de ceux que l’on vend aujourd’hui prêts à porter.
Aux pieds, j’ai des Converses basses noires.
Bref, j’ai le look du teen-ager de 17 ans qui se voit Pop et révolutionnaire.
Mon pote Riton a un look plus sombre, plus proche des Cure, Siouxie & the Banchees, Béruriers Noirs et autres punks que nous écoutions à l’époque.
On a des clopes, une eau de vie qu’on a dérobé à son père, des feuilles pour rouler des joints, mais pas de shit, ni de beuh.
On ne s’en fait pas.
Cela ne manquera pas pour en acheter.
On se pose en tailleur au pied d’un arbre fébrile qui nous offre peu d’ombre.
Nous sommes déjà une bonne centaine devant l’entrée, car nous voulons être parmi les premiers pour rentrer et se placer devant la scène.
“Passes-moi tes 150 balles Riton, je vais acheter du chichon.
Avec les miens, nous aurons 3 parts, de quoi fumer peinardos avant, pendant et après le concert.”
Je fais à peine 20 mètres un groupe d’hommes, plus âgés que mois, entre 25 et 30 fument des pétards.
Je m’approche et leur demande s’ils vendent du shit.
Tu tombes pile-poil sur la bonne personnes l’ami.
Le plus vieux sort de son pantalon un sachet duquel il prend une trentaine de parts en barrettes enroulées comme de la corde.
C’est de l’Afghan.
Il arrive tout droit d’Amsterdam.
Il suinte l’huile de haschich.
Tu vas t’éclater mon gars.
Je paye.
Je prends le matos.
Le sourire aux lèvres, je tends sa part à Riton.
Tiens, de l’Afghan.
On va se défoncer tranquille.
Riton fait d’entrée de jeu un 3 feuilles avec des Cord, des très longues.
Bref, ce premier joint va nous mettre dans l’ambiance tout de suite.
Outch !
Il nous met une petite claque direct.
On parle de notre dernier voyage scolaire à Londres.
On se rigolent comme des oufs.
On prenait une cuite tous les jours et on fumait comme des malades chaque soir où c’était fiesta.
On avait sauté les plus belles filles du lycée qui étaient du voyage.
Bref, des souvenirs qui nous rendent encore plus hilares avec l’effet de ce premier joint qui nous monte un peu à la tête.
Deux potes nous rejoignent.
Nous fumons un nouveau trois feuilles avec eux en parlant des morceaux de U2 que nous aimerions entendre.
Cela fait maintenant 3h que nous sommes là.
Les portes ouvrirons maintenant dans 1h.
Je finis l’eau de ma bouteille en plastique.
Il propose que nous faisions un bang avec en ajoutant de l’eau de vie dedans pour augmenter les effets avec l’Afghan.
Riton et moi tirons sur 2 bangs.
Nous sommes assez défoncés.
Ça va.
Avant que les portes s’ouvrent, on boit cul-sec le reste de l’eau de vie.
18h00 pile, les portes s’ouvrent.
Nous nous élançons parmi les 500 premières personnes.
Il est attendu 80000 personnes.
Nous sommes à 50 mètres de la scène.
Le concert commence dans 2h avec les Pogues qui ouvrent le bal.
Les gens s’assoient.
On essaye de se faufiler pour rejoindre des potes que nous voyons 30 mètres devant.
Cela prend un peu de temps.
Mais nous y arrivons.
Nous fumons le reste de la deuxième part.
Ce joint nous met une plus grande gifle que les précédents.
Riton a les yeux plissés à la chinoise.
Il est mort de rire au moindre mot, au moindre mouvement, au moindre visage qu’il regarde autour de lui.
Je me marre avec lui.
Il est 20h.
Les gens se lèvent.
Il y a d’un coup un mouvement de foule.
Nous sentons la lacrymo.
Riton fait d’un coup une crise d’angoisse complètement folle qu’il n’arrive pas à contrôler.
Je le prends par le bras.
Je nous dégage vers le fond en repoussant les gens qui nous empêchent de passer.
Il ne va pas bien.
Laissez-nous passer."
Au bout de 10 mn, nous nous retrouvons à 50/60 mètres sur la droite face à la scène du concert.
Je n'aurais jamais dû faire macérer des champignons dans l’eau de vie.
J’ai eu des hallus de malades d’un coup. Me dit-il.
Putain ! T’es grave Riton.
Avec ce que nous nous sommes mis dans le cornet, nous allons être totalement éclatés.
Il se marre d’un coup et s’allonge.
Je m’effondre également à côté de lui.
Deux jolies filles, une brune et une blonde s’approchent de nous.
Vous n’auriez pas un truc à fumer ?
On se regarde et partons dans une crise de fou rire incontrôlable.
Au bout de 5 minutes, les abdominaux tordus.
Nous arrivons à peine à nous asseoir.
Je roule un gros joint.
Nous le fumons avec elles.
Les Pogues sont sur scène.
C’est la tombée de la nuit.
La très belle brune me parle, me sourit, me pose mille questions, sur mon lycée, où j’habite.
Bref, elle me drague sec.
Cela fait mourrir de rire Riton qui subi le même assaut de la jolie blonde.
Mais, nous sommes raides.
Riton et moi nous, nous allongeons aux pieds des deux filles bienveillantes.
Elles demandent pourquoi elles ont branché ces 2 boulets, sympas, séduisants, mais défoncés.
Les Pogues, Dirty old town.
On est allongé sur le sol.
On regarde ces putains de milliards d’étoiles qui scintillent dans le ciel.
Du moins, c’est ce que nous voyons, car il fait jour.
Merde Riton, Dirty old town, t’entends l’armonica et la putain de voix rocailleuse de Shane MacGowan ?
Ouais, c’est cool avec les étoiles.
On passe la première partie allongés.
Nous n’avons rien vu du concert.
Nous avions l’impression qu’ils ne jouaient qu’un seul titre.
Vous ne vous levez pas ?
UB40 va commencer ? nous disent les deux filles.
On explose de rire.
UB40, ils ont fait 4 tubes gnagnagna qui servent à chopper de la meuf, point barre.
Nous, nous tordons de rire de plus belle.
UB40
Le set se termine.
Nous, nous redressons.
Nous, nous levons tant bien que mal.
La brune me sourit.
Elle me tend sa bouteille d’eau.
Ça va mieux ? Tu es sacrément raide.
Je la prends par la taille et l’embrasse jusqu’aux chaussettes.
Oui, ça va mieux.
Elle se marre.
Ben, toi, tu n’es pas timide.
C’est vrai que toi, tu es vachement farouche.
Riton et la blonde qui le tient par la taille rient.
U2 commence le concert par Where the street have no name, (vidéo 1987 Los Angeles)
On fume un autre joint avec les filles qui le réclament.
On danse avec elles.
On chante.
Nous, nous déchaînons.
U2, With or without you (Paris 4 juillet 1987)
U2, Party girl (Paris 4 juillet 1987)
Les titres s'enchainent.
Nous assistons à une superbe prestations du groupe irlandais.
U2, Bad (Paris 4 juillet 1987)
U2, I Still haven’t found… (Paris 4 juillet 1987)
U2, The unforgettable fire (Paris 4 juillet 1987)
C’est la fin du concert.
Avec l’adrénaline du set de U2, nous avons une grosse remontée de champignons d’un coup.
Nous n’avons pas de crise d’angoisse.
Non, nous sautons dans tous les sens.
Nous chantons The sweetest thing qu’ils n’ont pas joué.
Nous entraînons les filles avec nous vers la sortie.
Nous sommes heureux.
Mon iris dilate mon regard, absolument noir.
Riton veut rentrer avec la blonde chez elle.
La brune, Marla, veut que je la raccompagne chez elle.
On se sépare avec Riton.
On pleure.
On est dead.
J’embarque Marla dans une longue marche vers Paris.
In extremis, nous attrapons le dernier bus plein à craquer.
On s’embrasse comme des fous, totalement stoned dans le bus, coincés entre deux balèses.
Arrivés au terminus, nous délions à peine nos langues.
On descend du bus.
Tu nous la prêtes ta copine ?
Elle est bien bonasse.
Je ne calcule pas.
Je mets un grand coup de pied dans les parties au plus costaud, puis une droite de toutes mes forces à l’autre.
Les deux s’effondrent.
J’attrape la main de Marla en lui criant “courons !”
Nous avons fait 100 mètres.
Je me retourne.
Ils ne sont pas derrière nous.
Continuons à courir. Ça va aller, lui dis-je.
Je sens en tenant la main de Marla qu’elle tremble comme une feuille.
200 mètres plus loin au feu rouge, Marla reconnaît son cousin dans une voiture.
Ils sont cinq dedans.
Elle monte avec eux.
Viens me chercher lundi à la sortie du lycée à 17h. Je suis à Henri IV.
La voiture démarre en trombe au feu vert.
Je me retrouve comme un con tout seul.
Je m’assois un peu plus loin sur le trottoir.
Je me roule un gros joint pour me remettre de mes émotions.
Je tire trois taffes.
Lorsque je reçois un énorme coup de pied dans le ventre.
J’avais complètement oublié les deux connards qui auraient bien violé Marla.
Ils me rouent de coups.
J’essaye de protéger ma bite et mon visage.
Ils se cassent en m’insultant de tous les noms les plus vils.
Je suis couvert de sang.
Je me traîne un mètre.
Une voiture s’arrête devant moi, une mini Austin blanche. La porte passagerère s’ouvre.
Une femme me crie :
Monte ! Ses connards pourraient revenir.
Je monte dans la voiture.
Elle démarre comme une folle.
Tu as une serviette sur le siège arrière. Prends-là.
J’allais bosser. Elle est donc propre.
Je m’essuie le visage. Je la remercie.
J’ai tout vu. J’étais en train de me garer.
Je tapine le week-end de temps en temps pour payer mes études à la fac.
Ta copine est partie en voiture. Tu fumais un joint.
Ces fumiers sont arrivés. Ils t’ont tabassé.
Ils auraient pu te tuer, si je n’avais pas crié comme une dingue.
Je te remercie. Je m’appelle Tristan, et toi ma sauveuse ?
Flo, je t’emmène chez moi pour te soigner. J’habite place Monge.
En arrivant chez elle, elle m’aide à me déshabiller.
J’ai mal partout. Je saigne au coude et au genou.
Je prends une douche tant bien que mal.
Allonges-toi sur le lit.
Je vais nettoyer tes plaies et te mettre des pansements.
Je te remercie. Je bousille ta soirée.
Ce ne n’est pas grave. Je suis à mon compte, une occasionnelle.
Je suis étudiante en histoire de l’art. Mes parents m’ont coupé les vivres.
Je prendrais deux ou trois clients de plus la semaine prochaine.
Pour la peine, roules-nous un joint.
Je m’exécute.
Ça ne pique pas. Mais, c’est froid, dit-elle
Dis-donc, tu n’es pas vilain comme mec.
Tu as mon âge, non ? 22 ans ?
Non, j’ai 17 ans.
Florence me caresse la cuisse puis me masse le sexe.
Elle tire une grosse bouffée sur le joint.
On dirait qu’il n’est pas cassé. me dit-elle avec un grand sourire.
Tu étais au concert de U2 avec ta copine ?
Oui
Je vais mettre un titre d’eux que j’aime bien.
Puis, je veux qu’on fasse l’amour, pas qu’on baise.
U2, With or without you
Paris,
27 juillet 2017
Fabien VIE
Epilogue...
Kiss me, kiss me, Kiss me, Love me, Love me, Love me
Tristan attend Marla à la terrasse du café du jardin du Luxembourg.
Le temps est glacial en ce mois de novembre 1987. Le ciel est d’un bleu intense comme rarement à Paris.
Les arbres ne portent déjà presque plus leur parure dégradée jaune orangé de l’automne.
Ils sont ensemble depuis qu’il l’a rencontré lors du concert de U2 quatre mois plus tôt.
Marla est en terminale A1 littéraire dans le prestigieux lycée Henri IV derrière le Panthéon.
Tristan est dans la même section au lycée Carnot, boulevard Malesherbes.
Le jardin du Luxembourg est son jardin. Il aime par dessus tout être dans cet espace en toute saison.
Tristan aperçoit Marla qui arrive à marche forcée, le sourire aux lèvres.
Elle l’embrasse tendrement puis prend place à ses côtés pour prendre un grand crème.
Je n’ai pas beaucoup de temps aujourd’hui. Je dois acheter “l’anti-oedipe” de Deleuze et Guattari.
J’ai un devoir à rendre pour ce vendredi en philo.
Je l’ai à la maison. J’ai aussi “Spinoza, philosophie pratique” de Deleuze.
En fait, j’ai pratiquement tout de Deleuze.
Tu veux que je te les passe ? Je les ai terminé et j’ai pris toutes les notes qu’il me fallait.
Tu es un amour. J’ai un peu de mal avec son nouveau concept du désir.
Tu veux qu’on travaille ensemble dessus ? Je le kiffe grave.
J’ai monté un groupe de travail avec Lucie. Mais, je serai ravi que l’on s’entraide.
Je peux te filer un coup de main pour les maths.
Je vais avoir un peu de temps. J’ai démissionné du lycée ce matin.
Marla est littéralement estomaquée.
Comment ? Il y a le bac à la fin de l’année. Tu es fou.
C’est mot pour mot ce que m’a dit le proviseur. J’en ai marre.
Je ne supporte plus de perdre mon temps en math, physique qui ne m’intéressent pas.
Marre de cette sélection par l’abrutissement. Je veux être professeur d’histoire. Tu le sais.
Tes parents vont péter une durite. Tu vas leur dire quoi ?
J’ai 56 points d’avance du bac français. La philo a un coefficient 7. Je vise un 15/20 à minima.
Je suis très bon dans cette matière y compris en histoire-géo et en langue.
Je vais travailler comme un ouf sur tous mes points forts.
Cela rattrapera mes notes catastrophiques déjà annoncées dans les matières scientifiques.
Bon, ils vont flipper comme des tarés.
Et si tu te plantes ?
Je vais tout faire pour y arriver.
Tu es trop dingue. Mes soixante-huitards embourgeoisés de parents vont flipper à mort lorsqu’ils vont l’apprendre.
Je ne vis pas pour faire plaisir à ma famille ou aux autres. Je vis pour être moi, pour moi, être heureux.
Tristan et Marla se lèvent. Ils paient leurs consommations et se dirigent bras dessus-dessous vers le “Boul’Mich”.
Marla veut toujours acheter “l’anti-oedipe”.
Tu vas au concert de Cure demain soir ? lui demande Marla.
Je n’ai pas de place. J’en achèterai une au black devant Bercy. Cela va me coûter une blinde.
Mais, je ne peux pas rater ce concert. Cela va être énorme.
Je peux venir avec toi ?
J’y vais avec Riton et Oliv. C’est plus une soirée entre potes.
Bref, tu ne me veux pas. C’est cool. J’adore.
Il y a New Order à la Mutualité le 8 décembre. Je t’invite. On y va tous les deux, si tu veux.
Je suis même prêt à t’accompagner pour voir les Communards à l’Olympia le 13 décembre.
Elle est pas belle la vie ?
Marla sourit, se tourne vers Tristan. Elle l’embrasse avec un long baiser langoureux.
Tristan soupire.
Je ne te remercie pas. J’ai envie de te faire l’amour comme un dingue maintenant.
Marla se colle contre lui.
Elle glisse une main sous le long manteau noir de Tristan à l’abris des regards des nombreux passants du boulevard St Michel.
Doucement ma belle, je vais craquer tous les boutons de mon 501.
Haaannn, je suis toute mouillée.
A cette heure-ci, il y a fatalement un de nos parents chez nous. Cela ne va pas être possible. dit Tristan la mine déconfite.
On peut fermer le verrou de la porte de ta chambre ? J’ai trop envie.
Mes parents ne sont pas des buses. Mon petit frère du haut de ses 13 ans est loin d’être bête.
Il va me saouler devant mes parents à table. Je l’entends déjà avec ses petites remarques.
« Tristan et Marla ne jouaient pas au Scrabble tout à l’heure ».
Ne pensons plus que tu as une envie folle de venir en moi qui suis déjà toute trempée de désirs.
Vous les meufs, vous êtes pires que nous avec le sexe.
Tu dors chez moi après le concert de Cure, demain ?
Si, oui, je préviens mes parents.
Je ne crois pas. On dort chez Riton.
Sa mère est en déplacement à Bruxelles pour son travail. Nous serons tranquilles.
Tranquilles pour fumer des buzz, je vois le truc.
Je fume beaucoup moins, juste un pétard de temps en temps.
Mercredi 11 novembre 1987.
Riton, Oliv et Tristan, les trois copains sont dans le métro, ligne 4 en direction de la Porte D’Orléans.
Ils font un changement à Montparnasse et prendre la direction de Bercy.
Ils sont debout.
Ils se tiennent à la barre.
Le métro est assez vide.
Un homme et une femme d’une quarantaine d’années rentrent dans le wagon.
Ils s’assoient sur les strapontins.
Entre les deux stations suivantes, l’homme sort une liasse énorme, des places du concert de Cure pour les montrer à la femme.
Il s’agit de revendeurs au black. Il y a bien une cinquantaine de billets.
Le métro arrive à la station suivante.
Une personne descend.
L’homme exhibe ses places en éventail.
La sonnerie de fermeture des portes du métro retentit.
Tristan d’un coup arrache des places des mains de cet homme.
Il sort du wagon.
Les portes se referment instantanément derrière lui. Il court sur le quai. Puis, Tristan se retourne.
Le métro s’en va.
L’homme est figé derrière la vitre.
Tristan s’arrête de courir. Quelle est cette folie qui lui a pris d’un coup, sans réfléchir.
Il n’en revient pas lui même de son geste.
Tristan sort du métro, il prend un taxi pour aller directement à Bercy voir les Cure.
Arrivé devant la salle, il sort les places.
Il y en a dix, dont deux furent déchirées par la violence de son geste.
Il tremble maintenant de son coup de sang.
Il y a du monde devant Bercy. Le concert est complet. Il y a des revendeurs un peu partout de billets.
Un groupe de jeunes de son âge s’approche de lui.
Tu n’aurais pas des billets à vendre ?
Tristan sort les places. Il en garde une pour lui. Il donne cinq places aux mecs.
Tu en veux pour combien ?
Je vous les donne, dit Tristan.
Oh putain ! Tu es complètement dingue. Il y en a pour 700 boules. Tu ne veux rien ?
Non, je les ai eu gratis. Je ne veux pas de thunes.
L’un des mecs sort un paquet de sa poche.
C’est un gâteau au chocolat avec du chichon et des champignons. Tu le veux ?
C’est cool les gars. Je partagerai avec mes potes que je dois rejoindre, merci.
Merci surtout à toi, t’es trop cool comme mec.
Pile devant l’entrée, Tristan aperçoit ses potes Riton et Oliv.
Espèce de bâtard, le type et sa femme nous ont pris la tête de malade mental dans le métro après.
On lui a dit que nous ne te connaissions pas. Tu nous avais entendu parler du concert et tu cherchais une place. dit Riton.
Je m’excuse. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
J’ai entendu la sonnerie dans le métro.
J’ai pété un plomb.
Tu nous as fait halluciner. T’es un grand malade, lui dit Oliv.
Pour nous remettre de cette folie. Je vous offre une part de space cake, choco, champis, chichon.
Non, mais t’es ouf ! Tu ne l’avais pas tout à l’heure. Tu le sors d’où ?
T’as pas acheté cela à la boulangerie du coin. s’esclaffe Riton.
Troqué contre les places que j’avais à des mecs en recherche.
Riton, Oliv et Tristan sont dans la grande salle parisienne non loin de la fosse.
Ils avalent en deux secondes le gâteau explosif. Riton roule un gros joint en attendant que le concert des Cure commence d’ici 45 minutes.
Je vous fait une soufflette les gars, lance Riton.
La soufflette que lui fait Riton semble interminable à Tristan.
Pas un centimètre cube de ses poumons qui ne soient emplis de la fumée de ce joint.
Riton, Oliv et Tristan ne sont pas des clones de Robert Smith, maquillage, cheveux en tarpé et tout de noir vêtu.
Ils ont tous les trois les cheveux longs.
Ils portent un 501 troué par l’usure, docks ou converses basses, veste noire ou manteau long et une chemise col Mao, noire ou grise.
Ils échangent sur le lycée.
Les trois amis parlent de l’historien du mouvement ouvrier et de l’anarchisme Jean Maitron en train de crever à l’hôpital où travaille la mère d’Oliv.
Il meurt cinq jour plus tard.
Ils fument ensemble un nouveau joint.
Lorsqu’une main se pose sur le bras de Tristan.
Il tourne la tête.
Florence lui fait face.
Elle sourit en voyant son visage plein de surprise.
Tristan ne dit rien.
Dis donc Tristan.
Tu es moins prolixe que d’habitude.
Tu ne m’embrasses pas ?
Tristan l’embrasse rapidement.
Il n’a parlé que très vaguement à ses amis de Florence qui l’avait tiré d’un mauvais pas après le concert de U2 au mois de juin.
Il ne leur a jamais dit que Florence se prostitue pour payer ses études et encore moins qu’il la baisait de temps en temps alors qu’il est en couple avec Marla.
Tristan, tu nous présentes pas ? dit Oliv, l’oeil rieur, moqueur.
Moi, c’est Florence.
Oliv… et lui avec ses yeux totalement bridés et dilatés s’appelle Riton.
Je suis toute seule. Je peux rester avec vous ?
Nous cela nous dérange pas. T’en penses quoi Tristan ?
Lui dit Riton un brin moqueur en pensant à Marla la copine de son pote.
Restes avec nous, pas de soucis.
Tristan se penche légèrement pour parler à l’oreille de Florence discrètement.
Tu ne travailles pas ce soir ?
J’ai arrêté de tapiner il y a un mois. J’étais sur le boulevard où je bosse d’habitude.
Une voiture s’arrête à ma hauteur. La vitre se baisse. C’était mon père.
Oh merde !, laisse échapper Tristan.
Il m’a dit de monter. Il voulait me parler.
Un de ses associés de son cabinet d’avocats m’a reconnu un soir qu’il était invité chez des amis dans le quartier.
Tristan ne dit rien. Il écoute Florence, pétrifié par ce qu’il apprend.
Mon père pour la première fois depuis très longtemps a été très gentil et compréhensif sur mes choix d’études.
Il a enfin accepté que je ne fasse pas du droit comme lui, son père et son grand-père avant lui.
Je crois que je vais nous rouler un joint avant que le concert ne commence.
J’ai eu une histoire de dingue avant le concert. Je te raconterai. Ton histoire m’a mis la tête à l’envers.
Tu n’es pas suffisamment décalqué Tristan vu ta tronche ? Bon, toi tu ne la voit pas, dit-elle en rigolant.
Après, tu es suffisamment grand pour savoir ce que tu fais. Pourquoi tu ne m’as plus téléphoné Tristan ?
Tu me plais énormément Florence. J’adore lorsque nous faisons l’amour. Tu le sais.
Mais, je suis avec Marla. Je ne pouvais pas continuer de te voir. Tu as 21 ans. J’en ai 17 et demi.
Et puis, je ne supportais plus que d’autres types que moi puissent te voir.
Dès que je pensais à toi, j’imaginais tous ces mecs te toucher, te caresser, te baiser.
Je ne peux pas pour toutes ces raisons.
C’est fini. Mon père paye mon loyer et tout ce qui va avec.
Je ne serai plus dans la misère à vendre mon corps pour payer mes études.
J’ai envie que l’on se revoit. Tu tiens à cette Marla ? Tu l’aimes ?
On en parle plus tard. Demain, si tu veux bien. Je suis avec mes potes.
Le concert va commencer.
Ok, tu viens chez moi après le concert ?
Je dors chez Riton.
Hey ! Les amoureux, le concert va démarrer. Vous roucoulerez après.
Riton et Oliv se marrent à n’en plus finir. Ils sont stoned.
La lumière de Bercy s’estompe d’un coup. La foule, 15 000 personnes fait le silence, le show de Robert Smith et ses acolytes peut commencer.
The Cure – Kiss me, kiss me, kiss me – Live 2002 et non l’intro d’anthologie de 1987.
Dès les premières notes, Tristan a des bouffées de chaleur. Il retire sa veste et déboutonne un peu sa chemise.
Plus le morceau avance, plus Tristan sent monter les effets des joints qu’il a fumé. C’est de la folie.
Le morceau sur l’album dure un peu plus de quatre minutes. Alors que là ils n’ont joué qu’à peine la moitié.
Les riffs de Robert Smith se font de plus en plus déroutant, insistant.
Le corps de Tristan est pris de chair de poule incandescente et glacée des orteils jusqu’à la tête.
Tristan a également le frisson jusqu'au crâne.
Le regard de Tristan se braque sur Robert Smith comme si sa vue faisait un zoom.
La sensation est énorme. Plus la distorsion et le rythme sont rapides et tonitruants, plus l’intensité des émotions de Tristan se font fortes et violentes.
Son regard a zoomé à l’extrême sur la guitare électrique du leader de Cure.
Tristan est le médiator.
Il ne voit rien d’autre, ni personne. Il a juste la sensation du bras de Florence qui le tient par la taille.
Il joue de ces sensations. Tristan n’est plus au concert de The Cure, ni même à un concert.
La musique est en lui. Il est la musique.
D’un coup, il dé-zoome. C’est violent.
C’est la voix de Riton qui le ramene à la réalité.
Putain les gars ! Regardez ! Il neige.
Tu est trop défoncé, lui dit Oliv.
C’est des confetis. lui réplique-t-il mort de rire.
Tristan ne dit rien.
Vous êtes à l’envers. C’est le jeux de lumière du VJ dit Florence.
Ce premier titre approche de la fin. Il a duré près de dix minutes.
Tristan pense que cela a duré une heure, peut-être tout le concert.
D’autres morceaux de l’allbum «Kiss me, kiss me, kiss me» et de vieux titres s’enchaînent.
Tristan prend une claque d’émotions, sensations comme il n’en avait jamais pris.
Il est littéralement bouleversé à son paroxysme.
Tristan reste suspendu au titre «The drowning man». Il n’entend pas les autres.
Il voit lui aussi par intermittence les confettis et la neige qui tombe dans la salle de Bercy.
Ses potes Oliv et Riton sont maintenant tout contre lui et l’enserrent de leurs bras. Ils sont vraiment dead.
Ils chantent.
Cela fait trois heures que le concert a commencé. L’épuisement les saisi.
Les lumières s’éteignent.
Florence s’approche doucement d’eux. Le concert est terminé depuis 20 minutes. la salle est encore pleine de gens, restés-là.
Venez les gars. Je vous accompagnent jusqu’au métro.
Les trois amis la suivent sans rien dire. Ils se sourient. Ils viennent de vivre un moment extraordinaire.
Ils sont heureux, mais complètement HS.
Une fois dans le métro, Florence dit à Tristan.
Je t’embarque avec moi à la maison. On va manger un truc.
Tu as le visage livide. Tu seras tranquille.
Tristan ne dit rien. Il sourit, embrasse ses potes longuement. Puis, s’en rien dire, il prend la main de Florence et la pose sur sa joue.
La séparation avec ses amis se fait comme ça, sans rien dire. Plus aucun mots ne peuvent sortir de leur bouches. Ils se comprennent.
Florence hisse Tristan par la main jusqu’au dernier étage de l’immeuble où elle habite rue Laplace au-dessus du bar «le piano vache.»
Tristan s’affale sur le canapé.
Florence s’installe direct en cuisine pour préparer des Tagliatelles à la crème avec une tonne de parmesan pour combler la fosse Marianne dans laquelle est tombée Tristan.
Voilà, c’est prêt. Je pense que cela va te faire le plus grand bien.
Tristan ne répond pas. Il s’est endormi en chien de fusil d’un sommeil de plomb sur le canapé.
Florence s’approche de lui. Elle retire ses chaussures basses Doc Martin.
Elle prend une couverture dans un placard et le recouvre. Florence dégage ses cheveux de son visage en le caressant doucement.
Tristan dort.
Les effluves délicieuses de café parviennent jusqu’à Tristan. Il ouvre un œil.
Florence s’approche de lui avec un plateau qu’elle pose sur la table basse devant lui faite de palettes en bois récupérées.
Il est midi. Je n’ai pas de cours à la fac cet après-midi. Tu peux rester si tu le souhaites.
Il y a des croissants tout chaud et du café.
Florence s’assoit tout contre lui et lui caresse le visage tout doucement.
Qu’est-ce que je vais faire de toi Tristan ?
Lorsque je t’ai rencontré. Tu venais de te faire tabasser par des connards. Je t’ai soigné chez moi.
Nous avons fait l’amour divinement. Nous, nous sommes revus, puis perdus.
Maintenant, tu déboules à nouveau dans ma vie.
Je te retrouve à ce concert. Tu es dead. Je te prends chez moi.
Tu es là, devant moi. Je pourrais tomber amoureuse de toi. Mais, tu as cette fille, Marla.
Tristan se redresse. Il prend Florence dans ses bras.
J’ai pris une gifle hier soir.
L’histoire de fou avant le concert pour le billet, les champignons hallucinogènes, les pétards qu’on a fumé, toi, la musique…
tout cela m’a bouleversé.
Je suis bien avec Marla. Mais, j’ai besoin de liberté. Toi, je ne sais pas.
Je pourrais être totalement raide dingue de toi. Je ne peux rien te promettre. J’ai besoin de respirer.
Florence déshabille Tristan. Il se laisse faire. Elle l’attire sous la douche. Il ne dit rien.
Sa détermination à prendre de la distance s’envole irrémédiablement.
Montpellier,
17 novembre 2017
Fabien VIE