« Parce que vous seriez, vous, des citoyens plus "exemplaires" ou plus "authentiques" que les autres ? », demande Patrick Vieu à Pierre Verdier qui lui répond.

Régionales : quand le socialiste Patrick Vieu répond au saurélien Pierre Verdier

Réglements de comptes à Ok Corral par courriers interposés, entre le PS et l'ex-socialiste Pierre Verdier de la liste Citoyens du midi présentée par Philippe Saurel aux régionales 2015 ! Suite à la lettre ouverte écrite par Pierre Verdier à l’attention d’un ami socialiste,  Patrick Vieu premier Fédéral du parti socialiste du Tarn a lui aussi pris sa plume afin de répondre à la tête de liste du Tarn présentée par Philipe Saurel sous la bannière des Citoyens du Midi pour les élections de décembre 2015 en région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon.

Voici l’intégralité de son courrier également diffusé sur Facebook, où Pierre Verdier a lui aussi répondu, nous publions également sa réponse ci-dessous. Loin d’être épistolaires, ces échanges montrent combien les tensions sont grandes entre la liste PS-PRG conduite par Carole Delga et celle DVG de Philippe Saurel, aussi grandes que les désaccords politiques des deux mouvements sont profonds.

La lettre de Patrick Vieu à l’ex-socialiste Pierre Verdier


« Cher Pierre,

Tu voudras bien pardonner, je l’espère, l’intrusion d’un inconnu dans ta conversation épistolaire avec ton ami F., mais puisque tu as jugé bon de mettre ta lettre sous les yeux de tous, il ne m’a paru ni discourtois ni déloyal de m’introduire dans l’intimité de votre échange. Tu voudras bien aussi pardonner ce tutoiement, signe non d’une irrespectueuse familiarité, mais de cette proximité sincère que tu revendiques pour toi-même. 

Autant le dire sans détour, puisque tu as éprouvé le besoin de t’en expliquer, je n’adhère ni à ta démarche ni à ton discours. Ta démarche, parce que quelles que soient les intentions qui l’animent, elle ne fera qu’affaiblir la gauche et que c’est de rassemblement qu’elle a besoin aujourd’hui. Mais au fond, ta démarche t’appartient et à mes yeux ce n’est pas le plus important. Sans te faire offense, elle n’aurait pas suffi à me faire prendre la plume. 

Ton discours, en revanche brûle tout ce à quoi tu as longtemps adhéré. Sous le couvert d’une lettre faussement intime à ton ami socialiste, tudonnes à ta décision des justifications politiques et morales dont tu suggères qu’elles dépassent le cadre de tes vues personnelles. Ce faisant, non content de te construire à bon compte une nouvelle virginité politique, tu jettes un discrédit général sur les élus et les partis : c’est cela que le socialiste que je suis ne peut pas accepter sans réagir.

Il ne s’agit nullement de sensibilité ou de susceptibilité mal placée mais de conception de la politique. Quand tu fustiges, au nom de la lutte contre l’extrême droite, « l’incantation ʺDroite/Gaucheʺ » ou que tu dénonces sans nuance les « magouilles politicardes » des partis « traditionnels », que fais-tu sinon te placer exactement sur le même terrain que le Front national que tu prétends combattre ?

« Au vu de leurs pratiques actuelles, écris-tu, les élections sont une chose trop sérieuse pour être laissées aux mains des partis politiques ». Alors aux mains de qui devraient-elles être laissées, les élections ? Dans les tiennes ? Dans celles des « vrais » citoyens ? Parce que vous seriez, vous, des citoyens plus « exemplaires » ou plus « authentiques » que les autres ? Parce que toi, élu sans discontinuer depuis bientôt 15 ans, maire, président de communauté de communes, conseiller général et aspirant à être conseiller régional, tu ne serais pas l’héritier de ce système de partis qui, soudain, ne trouve plus grâce à tes yeux ?

Les partis « traditionnels », comme tu les appelles – et auxquels tu as appartenu longtemps –, participent à la clarté de l’offre politique. Ce faisant, ils concourent, comme le prévoit la Constitution, à l’expression du suffrage et sont, à ce titre, un des piliers de notre vie démocratique. Ils favorisent l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions électives.

Le parti socialiste – que tu ranges évidemment dans les partis traditionnels –, ce sont d’abord, dans le Tarn comme ailleurs, des centaines de militant(e)s qui, jamais élu(e)s et n’aspirant pas à le devenir, donnent tous les jours leur temps, leur énergie et leur imagination pour changer les choses et améliorer le sort de leurs concitoyens. N’est-il pas significatif qu’évoquant à six reprises les partis, jamais tu ne parles des militants ?

Quant aux élus, il n’y a pas, d’un côté, les élus de proximité, ou de « terrain », les seuls qui seraient au « vrai contact » des « vrais » gens, comme tu te plais à les appeler, et de l’autre les caciques, élus professionnels qui cumuleraient postes et prébendes, aveugles et sourds aux réalités, incapables d’agir et de proposer des perspectives. Là encore, le propos relève de la démagogie qui, à force d’amalgame et de confusion, ne fait que discréditer la politique et saper les fondements de notre république. En définitive, tu ne dénonces le « tous pareils ! » que pour mieux pratiquer le « tous dans le même sac ! ».

La philosophe Hannah Arendt nous enseigne que la politique est le lieu par excellence de la pluralité humaine, l’instance à travers laquelle les hommes, enclins naturellement à se diviser et à se combattre, trouvent force et raison pour se rassembler et construire ensemble ce qu’aucun d’eux ne pourrait accomplir isolément. La noblesse de l’action politique, aujourd’hui comme hier, mais aussi sa tâche difficile et sans cesse à recommencer, c’est précisément de se rassembler.

Appartenir à ces partis dont ne t’en déplaise la tradition fait la force, sans renoncer ni à les réformer ni à en moderniser les pratiques, mais sans jamais perdre de vue que c’est unis que nous pouvons changer l’ordre des choses : voilà une tâche moins flamboyante, sans doute, que la posture protestataire, mais qui me paraît plus exactement à la hauteur de notre engagement, à nous socialistes.

Quant à ces convictions que tu revendiques à la fois sincères et libres, en politique moins qu’ailleurs, la sincérité des convictions n’est un gage de lucidité ou une preuve de responsabilité. La vérité est que la frontière est mince – et la distance immense – entre la liberté de conscience et l’infidélité aux amis de la veille, entre le véritable courage politique et l’opportunisme politicien. Les électeurs ont besoin de clarté, et il ne suffit pas de s’autoproclamer « Citoyens », fusse du Midi, pour incarner le renouveau et être porteur d’un projet.


Tu te réclames enfin de Jaurès, lui qui ne cessa de lutter pour l’unité des socialistes, lui dont on se dispute impudemment la mémoire. Il n’est pas facile d’inscrire ses pas dans ceux du grand Jaurès : « Ne m’outrage pas qui veut » pourrait-il répliquer encore aujourd’hui aux héritiers frontistes de ce député nationaliste qui, à la Chambre, prétendait l’agonir d’insultes. « Ne m’annexe pas qui veut » pourrait-il dire aux autres, car il ne suffit pas de se réclamer de Jaurès pour être fidèle à l’esprit de son message.

Reçois, cher Pierre, mes amitiés.

Patrick Vieu
Premier secrétaire fédéral du Tarn »

La réponse de Pierre Verdier au socialiste Patrick Vieu

« Cher Patrick,

Nous ne nous connaissons pas directement (pour la petite histoire, j'étais en classe avec ta soeur jusqu'à ce que vous quittiez l'albigeois pour Paris) et nous n'avons pas eu l'occasion de nous croiser depuis que, il y a quelques mois, tu as opportunément redécouvert tes racines tarnaises.

Tu as souhaité répondre à un texte qui était avant tout un témoignage destiné à expliquer ma démarche. Soit.

Une remarque : quand tu parles de moi avec tes potes PDG de Paris, tu devrais faire attention aux mots que tu utilises

Bien sûr, je ne suis qu'un pèquenaud d'élu de province. Mais la lettre adressé à mon ami était seulement un témoignage (dans mon engagement politique, j'ai toujours essayé d'expliquer et de convaincre ; je n'ai jamais eu la prétention de donner des leçons). Et si moi, maire d'une commune de 5000 et président d'une communauté qui est voué à disparaitre dans les prochains mois, je suis "un cumulard", j'ai du mal à imaginer les termes que tu emploies pour parler des élus PS du Tarn et d'ailleurs...

Bon, le ton de ta lettre est plus policé. Ca change de certains de tes collègues du PS qui ont affiché des invectives alors qu'ils auraient peut-être mieux fait de la jouer "discret".

Tu affirmes que les partis "favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions électives" ? Je pense à tel ex-sénateur d'un département voisin qui, invalidé et de fait empêché d'être candidat à l'élection régionale, a imposé la présence de son fils à sa place en position éligible.

Tu dis que je me place sur le même terrain que le Front National ? Je revois tel 1er fédéral qui, en dépit du discours national du PS sur le Front Républicain, a poussé l'an dernier au maintien la liste socialiste permettant ainsi l'élection d'un Robert Ménard à la tête de la mairie de Béziers...

Oui, j'ai longtemps adhéré au Parti Socialiste. Et je me sens toujours socialiste. Mais il y a quelques années que je ne sens plus le PS en capacité d'être autre chose qu'une machine dont le seul objectif est de conserver des postes. Et face à la logique implacable de "l'appareil", j'ai - je l'avoue - renoncé à essayer de le changer de l'intérieur.

Oui, je considère que le mode de fonctionnement des partis est désormais à côté de la plaque par rapport aux révolutions sociétales que nous connaissons. Et il est temps de changer de logiciel.

Oui, les combines et magouilles politicardes des partis traditionnels font le jeu de l'extrême droite. Et l'épouvantail FN que l'on sort quelques jours avant les élections perd de sa force un peu plus chaque année. Et il est urgent de mettre effectivement en oeuvre de nouvelles pratiques politiques.

Tu as lu le bouquin de Philippe Saurel ? Tu devrais. "Réparer la République" aux éditions Privat (il coûte moins de 5 euros...). C'est en le lisant que j'ai décidé de m'investir à ses côtés. Parce que j'y ai trouvé des arguments qui m'ont donné envie de me remobiliser, et permis de retrouver la façon de faire de la politique qui m'avait amené à militer.

Parce que, contrairement à ce que tu laisses entendre, j'ai beaucoup de respect pour les militants. J'ai été militant avant d'être élu. Dans le milieu associatif d'abord bien avant d'adhérer au PS. Bien sûr, ce n'est pas l'ENA et on n'y apprend pas les mêmes choses que dans les ministères. Je n'y ai pas appris les enseignements des philosophes. Mais j'y ai trouvé la fraternité des combats, la possibilité d'affirmer mes convictions. Et, au-delà des enjeux politiques, il y avait aussi à l'époque le plaisir simple d'être ensemble. Mais, bon, je parle d'un autre temps. Un temps où le militant avait un autre rôle que celui de servir de caution à des décisions imposées par le haut.

Tu m'accuses de vouloir me construire une nouvelle virginité politique ? Non, je ne suis pas vierge et ne prétends pas l'être. Mais j'en ai marre des donneurs de leçon qui veulent faire croire que je cracherais dans la soupe. D'abord, c'est le PS qui m'a exclu l'an dernier. Et, si je n'ai jamais caché mes convictions, le PS a le plus souvent tenté d'empêcher mon élection. J'ai pourtant été élu et réélu maire de Couffouleux, puis conseiller général et, depuis l'an dernier, maire de Rabastens...

Tu ne voudras peut-être pas me croire mais j'ai toujours placé les valeurs humaines au-dessus des discours politiques. Et si je fais la distinction entre les élus de terrain et les autres, c'est parce que, quand on est près du terrain, on ne peut faire l'impasse sur la dimension humaine. Pour moi, faire de la politique, c'est d'abord agir sur le facteur humain. Essayer de construire des choses ou faire bouger les lignes. Mais en tenant compte des individus.

Contrairement à ce que tu sous entends, l'individu que je suis ne prétend pas inscrire ses pas dans ceux du grand Jaurès. Je m'inspire de certaines de ses citations et de son histoire. Mais je me garde bien d'imaginer ce qu'il pourrait dire ou répliquer aujourd'hui. Et s'il a beaucoup lutté pour l'unité des socialistes, il a aussi incité au courage en politique (je ne vais pas te re-citer le discours à la jeunesse...).

Du courage, il en faut aujourd'hui pour ne pas céder aux pressions de ceux qui tiennent - et veulent à tout prix conserver - les rênes du pouvoir. Il en faut face aux tentatives de décrédibilisation pour résister et affirmer, face à un système politique qui se délite, qu'il est urgent d'impulser une nouvelle expérience politique. Il en faut quand cet engagement vous fait prendre des risques personnels et professionnels...

Voilà. Pas de leçon. Juste quelques explications sur mes convictions. Dans le respect de ce que sont les tiennes. En attendant de nous rencontrer un jour.

Reçois, Monsieur le Premier secrétaire fédéral du Tarn, Cher Patrick, mes amitiés.

Pierre Verdier
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