Hakim, père de Salah : ''S'il n'y a pas de justice, je la ferais moi-même !''
Par nicolas éthèvePublié le
Un an, jour pour jour, après le mortel coup de poignard reçu par Salah au Milk, une deuxième marche blanche pacifique sera organisée ce 5 mai, à Montpellier. Pour honorer sa mémoire et demander justice, alors que l'enquête est toujours en cours avec ses aléas qui entravent le deuil, comme l'expliquent à Médiaterranée la sœur et les parents de Salah.
Impossible de parler avec la mère de Salah. Près de 365 jours après la mort de son fils, suite au coup de poignard reçu en plein coeur juste devant la porte d'entrée de la célèbre boîte de nuit montpelliéraine, Badia s'effondre en pleurs dès qu'on lui demande de reparler de cette affaire. Tout juste parvient-elle à nous glisser, entre deux sanglots, qu'elle est victime de fortes « angoisses ».
La souffrance
« Elle se déchire, elle pleure tout le temps », nous raconte plus tard et ailleurs Hakim, son ex-mari, le père de Salah, qui ne comprend pas que « la justice » ne lui ait pas proposé la moindre « assistance psychologique » : « Moi je suis un homme, je peux supporter, mais elle, elle ne peut même plus en parler, elle ne fait que pleurer ».
Reçue en préfecture le soir de la première marche blanche organisée l'an passé, la famille de Salah avait senti que sa mort était prise avec toute la considération qui incombait à un tel drame. Mais aujourd'hui, leurs déceptions et leurs souffrances sont à la hauteur de l'impression d'humanité ressentie ce jour-là. Très fortes.
Comment pourrait-il en être autrement, quand on se retrouve nez à nez à Montpellier avec l'une des trois personnes incarcérées pour cette affaire à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, sans même avoir été prévenu de sa libération ?
C'est ce qui est arrivé à Rima, la sœur de Salah, qui n'en revient toujours pas : « Je ne m'y attendais pas du tout, et ça m'a fait très mal de le voir revenir à une vie normale après seulement quelques mois de prison. Il a reconnu s'être disputé avec mon frère à l'intérieur de la boîte de nuit avant que les videurs ne le jettent en pâture aux mains de cette bande de tueurs, ce n'est pas lui qui a porté le coup mortel de couteau, certes, mais il est dehors, libre, je ne trouve pas ça normal. »
La peur
Insupportable pour le père de Salah, qui s'en est ouvert ces derniers jours au juge d'instruction en charge de l'affaire : « Ce n'est pas parce que les prisons sont pleines que l'on doit relâcher n'importe qui ! Le jeune qu'ils ont libéré, c'est à cause de lui que mon fils est sous terre, puisque c'est avec lui que Salah a eu la première altercation à l'intérieur de la boîte avant d'aller chercher ses copains. Mais ça, la justice ne veut pas le prendre en considération et cherche seulement qui a mis le coup de couteau, c'est ce que l'on m'explique ! La justice oublie que c'est lui qui a engendré cette bagarre meurtrière ! Ce jeune-là n'a pas à être libre dehors ! Heureusement que je ne le connais pas ce garçon, parce que si c'était moi qui l'avait croisé à la place de ma fille, ça aurait été vite réglé ! Aller en prison, ça ne me fait pas peur, je n'en ai plus rien à faire ! »
C'est ce qu'a également expliqué Hakim au juge d'instruction en charge de cette affaire : « Je laisse la justice française faire son travail, si je ne suis pas satisfait, à partir de là, ça sera autre chose... Ce n'est pas parce qu'on n'a rien fait, qu'on est là à attendre, qu'on est des trouillards, ou des peureux ! Moi, je ne suis pas quelqu'un qui a peur, je suis quelqu'un qui aime la justice et je lui fais confiance. Mais pour l'instant, je suis très déçu. J'attends la suite. On me dit que celui qui a poignardé mon fils est mineur pour me faire comprendre qu'il va prendre une peine de prison plus petite que s'il avait été majeur : qu'est-ce que j'en ai à faire ? Qu'est-ce qu'il faisait en boîte s'il était mineur, à boire deux bouteilles de whisky ? Quand il a planté mon fils, il est parti prendre une bouteille de champagne... »
Le désarroi
Écœuré par le marasme de la réalité judiciaire, Hakim a décidé d'écrire au Ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, après avoir déjà envoyé une missive à Pierre de Bousquet, le Préfet de la Région Languedoc-Roussillon et de l'Hérault : « Je dénoncerai tous ces procédés et je lui demanderai aussi pourquoi le Milk n'a pris que 15 jours de fermeture. Est-ce que le préfet de police est un ripoux ou pas ? Parce que c'est à lui de fermer cette boîte ! La juge d'instruction m'a dit qu'elle avait pas mal de dossiers contre ce Milk et qu'elle ne comprenait pas pourquoi il était toujours ouvert. Textuellement, je lui ai dit : ''C'est le préfet qui doit faire ça, alors c'est un corrompu celui-là ?'' Elle m'a répondu ''Peut-être''. Quand un juge d'instruction vous dit ça, qu'est-ce que vous pouvez penser de la justice ?Personnellement, je pense qu'ils veulent passer cette affaire comme une lettre à la poste, eh bien, ils se trompent, ça ne va pas passer comme une lettre à la poste ! Je vais écrire au Ministre de l'Intérieur, avec le préfet de l'Hérault en copie d'un courrier recommandé, pour voir ce que lui va faire. S'il ne prend même pas la peine de la lire, je baisserai les bras et j'attendrai que la justice finisse son travail. Et à partir de là, je verrai ce que je ferai. Parce que moi, mon fils ne partira pas comme ça, gratuitement ! Le jour où mon fils est mort, tous les jeunes voulaient aller cramer Figuerolles et c'est moi qui les ai calmés. Aujourd'hui, je me demande si je n'aurais pas dû les laisser faire, parce que maintenant, j'ai beaucoup moins confiance dans la justice française. Un Arabe qui est mort, c'est juste un Arabe en moins ? Pour eux, c'est peut-être juste un Arabe en moins, mais pour moi, non. Ça va mal finir cette histoire... Moi, j'attends la justice et s'il n'y a pas de justice, je la ferai moi-même ! »
La colère
Tout ce que ne souhaite pas Rima, la sœur de Salah, comme son père, du reste : « Il faut vraiment qu'il y ait une justice, que ces gens soient punis de leurs actes. On va laisser la justice faire, on va être plus intelligents que ces gens-là, mais il ne faut pas non plus que la justice pousse à commettre des actes de vengeance en ne sanctionnant pas ce genre de gestes. Un jeune de 21 ans décède à l'entrée d'une boîte sous les coups de couteau d'un récidiviste à l'arme blanche et la justice s'en fout ? J'ai bien l'impression qu'ils s'en foutent, puisque la boîte est toujours en activité : ils continuent toujours à s'en mettre plein les poches, les videurs sont toujours en place, alors qu'il y a quand même une grosse faute professionnelle de leur part. Aujourd'hui, je me dis que mon frère n'a pas du tout été protégé par les videurs et qu'il ne l'est toujours pas par la justice ».
L'enquête
Seule bonne nouvelle : l'enquête avance plus vite que prévu et devrait être clôturée dans les 6 prochains mois, avec la perspective de l'ouverture du procès aux Assises quatre mois plus tard. « Les choses se sont accélérées parce que tout le monde se balance, explique Rima, qui elle-même n'a pas ménagé sa peine, après la mort de Salah, pour mener sa propre enquête sur la mort de son frère au cœur du quartier Figuerolles, avant de donner le fruit de ses recherches aux enquêteurs. La criminelle a réussi à identifier les deux filles qui étaient avec eux ce soir-là et qui ont eu pour rôle de se débarrasser de l'arme et de déposer l'auteur du coup de couteau dans son quartier. Aujourd'hui, ces filles témoignent qu'elles ont été menacées pour qu'elles se taisent et la police a réussi à montrer que l'un des prévenus a récemment téléphoné aux videurs du Milk, lesquels ont changé trois ou quatre fois de versions depuis cette affaire ».
Le mal
« Le mal est toujours là, comme l'impression d'une injustice et le manque de Salah qui grandit de plus en plus, conclut Rima. Il y a encore trop de questions sans réponses, il n'y aura pas de deuil tant qu'il n'y aura pas vraiment une vérité qui sera là, on espère qu'aux Assises on aura cette réponse ».
Louel, le jeune homme qui a été poignardé par trois fois en tentant de défendre Salah et qui se demande aujourd'hui encore pourquoi il a eu la chance de rester en vie alors que son ami repose au cimetière, attend lui aussi cette vérité...
A lire !
- Meurtre de Salah au Milk, à Montpellier : son amie témoigne des faits
- Marche blanche pour Salah : le ciel a pleuré en attendant la justice
- Marche blanche pour Salah : ''nous demandons vérité et justice, pacifiquement''
- Montpellier : Hélène Mandroux exprime son soutien à la famille et aux proches de Salah
- Montpellier : Mortel coup de poignard reçu par Salah au Milk, où en est la procédure ?