Diplomatie, frappes, finances… quel est le véritable impact des réponses à l’Etat islamique ?
Par N.TPublié le
Les attentats de Paris, qui ont fait 130 morts au total, marquent assurément un tournant sur le front diplomatique et militaire face à l’organisation islamiste Daech. La France a pris les devants sur la scène internationale pour sceller une coalition avec le feu vert de l’ONU, dont le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité, vendredi 20 novembre, une résolution appelant les États en mesure de le faire à «prendre toutes les mesures nécessaires» contre l’«EI». Restent dans tous les cas des questions clés : la réponse diplomatique annoncée tambour battant est-elle vraiment cohérente, ne laisse-t-elle pas en suspens des facteurs qui faussent la donne et servent plutôt les intérêts de Daech ? Les frappes ciblent-elles les sites et chaînons stratégiques de l’organisation, apportent-elles le soutien attendu aux unités kurdes à l’offensive ? Qu’en est-il enfin de la puissance financière de l’«État islamique» sans cesse consolidée par les pétromonarchies, avec la complicité de la Turquie, et qui prend désormais le chemin des paradis fiscaux ? Décryptage.
Les réponses diplomatiques contre l’« EI » sont-elles cohérentes?
L’intervention de la coalition internationale, théoriquement constituée de plus d’une cinquantaine de pays, se résumait jusqu’à ces dernières semaines à des frappes des États-Unis en Irak et de la France en Syrie, sur des camps où sont supposés s’entraîner des djihadistes français. L’engagement, depuis plus d’un mois, de l’aviation russe et le retour de l’Iran, engagé aux côtés de Bachar Al Assad, sur la scène internationale, ont changé la donne, imposant une recomposition du front diplomatique.
Les attentats sanglants du vendredi 13 novembre à Paris ont marqué un nouveau tournant, plaçant la France en conciliateur des intérêts divergents des uns et des autres vis-à-vis de la Syrie pour concentrer un maximum de frappes sur Daech. Finie l’obstination du Quai d’Orsay à vouloir avant tout abattre Assad, obstination qui avait conduit jusqu’à la livraison d’armes à des groupes islamiques, erreur tragique. François Hollande a ordonné, jeudi 19 novembre, une « intensification » des frappes contre l’«EI», tandis que son chef d’état-major s’est entretenu avec son homologue russe pour mettre au point une «coordination» des opérations en Syrie.
Devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, le 16 novembre dernier, le chef de l’État a, en outre, annoncé son intention de demander une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour une résolution scellant l’alliance contre Deach. Hollande est par ailleurs attendu à Moscou le 26 novembre ; il se sera auparavant déplacé, le 24 novembre, à Washington.
Les États-Unis continuent toutefois à faire planer le doute sur leur engagement dans une coalition comprenant la Russie. Ils poursuivent les livraisons d’armes aux groupes «rebelles» en territoire syrien, une nébuleuse d’organisations qui gravitent autour de Daech.
La cohérence diplomatique est ainsi bien loin d’être acquise. D’autant que de nombreuses zones d’ombre demeurent, à commencer par le jeu trouble de la Turquie, qui continue à offrir des facilités de mouvement et autres à l’«EI» ; l’attitude vis-à-vis du PKK, classé organisation terroriste, alors que le peuple kurde paie un lourd tribut à la lutte anti-Daech ; et les arrangements avec les pétromonarchies, qui financent en douce l’hydre islamiste.
Des frappes inutiles ?
Si l’on en croit les communiqués en cascade, il pleut des bombes sur le territoire de l’«EI» à cheval entre l’Irak et la Syrie. François Hollande a ordonné, jeudi 19 novembre, l’intensification des frappes à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis. L’aviation française s’est concentrée sur Raqqa, centre nerveux de l’«EI», détruisant des sites stratégiques. Barack Obama a également promis, lors du sommet du G20, le 15 novembre, de multiplier les frappes que son aviation mène depuis des mois en territoire irakien. En opération depuis plus d’un mois, la Russie ciblerait désormais les installations pétrolières et les moyens de transport des hydrocarbures exploités par Daech. Quelle peut être l’efficacité de ce déluge de feu sur les capacités guerrières de ce dernier ?
Une chose est sûre : les bombardements lui causent de faibles pertes d’effectifs. Les précautions ont été évidemment prises pour réduire au minimum la présence de djihadistes sur les lieux à risques, en les dispersant sur de nombreux sites. Le nombre de tués confirmé jusque-là dans les rangs de l’«EI» s’élève à 33 à la suite des interventions françaises et russes.
Autre certitude : les habituels dommages collatéraux font de nombreuses victimes parmi les populations civiles. Comment ne pas rappeler, enfin, que les bombardements permettent aussi à l’«EI» de continuer à recruter, les effectifs étant renouvelés avec une incroyable rapidité, confirment tous les experts.
Pour l’heure, et en attendant une hypothétique coordination des raids russes, français et américains, l’efficacité des frappes reste pour le moins très discutable. La guerre dont on parle tant emprunte peut-être le mauvais chemin, épargnant les capacités logistiques et les réseaux qui les reconstituent de façon ininterrompue.
Il faut surtout s’employer à «couper les ponts de ravitaillement de Daech», insiste Saleh Muslim Mohamed, coprésident du Parti d’union démocratique kurde de Syrie (PYD) dans une interview accordée à «l’Humanité» (édition du 19 novembre). Les frappes seraient ainsi mieux utiles si elles ciblaient intensément les sites d’exploitation pétrolière, les voies d’acheminement vers la contrebande et les réseaux d’approvisionnement en armes et matériels en provenance des pétromonarchies.
Les frappes trouveraient enfin toute leur efficacité si elles venaient en appui de l’avancée sur le terrain des combattants kurdes. Selon les dernières informations, l’«EI» a perdu la ville de Tall Abyad, à la frontière Turque, délogé de ce site stratégique à travers lequel transitaient les candidats étrangers au djihad par les forces kurdes des Unités du peuple (YPG). Les djihadistes ont aussi perdu la ville de Sinjar, en Irak, les peshmergas l’ont investie le 13 novembre, jour des attentats à Paris. La route entre les deux centres nerveux du califat, Raqqa en Syrie et Mossoul en Irak, est désormais coupée grâce aux combattants kurdes…
L’argent du crime...
Daech est assis sur un trésor de guerre qu’il prend soin de mettre désormais à l’abri dans des paradis fiscaux en vue de son redéploiement sous forme d’organisation terroriste internationale si son implantation en Syrie et en Irak venait à être menacée.
«Les diverses estimations disponibles situent les ressources de l’ “EI” entre un et trois milliards de dollars par an, ce qui en fait l’organisation terroriste la plus puissante au monde, financièrement», écrit Christian Chavagneux, rédacteur en chef d’«Alternatives économiques», dans un article titré «Le difficile combat contre l’argent de Daech». Selon des données collectées par le mensuel, les taxes et impôts prélevés sur la population rapporteraient 300 millions de dollars (279 millions d’euros), la contrebande de céréales un peu plus de 200 millions de dollars, le trafic des pièces d’antiquité 100 millions, le kidnapping 40 de millions en 2014. Daech peut aussi compter sur des donateurs turcs, qataris, saoudiens qui l’arrosent abondamment à travers des ONG islamistes.
S’agissant du pétrole, Deach règne sur quelque 2 000 milliards de réserves de brut dans le sous-sol des zones irakiennes et syriennes qu’il occupe, selon des estimations de l’Institute For the Study of War (ISW). Le pétrole est acheminé à travers le Kurdistan irakien, puis la Turquie, et cédé à 20 % du prix du marché. Malgré la conjoncture et les prix à la baisse, ces ressources représenteraient tout de même quelque 200 à 300millions de dollars par an.
La puissance financière de l’«EI» a été partiellement évoquée lors du dernier sommet du G20 (15 et 16 novembre en Turquie). Le président russe Vladimir Poutine a indiqué avoir présenté à ses homologues des photos satellites montrant «des convois s’étendant sur des douzaines de kilomètres». Il aurait par ailleurs révélé que Daech serait financé par des personnes physiques originaires d’une quarantaine de pays, dont, à coup sûr, l’Arabie saoudite. Le pactole de Daech emprunte à présent le chemin des paradis fiscaux à travers le labyrinthe de sociétés écrans créées notamment au Liban et en Turquie.