ses ambitions à l’internationale le placent sous les feux de la rampe...

« Le Vilain petit Qatar…» Les dessous de la success strory

Qatar, ce minuscule émirat du Golfe, ne cesse de faire parler de lui. Du petit coin désertique vivotant à l’ombre du grand voisin, l’Arabie Saoudite, le Qatar vole aujourd’hui toutes les lumières du monde arabe. Ses ambitions à l’internationale le placent sous les feux de la rampe. Sa gloutonnerie en affaires en France ne pouvait absolument pas échapper à l’œil avisé de journalistes friands d’enquêtes sur les dessous de cette réussite planétaire.

Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget font partie de ceux qui se sont penchés sur le «miracle» qatari. Leur enquête, Le Vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal, publiée chez Fayard en ce mois de mai, est tout bonnement un essai croustillant.

«Toute la gauche est passée au Qatar, toute la droite est passée au Qatar. Najat Vallaut-Belkacem pendant la campagne présidentielle (...) Le Qatar est le forum de la politique française (...) Doha a remplacé la Mamounia du Maroc (...) il y a un million de travailleurs qui ont le statut d’esclaves au Qatar », autant de déclarations de Jean-Marie Bourget sur Radio France internationale (RFI) pour résumer le livre qu’il a coécrit avec Nicolas Beau.

Ce dernier, habitué surtout à fouiner au Maghreb, indisposant ses dirigeants, notamment l’ex-locataire du palais de Carthage, a changé d’horizon. Les deux journalistes révèlent petites et grandes du richissime émirat gazier.

Tout y est : pétrodollars, glamour, petits fours et big business. Au tout début de l’enquête, une seule question : pourquoi ce richissime petit émirat s’intéressait-il particulièrement à la France ? Pourquoi veut-il y investir à tout prix ?

Un émirat ambitieux ?

Dans la pléiade d’œuvres et d’ouvrages publiés sur le sujet, Le Vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal est le seul livre qu’ont doit lire sur le sujet si on était contraint de ne lire qu’un seul.

«Une vraie enquête, de vraies révélations et une analyse politique et géopolitique pertinente», écrit Richard Labevière, rédacteur en chef à RFI et grand reporter à la Télévision suisse romande (TSR), pour résumer en une phrase l’essai.

Le Qatar rachète le célébrissime club de football de la capitale française PSG, finance les plans de sauvetage des banlieues, soutient le marché de l’immobilier, accapare de grands palaces et grandes enseignes françaises et prend d’importantes participations dans le capital des sociétés stratégiques, à l’instar de Eads, Total…

Les deux journalistes révèlent comment le Qatar a pu tisser des liens indéfectibles avec la France. Des liens qu’ils n’hésitent pas à qualifier de troubles.

« La scène se passe en août 2012. Dans les salons de l’Elysée, François Hollande s’apprête à recevoir le souverain du Qatar, Hamed ben Khalifa al-Thani. Le président de la République s’entretient avec l’ambassadeur de France dans le richissime émirat.  Au fond, interroge le chef de l’Etat, que faut-il penser de ce pays ?

- Monsieur le Président, dans les prochaines années, il est susceptible d’investir une centaine de milliards d’euros en France.

- Dans ce cas, je comprends mieux dans quel état d’esprit il faut se tenir », écrivent les deux journalistes. La messe était dite, laisse-t-on entendre. Malgré le passage du pouvoir de la droite à la gauche, la France allait rester dans les petits papiers du Qatar.

Après la lecture de cette enquête, l’on comprend mieux comment ce petit pays de rien du tout a réussi à faire parler de lui autant.

Que l’on s’intéresse aux affaires, à l’audiovisuel, au foot, à l’art, à l’immobilier parisien, à la défense du patrimoine, aux banlieues, à l’islam de France, au « printemps arabe » ou à la guerre du Mali, très vite on tombe sur le nom de ce petit pays, pas plus grand qu’un mouchoir de poche peuplé de moins de 2 millions d’habitants, dont 80 % d’étrangers.

Tout commença lorsque l’émir renverse son propre père en 1995. Cet homme très ambitieux a changé le visage de son pays et son rôle international comme peu de dirigeants politiques, notamment du monde arabe, sont parvenus à le faire. La success story est édifiante, mais pas moins purulente.

Le dessous des cartes

Beau et Bourget ne l’aiment pas et le montrent au fil des 304 pages qui constituent leur enquête. Ils tenteront de prouver que le Qatar n’est pas le pays ami qu’il prétend être. « La raison d’être de cet ouvrage est de révéler un scandale d’Etat. Comment la France en est-elle arrivée à trembler quand le Qatar fronce les sourcils ? », notent les deux enquêteurs.

Pour cela, ils s’attèlent à dévoiler « les desseins cachés de l’émirat ». Beau et Bourget n’y vont pas par quatre chemins pour résumer l’entreprise qatarie. Cette « enseigne islamo-commerciale » qui rêve d’imposer de par le monde un « islam wahhabite conquérant, celui qui se livre à l’interprétation la plus mortifère du Coran ».

L’instrument de cette « conquête »: l’argent. « Deux cent dix milliards d’investissements à travers la planète. » Les « liens troubles » entre le Qatar et la France se sont nettement développés durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ils avaient débuté avant et se poursuivent depuis.

Le Qatar est un client intéressant. Si intéressant, rappelle-t-on, qu’en 2009, la majorité UMP lui a accordé, à la demande de Nicolas Sarkozy, un statut fiscal exorbitant du droit commun. Toutes les plus-values réalisées en France par les Qataris sont, depuis, exemptées d’impôt ! Un vrai joli petit coup de poker ? Absolument pas.

C’est un véritable échange de service, révèlent les deux journalistes. En finançant la libération des infirmières bulgares emprisonnées en Libye, l’émir du Qatar a ainsi pu bénéficier d’une exemption fiscale sur toutes ses transactions immobilières réalisées en France. Celle-ci est, vraisemblablement, devenue le paradis fiscal du Qatar. Et la gauche via son président, François Hollande, n’a rien fait pour mettre fin à ce privilège.

Au nom des intérêts supérieurs financiers et diplomatiques de l’Etat français. Judicieusement orienté par les meilleures agences anglo-saxonnes de conseil, le vilain petit Qatar, dans sa préparation de l’après-pétrole, s’est d’abord attaqué, avant de s’en prendre à la presse, à l’immobilier, la culture et aux industries stratégiques comme celles des secteurs de l’énergie, de l’aéronautique et de l’armement.

L’émir, friand de distraction, «chasse au faucon, alcool, femmes, voitures, drogue et les jeux vidéo», a découvert une meilleure distraction. Jouer au Monopoly géopolitique sur la scène internationale.

C’est tellement plus excitant d’être reçu par les grands de ce monde et d’acheter ce qui leur reste de crédibilité diplomatique et de conscience morale.

Hamad ben Khalifa al Thani ne se refuse plus rien. L’actuelle réussite du Qatar présente, selon les deux auteurs, le plus irréfutable des preuves sur l’importance et l’omniprésence de l’argent dans les relations internationales d’aujourd’hui.

Son arrogance de nanti est à l’image des élites politico-administratives occidentales, de la crise de leurs démocraties, de leurs pertes du sens de la morale, du courage et de l’honneur.  L’émirat a aussi un projet politique. Son soutien aux renversements des régimes en place se joue sur la ligne islamiste et non sur celle d’une démocratie à l’occidentale.

En Libye, le Qatar était, avec la France, l’un des principaux pays de la coalition contre Kadhafi. En Syrie, il équipe l’opposition armée au régime de Bachar al-Assad. Il est aussi derrière les aides apportées aux islamistes radicaux au Mali. Toutefois, les ambitions démesurées du Qatar commencent à inquiéter ses alliés.

Les interrogations sur les desseins véritables du Qatar est le même à Paris comme à Londres où, après le rachat des célèbres magasins Harrod’s, il vient de se porter candidat à la construction d’un « supersystème d’égouts » pour la modique somme de 12 milliards d’euros!

En plongeant dans les secrets du sérail qatari, Le vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal révèle les impostures de l’Emir et de son clan. Cet organisateur des colloques sur la corruption est loin d’être un modèle de vertu quand lui-même lave l’argent des dictateurs et achète tout à coup de pétrodollars.

Cet émirat qui a soufflé sur les braises du printemps arabe n’a jamais sponsorisé un islam tolérant, pas plus dans les banlieues françaises qu’au Nord-Mali. Derrière la belle vitrine que veut bien lui concéder l’Occident, c’est un ogre wahhabite qui tient le chéquier.

Un profond rêve messianique, affirme Bouget, pousse Doha vers la conquête des âmes et des territoires. « Depuis des années, l’émirat entretient des relations très étroites avec des militants islamistes pourchassés par les potentats arabes, mais aussi avec des groupes de jeunes blogueurs et internautes auxquels il a offert des stages de ‘’révolte par le Net’’. 

La politique de l’émir était un fusil à deux coups. D’abord, on a envoyé au ‘’front’’ la jeunesse avec son Facebook et ses blogueurs, mains nues face aux fusils des policiers et militaires. Ceux-ci défaits, le terrain déblayé, l’heure est venue de mettre en poste ces islamistes tenus bien au chaud en réserve, héros sacralisés, magnifiés en sagas par Al-Jazira », soutient-il dans un entretien accordé au magazine Afrique-Asie.

Le Vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal de Nicolas Beau et Jacques Marie Bourget, mai 2013, Editions Fayard, 304 pages.