Leïla Shahid: « Netanyahou veut transformer un conflit colonial en une guerre de religion »
Par N.TPublié le
Quelque 135 pays reconnaissent déjà l’État de Palestine, d’autres sont interpellés par leurs parlementaires pour cette reconnaissance.
Dans quelle mesure cela peut-il peser sur la politique israélienne ?
Leïla Shahid. Rappelons que, pour la plupart de ces pays, cette reconnaissance a eu lieu dans le monde de la guerre froide, dans un contexte international d’un autre ordre. Il faudrait donc plutôt évoquer les reconnaissances les plus récentes, celle de la Suède et celles de Chypre et de Malte, qui constituent des reconnaissances authentiques avec des conséquences au plan diplomatique. C’est là dans tous les cas le dernier recours dans une situation où les États n’assument pas leurs responsabilités face aux violations israéliennes. La reconnaissance est une forme de protection du territoire de ce qui doit devenir l’État palestinien, de ses frontières, de sa capitale, du droit des Palestiniens à
l’autodétermination, en attendant que l’on mette fin à l’occupation militaire. Sinon quel sens peut bien avoir la solution de deux États, lorsque l’un d’entre eux est en train de disparaître sous le rouleau compresseur de la colonisation.
Pourquoi Israël accuse-t-il systématiquement Mahmoud Abbas d’inciter à la violence dans Jérusalem-Est ?
L. S. Je pense que le gouvernement de Netanyahou est probablement le plus extrémiste qu’Israël ait connu depuis sa fondation en 1948. Trois membres de son gouvernement, à la tête de ministères importants – Affaires étrangères, Économie et Industrie, Logement –, sont des personnalités responsables de mouvements coloniaux, qui habitent eux-mêmes dans des colonies, appellent à la colonisation de toute la Palestine et à l’annexion définitive et totale de Jérusalem-Est. Les attaques en direction de Mahmoud Abbas sont tout simplement le fait d’un gouvernement qui ne veut pas faire la paix. Elles ciblent un président qui est aux yeux du reste du monde, et non seulement des États-Unis et de l’Europe, un partenaire pour la paix. Ces attaques ont commencé après l’arrêt des négociations, aussitôt après la fin des tentatives de John Kerry, le secrétaire d’État de Barack Obama. Tout comme du temps du président Arafat après l’épisode de Camp
David. C’est en fin de compte « l’assassinat symbolique » de la personne, comme préparation de son élimination physique. Cette politique est suicidaire. Mais Netanyahou n’adopte que des tactiques qui servent à préserver sa position de premier ministre, et non pas des stratégies en faveur de solutions pour l’avenir de son peuple. En réalité, il cherche seulement à gagner du temps. En essayant de délégitimer le président Abbas, il pense qu’il évite les pressions que le monde entier fait sur lui pour reprendre des négociations sérieuses.
Comment expliquez-vous
la récente succession d’actes
de violence dans Jérusalem-Est ?
L. S. Cette explosion était prévisible. Netanyahou essaye de transformer un conflit colonial en une guerre de religion pour rejoindre la coalition internationale contre Daesh. Les premiers signes en sont apparus il y a plusieurs mois, lorsque la répression a atteint son maximum. La poussée coloniale sur Jérusalem-Est n’a jamais été aussi importante que sous l’actuel gouvernement israélien. Trois cent mille colons occupent les quartiers autour de la ville, qui est désormais comme prise en otage avec le mur dont la construction a été commencée par Sharon. Sans compter la création de foyers de colons dans des quartiers plus centraux qui sont l’extension de l’esplanade des Mosquées. Les colons installés là aménagent des passages pour être reliés au quartier juif. Depuis l’arrivée au pouvoir de Netanyahou, il y a trois ans, les habitants de Jérusalem-Est sont systématiquement harcelés, le but étant de les faire partir. Ils sont privés de permis de construire ou de réparation des habitations endommagées, soumis à des taxes très élevées qu’ils n’ont pas les moyens de payer et se font exproprier. Il y a par ailleurs un groupe de colons, qui appartient au mouvement fondamentaliste juif, nationaliste, dénommé les Adorateurs du mont du Temple, qui appelle à détruire les deux mosquées, al-Aqsa et al-Sakhra, et à reconstruire le temple juif à la place. Netanyahou a lâché la bride à ce mouvement. Les Palestiniens prennent très au sérieux cette menace de destruction des mosquées. C’est cette provocation religieuse qui a suscité, je pense, une nouvelle forme de résistance à Jérusalem qui n’est ni le fait du Hamas, ni du Fatah, ni du Front populaire, mais de citoyens excédés et prêts au sacrifice parce qu’ils n’ont rien à perdre. Pourquoi pendant 60 ans n’a-t-on pas pris pour cible des lieux de prière ? Les réactions auxquelles on assiste sont des réponses à des provocations à caractère religieux. Et ce fut cette fois la tragédie d’une attaque dans une synagogue où priaient des rabbins. Je rappelle par ailleurs que la violence et la haine de colons extrémistes ont déjà fait l’objet d’un rapport des consuls généraux en poste à Jérusalem adressé à Bruxelles il y a plus d’un an. Ces derniers s’alarmaient de l’impunité du gouvernement Netanyahou. Cette même impunité qui a conduit les assassins du jeune Mahmoud Khdeir, kidnappé à Jérusalem-Est, à le brûler vif dans les bois. L’un d’entre eux était fils de rabbin.
Faut-il s’attendre à une nouvelle Intifada ?
L. S. Oui, il est évident que nous sommes en présence d’une nouvelle forme d’Intifada, d’une réaction spontanée de résistance à l’occupation. Les deux premières ont ainsi commencé puis elles se sont organisées autour d’une direction politique qui représentait la plupart des courants. Partie de Jérusalem, cette Intifada peut s’étendre en réaction aux 2 mois de guerre à Gaza – 2 400 morts, dont 500 enfants, et des milliers de blessés, sans compter la destruction de toute l’infrastructure de la ville –, elle peut s’étendre en réaction au sort de la Cisjordanie, qui est fragmentée, déchiquetée tous les jours. Il y a donc effectivement toutes les conditions d’une troisième Intifada, qui sera à mon avis beaucoup plus difficile pour la puissance occupante parce que sans direction politique connue.
Doit-on s’attendre à
de nouvelles représailles de la part
du gouvernement israélien ?
L. S. Oui, des représailles tribales, archaïques, moyenâgeuses, qui consistent à détruire les maisons des familles des jeunes gens qui sont passés aux actes. Cette politique de châtiments collectifs avait été suspendue pendant plusieurs années, parce que les renseignements israéliens eux-mêmes disaient qu’elle allait produire plus de colère et plus d’actes de résistance. On ne le répétera jamais assez : la solution ne peut être que politique. Elle est fondamentalement liée à la fin de l’occupation militaire.
Entretien réalisé par Nadjib TOUAIBIA
Source l'Humanité Dimanche du 27 novembre au 3 décembre 2014