Jean raconte l’élan humanitaire qui l’a conduit à se mettre au service de l’association SOS Mediterranée... (DR)

Jean Passot, 27 ans, sauveteur en Méditerranée : "Ces regards où l’on devine un mélange de détresse et d’espoir…"

La statistique lève chaque jour un peu plus le voile sur l’ampleur de la tragédie. Plus de 4000 réfugiés ont péri sur les chemins de l’exil depuis le début de l’année 2016. Soit 26% de plus par rapport à la même période de l’an dernier, selon l’organisation nationale pour les migrations (OIM).

Les chiffres encore, et selon la même source, livrent le bilan épouvantable de 3120 morts en Méditerranée entre le 1er janvier et le 31 juillet, 2692 dans les traversées vers l’Italie, 383 vers la Grèce et 45 autres vers l’Espagne. Tel est le cycle ininterrompu de l’horreur aux portes de l’Europe qui n’en fini plus de tergiverser, de palabrer et de marchander l’accueil des survivants. De ces rescapés qui retrouvent miraculeusement l’espoir quand la chaîne de solidarité triomphe du cauchemar, brise enfin leur triste sort.

Le hasard d'une rencontre

Mais qui sont donc ces femmes et ces hommes qui leur tendent la main ? Le Courrier de l’Atlas a été à la rencontre de l’un d’eux, Jean Passot, marin de profession, âgé de 27 ans. Son récit n’est pas linéaire. Il est livré par vagues, en cascade, avec émotion, à l’image de ce que fut son combat pour la survie de ces hommes, de ces femmes et de ses enfants qui défient la mort pour une nouvelle vie. Il évoque les conditions de son engagement, raconte avec des mots simples l’élan humanitaire qui l’a conduit à se mettre au service de l’association SOS Mediterranée (Voir encadré) et à embarquer sur l’Aquarius, son navire de sauvetage. Les équipages de ce dernier ont secouru en 2016 quelque 4488 réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne, dont 22% de mineurs.

Jean doit son aventure au hasard d’une rencontre avec un « groupe d’amis qui allaient embarquer quinze jours plus tard ». Le déclic, l’instant décisif qui le place aussitôt dans la posture du sauveteur potentiel. « Ils ont longuement parlé de la mission dans laquelle ils s’impliquaient, livrant tout les détails. J’ai été immédiatement séduit par le projet. Je suis moi-même marin et très sensible au drame de ces gens qui prennent le risque de périr en mer. L’idée d’une mission humanitaire de sauvetage en Méditerranée s’est alors présentée à moi comme une évidence, d’autant que j’étais disponible. Je n’ai pas hésité une seconde». Le hasard donc, mais pas seulement. « Un autre ressort a joué, complète Jean, mes confessions religieuses -je suis catholique- qui m’incitent à être aux côtés des plus faibles, des gens en difficulté quel que soit le cas. J’ai avant tout un profond respect pour la vie humaine… ».

A bord de l'Aquarius

Le jeune marin s’est ainsi embarqué dix semaines durant à bord de l’Aquarius, en poste sur la chaîne de sauvetage de jour comme de nuit, aux côtés des autres matelots et personnels de santé. Il a gardé le souvenir, encore brûlant, de sa première intervention de nuit. «Personne parmi nous, dans le groupe de bénévoles, n’avait jamais mené une telle opération de sauvetage en haute mer. C’était, dans un  premier temps avant d’avoir des indications précises, le saut dans l’inconnu. Suite à l’alerte de repérage d’un canot bondé d’individus, on a embarqué sur le zodiac. Puis, très vite, les étapes se sont enchaînées : l’approche, toujours périlleuse, l’agitation à bord, les cris, ceux des enfants et des femmes, la rencontre, au moment inespéré de la main tendue, de ces regards où l’on devine un mélange de détresse et d’espoir et enfin le soulagement quand ils sont sûrs que l’on va les tirer de cet enfer. Il m’est encore très difficile de décrire cette première opération. J’ai en revanche bien retenu que nous avions sauvé cette nuit-là 74 personnes. Par la suite, ils nous arrivaient régulièrement d’éviter le naufrage à une moyenne de 120 réfugiés par canot, dont environ 15% de femmes avec enfants, le plus déchirant ».

De retour à bord de l’Aquarius, Jean et ses compagnons se consacrent aussitôt aux tâches techniques, « leur distribuer les couvertures, les vivres, les aider pour leur mobilité… ». Et quand vient la nuit, « il arrive que des survivants nous rejoignent sur le pont quand ils ne trouvent pas le sommeil. C’est alors des moments de proximité inoubliables. Certains ont besoin de parler, de se confier. Les récits, sont terribles, insoutenables. Le cas, par exemple, de ces réfugiés qui nous décrivent leur calvaire dans des longues traversées du désert pour rejoindre la Libye. Ils y arrivent avec l’espoir de trouver un job pour réunir l’argent destiné aux passeurs. Nombre d’entre eux rapportent qu’ils ont été arrêtés, torturés, réduits à l’esclavage. Ils nous parlent du chantage, des pressions et des menaces sur leurs familles pour leur escroquer des fonds, disent comment ils peuvent même servir de cibles à des enfants âgés de 7 à 8 ans qui s’entraînent à tirer avec des armes à feu ». Des épisodes à peine imaginables. «On puise la force de supporter tout ça dans les liens, très forts, qui se nouent avec les autres membres de l’équipage, les médecins, les infirmières. Le partage des mêmes valeurs nous permet de tenir le coup, de s’épauler, de ne pas fléchir car dix semaines ce n’est pas rien. On n’a pas besoin de beaucoup parler pour se comprendre, parfois un seul regard suffit ».

Retour sur terre

Revenu sur terre, le jeune marin confie que son esprit reste hanté par le souvenir d’épisodes éprouvants. Mais pas de quoi le dissuader de s’engager à nouveau. «Désormais, je sais à quoi je dois m’attendre. Je n’ai pas besoin de réfléchir, je suis tout à fait prêt à m’embarquer une deuxième fois, voire plusieurs, si on me fait appel », assure-t-il. Mais dans tous les cas, Jean veut surtout s’en tenir à son seul rôle de sauveteur, il n’a nullement envie de « discuter de l’immigration », de « juger les motivations des réfugiés ». A peine confie-t-il, avec simplicité, sa « tristesse », de voir « que ces gens n’ont pas la chance de pouvoir vivre tranquillement chez eux… ».

Tahar Yacine

Source: Courrier de l'Atlas (septembre 2016)

 

"Porter assistance à toute personnes en détresse..."

SOS Méditerranée est une association indépendante qui se fonde sur le respect de l’homme et de sa dignité, quelle que soit sa nationalité, son origine, son appartenance sociale, religieuse, politique ou ethnique. Elle a vocation à porter assistance à toute personne en détresse sur mer se trouvant dans le périmètre de son action, sans aucune discrimination. Les personnes concernées sont des hommes, femmes ou enfants, migrants ou réfugiés, se retrouvant en danger de mort lors de la traversée de la Méditerranée. Elle est financée par des dons privés et des subventions publiques. Les fonds collectés sont alloués à la location du bateau, aux frais quotidiens d’entretien et de sauvetage (soit au total 77 000 euros par semaine).